mardi 23 février 2016

"Le bonheur est un ange au visage grave" (Modigliani)


Amedeo Modigliani photograhié à La Ruche (photographe inconnu)

Un ami me parlait hier d'une exposition Modigliani au LaM à Lille, qui démarre le 27 février jusqu'au 5 juin 2016.

Je me souviens de l'émission de Charles Sigel (L'humeur vagabonde, RTS) sur cet artiste tourmenté dont j'avais rapidement parlé ici. Je découvre ce matin sur ce site la poétesse russe Anna Akhmatova qui rencontra Amedeo Modigliani à Paris en 1910; fascinés l'un par l'autre, ce sera le début d'une brève histoire d'amour (que l'on suppose) passionnée.


Anna Akhmatova (1889-1966)



Modigliani dessin au crayon de Anna Akhmatova, 1911 (Getty)



Modigliani, dessin de Anna Akhmatova, 1911

"C'est l'histoire de deux êtres que tout semble séparer. Elle est russe, poétesse et vient juste de se marier. Il est juif italien et hésite entre la peinture et la sculpture. Nous sommes en 1910 à Paris. Elle, c'est Anna Akhmatova "beauté singulière, beauté travaillée, beauté gagnée sur d'éclatants, d'insupportables défauts -nez cassé, cou à n'en plus finir- beauté arrogante". Lui, c'est Modigliani, Modi pour les intimes, un mètre soixante cinq, un magnétisme à tout casser. Deux astres qui ne vivent que pour leur art, traquant la beauté dans ses moindres recoins. Mus l'un et l'autre par le même idéal tyrannique. De leur rencontre, on ne sait rien ou presque. Quelques documents, journaux intimes, témoignages lacunaires."


tete Modigliani 
En 2010 à Paris est mise aux enchères chez Christie's une "tête de femme en pierre calcaire, 64 cm, exécutée en 1910-1912 signée, en son dos, Modigliani". Au même moment au Musée Akhmatova de Saint-Pétersbourg, la romancière Elisabeth Barillé tombe en arrêt devant un portrait de la poétesse russe dans lequel elle reconnaît sans hésiter le trait de Modigliani. On ne pouvait rêver hasard plus heureux ni sujet plus romanesque. La tête de femme vendue à prix d'or n'aurait elle pas été inspirée par Anna Akhmatova? Quel lien unissait ces deux êtres?"
A lire aussi l'article de Bernard Pivot : La poétesse russe de Modigliani. 


Et j'ai appris l'affaissement des visages,
la crainte qui sous les paupières danse,
les signes cunéiformes des pages
que dans les joues burine la souffrance ;
les boucles brunes, les boucles dorées
soudain devenir boucles d'argent grises,
faner le sourire aux lèvres soumises,
et dans le rire sec la peur trembler.
Et ma prière n'est pas pour moi seule,
Mais pour tous ceux qui attendaient comme moi
dans la nuit froide et dans la chaleur
sous le mur rouge, sous le mur d'effroi.

1940
Anna Akhmatova, Épilogue (extrait) de son tragique recueil Requiem
 
"[...] Sa personnalité faite de domination et de reconnaissance la fit devenir la figure de proue de ce mouvement [mouvement des acméistes]. Elle sera célébrée, imitée, vénérée par la jeunesse russe. Elle devait être la louve alpha de sa vie et de ses proches.

Là se tient une des clés de la psychologie d'Anna : le besoin de déification par le verbe, le vertige de la domination, le besoin d'être la grande prêtresse des choses, amour ou douleur. Elle se voulait chef de meute d'une troupe d'hommes valeureux et aucun lien ne pouvait l'en dissuader, surtout pas ceux du mariage. De divorces en remariages nombreux et vains, elle put expérimenter cela.
À ces problèmes d'amour et de liberté, de tension et de séduction, il suffit d'ajouter l'atroce impact de la première guerre mondiale et de sa boucherie insensée, pour comprendre l'évolution d'Anna à qui se révèle sa nature tragique. [...]".

(Source Esprits Nomades)
(Demain, détente, au golf, sous la pluie. Pas tous les jours, la tourmente des artistes).