Ce matin, 11 heures.
Encore un rendez-vous qui n’aura pas fait avancer le schmilblick. Depuis le temps que ça traîne tout ça, je commence à désespérer. Bon, pas d’apitoiement, allons boire un café et lire les nouvelles réjouissantes de la presse dans cet endroit qui serait si agréable sans musique, tant pis, le café y est très bon. Peu de monde à l’étage, deux internautes (c’est un cybercafé), et une tablée de trois… retraitées. Habituellement c’est rempli de jeunes filles, elles doivent faire les soldes avec leur mère. Quelle folie ce premier jour des soldes, et les médias qui en rajoutent une bonne couche de débilité.
La vue sur une des flèches de la cathédrale et sur la rivière est charmante (non ce n’est pas la vue du salon de thé cosy de l’autre jour où j’apercevais également une flèche d’église mais ce n’était pas la cathédrale).
Le garçon m’apporte mon café, mousseux, avec un petit carré de leur gâteau au chocolat (les jeunes viennent ici pour les gâteaux, brioches et crumbles succulents). On peut y lire la presse quotidienne et quelques magazines à disposition. Je commence par la dernière page, j’ai toujours lu les journaux à l’envers.
Une quatrième retraitée vient rejoindre les trois autres, je me suis assise à une table près d’elles parce que c’est là que la vue est la plus jolie. Flûte, pourquoi ça se voit qu'elles sont retraitées? Elles ont l'air d'anciennes combattantes de 68. En ai-je l'air aussi? Ça craint, mais je l'ai été. Elles commencent à "jacasser" un peu fort, des bribes me parviennent, j’entends : pain bio – halles.
Je lis la dernière page de Ouest-France, je note sur mon carnet - je vois alors les trois femmes me regarder curieusement - et je me dis : comme je suis bien toute seule, comme je m’ennuierais avec elles ; oui, je suis comme ça, une asociale ? (synonymes : antisocial, bohème, dyssocial, inadapté, marginal, misanthropique), ben oui, c’est tout à fait ça. Parenthèse fermée, je suis donc en train de lire, de rire en douce et de noter :
"Samedi les habitants de Constanta en Roumanie avaient découvert une trentaine d’étourneaux morts sur un terrain vague. Victimes de la grippe aviaire ? D’une trouille bleue due à un feu d’artifice comme d’autres volatiles aux Etats-Unis ? Non ! C’est l’alcool qui les a tués, a révélé l’analyse de leur gésier. Ils avaient ingurgité du marc de raisin. Trop".
(Ce que c'est mal écrit).
Je poursuis, je lis que les Halles vont être rénovées, coût des travaux : 700 000 euros, bof, ça sera sur notre taxe d’habitation l’année prochaine !
Un nouveau pote des retraitées arrive avec une tasse de café. Les voilà cinq maintenant. Et que je te fasse des bises, et que je te monte le son, les rires, la joie de retrouvailles. Cet homme a plus de charme que ses amies. Leur joie se fait discrète soudain, plus un son, on entendrait une mouche voler. Ils n'ont déjà plus rien à se dire?
Je change de canard (tiens ils n’ont pas le Canard Enchaîné ce matin) et prends Libération, dernière page. Je ressors mon petit carnet (les trois femmes me regardent, je le sens, l'homme se retourne aussi, une seule ne se retourne pas) ; est-ce si étrange de voir quelqu’une noter ce qu’elle lit ? En fait, je suis en train de faire ce que j’ai fait pendant dix ans quand je travaillais à l’Agence : la pige du matin ; à l’époque c’était plutôt les pages "Economie" et "Politique" qu’il fallait que je résume à mon boss et j’y pense en lisant cet article. En dernière page donc, mon œil est d’abord attiré par la photo du personnage :
Denis Hennequin, fan de rock, ex patron de McDonald’s Europe prend la direction du Groupe Accor, sûr il doit être plus rock 'n' roll que Gérard Pélisson le fondateur du Groupe, il va donc remplacer Gilles Pélisson. Ça me fait tout drôle de voir ces noms dans la presse : Gérard Pélisson, Serge Weinberg… que de souvenirs… professionnels, je précise.
"Les dîners m’assomment. Quand j’ai débuté chez McDo, on m’a soufflé que le golf et les résultats étaient la recette pour durer. Je me suis concentré sur les résultats".
[…]
"Quand j’ai pris mes fonctions à l’Europe chez MacDo, Jean-Pierre Petit m’a offert un vélo. Je trouvais la tenue ridicule, mais j’ai commencé à m’entraîner et fini par gravir l’Etna. J’en ai bavé".
Bon, ne nous faisons pas d’illusion, Denis Hennequin n’est pas là pour faire du vélo mais pour faire du chiffre, et il en connaît un rayon !
Ça suffit pour aujourd’hui, je vais rentrer, il est midi, le garçon commence à préparer les tables pour le déjeuner… et Dieu soit loué, il n’y a pas encore de McDo au centre ville. J'entends l'une des femmes dire qu'elle a vu Monet à Paris.
Il crachine, il fait doux, je rentre à pieds.
Dernière info : L'atelier de l'artiste chinois Ai Weiwei a été démoli à Shanghaï. Une de ses oeuvres récente célèbre ici.