vendredi 11 mai 2012

"Une connaissance ancrée dans le "je" et la chair de l'existence"



AUTOPORTRAIT A L'ENFANT

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Je suis mort à l'âge de dix ans, une belle après-midi d'automne, dans une lumière qui donne envie de l'éternité. Beauté de septembre, nuages de rêves, luminosités de matins du monde, douceur de l'air, parfums de feuilles et de soleil jaune pâle. Septembre 1969/novembre 2005. J'aborde enfin sur le papier ce moment de mon existence après le prétexte d'une trentaine de livres pour n'avoir pas à écrire ces pages qui suivent. Texte remis à plus tard, trop de peine à revenir sur ces quatre années d'orphelinat chez des prêtres salésiens entre ma dixième et ma quatorzième année - avant trois années supplémentaires de pension ailleurs. Sept au total. A dix-sept ans, je pris le large, mort vivant, et partis pour l'aventure qui me conduit, ce jour, devant ma feuille de papier où je vais livrer une partie des clés de mon être...
[...]
Ma douleur, à l'époque, c'est ma mère. Je ne fus pas un enfant insupportable, mais elle ne me supportait pas.
[...]
[...]
Pour ne pas mourir des hommes et de leur négativité, il y eut pour moi les livres, puis la musique, enfin les arts et surtout la philosophie. L'écriture a couronné l'ensemble. Trente livres plus tard, j'ai l'impression de devoir ramasser ma parole. Cette préface donne les clés, les pages qui suivent procèdent de tous mes ouvrages qui, pour chacun, découlent d'une opération de survie menée depuis l'orphelinat. Serein, sans haine, ignorant le mépris, loin de tout désir de vengeance, indemne de toute rancune, informé sur la formidable puissance des passions tristes, je ne veux que la culture et l'expansion de cette "puissance d'exister" - selon l'heureuse formule de Spinoza enchâssée comme un diamant dans son Ethique. Seul l'art codifié de cette "puissance d'exister" guérit des douleurs passées, présentes et à venir.

Michel Onfray, in La puissance d'exister, Manifeste hédoniste, Grasset 2006.

Ainsi commence l'ouvrage de Michel Onfray que je viens de terminer. En exergue : A ma mère, retrouvée. Les cinquante premières pages relatent ces années d'une enfance sombre. Puis il fait le point sur la question de l'hédonisme, en six parties. Le tout avec une clarté telle qu'une béotienne comme moi n'a trébuché sur aucun chapitre. Ce qui pourrait tout de même me laisser penser que les férus de philosophie n'y trouveront peut-être pas leur compte, quoi que*... Pour ma part, j'ai savouré cet essai et j'apprécie qu'un philosophe réussisse à se faire comprendre des non-initiés. On peut relire quelques extraits dans deux billets précédents. Trois parties m'ont particulièrement intéressée - avec L'autoportrait à l'enfant :
- Une érotique solaire
- Une esthétique cynique
- Une politique libertaire

"Si je devais réduire l'hédonisme à une interrogation, ce serait évidemment celle de Spinoza : "que peut le corps?". A quoi il me faut ajouter : en quoi est-il devenu l'objet philosophique de prédilection? Puis, questions en cascade : comment penser en artiste? De quelle manière installer l'éthique sur le terrain esthétique? [...] Quelle est la nature de la relation entre hédonisme et anarchisme? [...]"
4e de couverture.

* "À l’heure où la philosophie semble retrouver un regain d’intérêt et prendre place de nouveau dans la formation des futurs éducateurs, la lecture de Michel Onfray paraît comme incontournable. L’homme ne figure pas au panthéon des références universitaires ; au contraire même, par son inscription délibérée dans une posture matérialiste, il est l’un des rares penseurs des temps présents à pousser à son comble la rupture avec les canons du "philosophiquement correct". "
Philippe Gaberan