jeudi 30 juillet 2015

Mes lectures de vacances 4





« Je sais bien ce que je fuis mais non pas ce que je cherche » Montaigne



Je retranscris ici des extraits du Journal de Voyage de Montaigne. C’est le dernier livre que j’ai emprunté dans cette bibliothèque de vacances. Voilà ce qu’est un vrai Journal intime. Je n'ai fait que "picorer" quelques pages de cet ouvrage, n'ayant pas eu le temps ni l'attention nécessaire pour une lecture complète, assez ardue. Il est noté en Introduction à propos de ce Journal :

« […] s’agissant de ce long voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne dont le Journal est le compte-rendu, Montaigne entendait avant tout soigner sa gravelle aux stations thermales de ces pays : aussi ce texte, qui n’était pas destiné à la publication et dont le manuscrit ne fut découvert qu’au XVIIIe siècle, relate pêle-mêle les impressions du touriste et celles du curiste, également assoiffés. »

De septembre 1580 à novembre 1581, Montaigne voyage en Europe : Allemagne, Suisse, Italie. Pour soigner sa gravelle aux eaux de Lucques, oublier « les épines domestiques », « les devoirs de l’amitié maritale » ou cette « mélancolie » qui lui est « mort et chagrin ». Mais surtout pour découvrir autrui dans sa différence et sa diversité : ce qu’on mange ne l’intéresse pas moins que ce que l’on pense, et à Rome il est aussi diligent à écouter les conversations des « femmes publiques » qu’à « ouïr des disputes de théologie » ou visiter les antiquités des vignes cardinalices. « Les rois de Perse, dit-il, qui s’obligeraient de ne boire jamais autre eau que celle du fleuve Choaspès, renonçaient par sottise à leur droit d’usage en toutes les autres eaux, et asséchaient pour leur regard le reste du monde. »
(4e de couverture) 

Quelques extraits (on remarquera que Montaigne parle parfois de lui à la troisième personne : M. de Montaigne). 

PLOMBIERES, quatre lieues. […]
Nous y arrivâmes le vendredi 16e de septembre 1580, à deux heures de l’après-midi. Ce lieu est assis aux confins de la Lorraine et de l’Allemagne, dans une fondrière, entre plusieurs collines hautes et coupées qui le serrent de tous côté. Au fond de cette vallée naissent plusieurs fontaines tant froides naturelles que chaudes. L’eau chaude n’a nulle senteur ni goût, et est chaude tout ce qui s’en peut souffrir au boire, de façon que M. de Montaigne était contraint  de la remuer de verre à autre. Il y en a deux seulement de quoi on boit. Celle qui tourne le cul à l’orient et qui produit le bain qu’ils appellent le Bain de la Reine, laisse en la bouche quelque goût doux comme de réglisse, sans autre déboire, si ce n’est que, si on n’en prend garde fort attentivement, il semblait à M. de Montaigne qu’elle rapportait je ne sais quel goût de fer. L’autre qui sourd du pied de la montagne opposite, de quoi M. de Montaigne ne but qu’un seul jour, a un peu plus d’âpreté, et y peut-on découvrir la saveur de l’alun.
[…]
Nous y vîmes des hommes guéris d’ulcères, et d’autres de rougeurs par le corps. La coutume est d’y être pour le moins un mois. Ils y louent beaucoup plus la saison du printemps, en mai.
[…]
[…] 

Vers Florence et Pise 
[…]
On est ici dans l’habitude  de mettre de la neige dans les verres avec le vin. J’en mettais un peu, parce que je ne me portais pas trop bien, ayant souvent des maux de reins, et rendant toujours une quantité incroyable  de sable ; outre cela, je ne pouvais recouvrer ma tête et la remettre en son premier état. J’éprouvais des étourdissements, et je ne sais quelle pesanteur sur les yeux, le front, les joues, les dents, le nez et tout le visage. Il me vient dans l’idée que ces douleurs étaient causées par les vins blancs doux et fumeux du pays, parce que la première fois que la migraine me reprit, tout échauffé que j’étais déjà, tant par le voyage que par la saison, j’avais bu grande quantité de trebbiano, mais si doux qu’il n’étanchait pas ma soif.
Après tout, je n’ai pu m’empêcher d’avouer que c’est avec raison que Florence est nommée la belle.
[…]
Le jeudi je ne me souciais pas de voir une autre course de chevaux. J’allais l’après-dînée à Pratolino, que je revis dans un grand détail.
[…]
Le vendredi j’achetai, à la librairie des Juntes, un paquet de onze comédies et quelques autres livres. J’y vis le testament de Boccace imprimé avec certains discours faits sur le Décaméron 

[…] 

De Pise à Lucques 
[…]
A dire vrai, j’ai toujours été non seulement bien, mais même agréablement logé dans tous les lieux où je me suis arrêté en Italie, excepté à Florence (où je ne sortis pas de l’auberge, malgré les incommodités qu’on y souffre, surtout quand il fait chaud) et à Venise, où nous étions logés dans une maison trop publique et assez malpropre, parce que nous ne devions pas y rester longtemps. La chambre ici [à Lucques] était écartée ; rien ne manquait ; je n’avais aucun embarras, nulle sorte d’incommodité. Les politesses même sont fatigantes et parfois ennuyeuses, mais j’étais rarement visité par les habitants. Je dormais, j’étudiais quand je voulais ; et lorsque la fantaisie me prenait de sortir, je trouvais partout compagnie de femmes et d’hommes avec qui je pouvais converser et m’amuser pendant quelques heures du jour ; puis les boutiques, les églises, les places et le changement de lieu, tout cela me fournissait assez de moyens de satisfaire ma curiosité.
Parmi ces dissipations, mon esprit était aussi tranquille que le comportaient mes infirmités et [les approches de] la vieillesse, et très peu d’occasions se présentaient de dehors pour le troubler. Je sentais seulement un peu le défaut de compagnie telle que je l’aurais désirée, étant forcé de jouir seul et sans communication des plaisirs que je goûtais.
[…] 

Bain della Villa, deuxième séjour 
[…]
J’y reçus de tout le monde le meilleur accueil et des caresses infinies. Il semblait en vérité que je fusse de retour chez moi. […]
Le mardi 15 août, j’allai de bon matin me baigner ; je restai un peu moins d’une heure dans le bain, et je le retrouvai plus froid que chaud. Il ne me provoqua point de sueur. J’arrivai à ces bains non seulement en bonne santé, mais je puis dire encore fort allègre de toute façon. Après m’être baigné, je rendis des urines troubles ; le soir, ayant marché quelque temps par des chemins montueux et difficiles, elles furent tout à fait sanguinolentes, et je sentais dans le lit je ne sais  quel embarras dans les reins.
Le 16, je continuai le bain, et, pour être seul à l’écart, je choisis celui des femmes, où je n’avais pas encore été. Il me parut trop chaud, soit qu’il le fût réellement, soit qu’ayant déjà les pores ouvertes par le bain que j’avais pris la veille, je fusse plus prompt à m’échauffer ; cependant, j’y restai plus d’une heure. Je suai médiocrement : les urines étaient naturelles, point de sable. Après dîner, les urines revinrent encore troubles et rousses, et vers le coucher du soleil elles étaient sanguinolentes.
Le 17 je trouvai le même bain plus tempéré. Je suai très peu ; les urines étaient un peu troubles avec un peu de sable ; j’avais le teint jaune pâle.
[…]
[…]
La nuit je sentis au côté gauche un commencement de colique assez fort et même poignant, qui me tourmenta pendant un bon espace de temps, et ne fit pas néanmoins les progrès ordinaires ; car le mal ne s’étendit pas jusqu’au bas-ventre, et il finit de façon à me faire croire que c’étaient des vents.

Montaigne, in Journal de voyage, Édition de Fausta Garavini Professeur à l’Université de Florence, Gallimard collection Folio, 1983. 

Allez, pour se détendre un peu et faire passer "les vents", vidéos de ce pêcheur que j'observais en lisant le Journal de voyage de Montaigne. Il semblait indifférent à la montée de la mer et aux vagues qui commençaient à s'éclater par-dessus la jetée.