vendredi 21 juin 2019

Artistes à l'oeuvre (2) : Face à la mort, UNE RAISON DE VIVRE

Suite du documentaire LSD (France-Culture) sur Les artistes à l’œuvre, face à la mort une nouvelle énergie. 
Dans le précédent billet je relatais quelques réflexions du peintre Gérard Fromanger dont j'aimais la décontraction voire la dérision, la lucidité, l'enthousiasme pour parler de cette ultime étape : la vieillesse, l'approche de la mort comme moteur de vie, de création. Les extraits que j'ai retranscrits ne remplacent absolument pas une réécoute de Gérard Fromanger, pour moi jubilatoire. Fromanger a 79 ans (né en 1939).

Puis, j'ai souhaité noter quelques séquences du documentaire sur l'artiste Hans Hartung dont j'avais vu une exposition  en 2017 dans ce bel endroit à Landerneau, les Capucins. Je m'en voulais de n'avoir pas eu le courage d'en faire un billet mais le cerveau commence à faiblir depuis au moins deux ans et, ne mettre que quelques photos des œuvres exposées me paraissait insuffisant. Eh bien, cette émission LSD m'a un peu motivée pour revenir sur cette exposition et j'ai publié ce billet qui restait dans mes brouillons, mais le courage manquait toujours pour que je l'étoffasse (*_*). Shame on me, je m'en suis tenue à mettre mes photos. Quand j'avais commencé ce billet, je pensais aussi parler de Anna-Eva Bergman... artiste, qu'il épouse en 1957. Pour en savoir plus... Fondation Hartung Bergman à Antibes.

Hans Hartung, né le à Leipzig, et mort le à Antibes, est un peintre français d'origine allemande, l'un des plus grands représentants de l'art abstrait et le père du tachisme.
Après [...] l'occupation de l'ensemble de la France, Hartung passe en 1943 en Espagne. Incarcéré, puis placé dans le camp de concentration de Miranda del Ebro durant sept mois, il rejoint l'Afrique du Nord et s'engage à nouveau dans la Légion, sous le nom de Pierre Berton cette fois-ci. Affecté au Régiment de marche de la Légion étrangère comme brancardier, blessé durant l'attaque de Belfort en novembre 1944, il est amputé de la jambe droite à Dijon. De retour à Paris en 1945, où il est aidé par Calder, il est naturalisé français en 1946, décoré de la croix de guerre 1939-1945, de la médaille militaire et de la Légion d'honneur.
(Wikipédia).

Revenons au document (à réécouter ici) Artistes à l’œuvre , face à la mort, et à Hartung. En fin de vie, handicapé, il a continué de peindre, de manière différente, dans son fauteuil roulant, avec des assistants, dont Bernard Derdérian, expert de l’œuvre de Hartung. Il intervient dans le documentaire LSD

Hartung with Bernard Derderian 1989
Photo: André Villers © Fondation Hartung Bergman
"Cette pulsion de vie qui passe de l’artiste à l’œuvre et qui se poursuit, de l’œuvre au regardeur, n’est pas l’apanage de la jeunesse, elle devient même plus prégnante avec l’âge

Or, l’histoire de l’art a tendance à négliger les derniers travaux des artistes, classés au rang de simples documents, de témoignages voire de catastrophe. Que l’on pense aux ultimes autoportraits de Bonnard, aux papiers découpés de Matisse, au minimalisme tardif de Picabia, aux Nymphéas de Monet  que l’on attribua à sa vue déficiente ou au feu d’artifice final de Hans Hartung, cloué sur son fauteuil roulant, auquel la critique refusa de croire.

Et si, plutôt que de ressasser leur œuvre ou l’obsession de leur mort prochaine, les artistes puisaient dans la vieillesse une force neuve, originale, libérée des contraintes et des regards critiques ; comme si, à la veille de l‘échéance ultime, ils rendaient un hommage à la création, à ce qu’elle leur avait donné de plus fort : une raison de vivre."


Hans Hartung dans l'atelier d'Antibes, 1989
Photographie de André Villers  
(Photo capturée à l'exposition en 2017,
Hartung dans son fauteuil roulant)

"Dans les dernières années de sa vie, Hartung va peindre au pistolet à peinture, ce qui lui permit de faire plus trois cents toiles l'année de sa mort, en 1989."
(Un exploit, mais je comprends pourquoi ses dernières œuvres m'ont moins fait vibrer. Comparaison n'est pas raison mais je ne peux m'empêcher de penser à ce peintre que j'admire et dont les œuvres m'éblouissent : Zao Wou-Ki dont j'ai parlé ici... en 2013. Mais tout de même, je reconnais et j'admire cette énergie créatrice qui a animé Hartung alors qu'il était physiquement très amoindri).
 

"Journal des infirmière 
Nuit du 17 au 18 juillet 1989.

Monsieur Hartung se couche assez vite, se redresse du lit un peu plus tard, très angoissé. Veut aller à l’atelier terminer son tableau de cinq mètres, voudrait y faire de grands traits. Je le rassure et lui promet de le réveiller tôt demain, pour lui permettre de terminer sa toile. Massage de l’épaule droite où il ressent de violentes douleurs. Rassuré et calmé, se rendort pour toute la nuit.  9 h 30. Réveil. Café au lait. S’énerve pour un rien. Toilette. Se calme. Plus détendu mais très pressé. Demande l’heure toute les cinq minutes, pensant être en retard à l’atelier. A 11 heures, déjà dans l’atelier pour finir la grande toile. Beaucoup de tension car il fallait une très grande concentration pour réussir."

"Effectivement, la vie quotidienne, les gestes de la vie quotidienne étaient d’une grande lenteur. Quand il a eu cet AVC fin 86, jusqu’à 1989, il n’a plus la possibilité de marcher avec des béquilles, il a des problèmes d’équilibre, de force même dans les bras." (Bernard Derdérian).

"Beaucoup s’étonne de me voir encore travailler autant. Le plaisir de vivre se confond pour moi avec le désir de peindre, j’ai le sentiment d’un renouveau, comme une force, une nouvelle jeunesse qui me serait accordée. J’ai surtout le besoin de faire de grandes toiles. Dans l’art abstrait, le geste de peindre doit avoir la dimension qui correspond à son essence.

Voilà pourquoi il faut peindre en grand ce qui est pensé en grand. Voilà pourquoi cela m’agace tellement d’être physiquement empêché de peindre des tableaux, aussi grands que je les voudrais.[...] 
Les œuvres d’art témoignent pour l’humanité. Ces messages ont pour eux d’être universels, de traverser le temps sans en subir l’usure et sont des défis au néant, un mot auquel je ne veux ni ne peux croire. Heureusement rien ne me prouve que la mort soit la fin de la conscience du noyau humain. Je peux m’imaginer, l’espoir m’y pousse, que la spiritualité de l’homme une fois émise dans ce monde persiste et rayonne pour toujours. L’essence de Dieu nous est absolument inconnue. Il nous est donc permis de croire que rien ne se perd totalement, mais que tout reste inscrit dans le centre de cette énergie mystérieuse qui régit le monde. Je crois que tous nos actes, nos pensées, nos désirs restent dans la conscience universelle."

Autoportrait, Hans Hartung
Les artistes ne meurent pas.
Tu avais 47 ans... tu n'as pas eu le temps de penser à la vieillesse, à la postérité. Ce mot - comme il a fait rire Gérard Fromanger - t'aurait fait bien rire.

Tu n’es pas mort.

Je t’aime.