Heureusement, il y avait VICTORIA sur ARTE !
Comment prépare-t-on un tel tournage ?Mentalement. Tous ceux qui ont été tentés avant moi de réaliser un film en un seul un plan-séquence l'ont fait en essayant d'imiter un film normal. C'est-à-dire avec d'innombrables répétitions pour atteindre la perfection, pour contrôler l'incontrôlable. Le projet qui se rapproche le plus du mien en terme de forme, c'est L'Arche russe, de Sokourov, qui a été tourné en un seul plan dans le musée de l'Ermitage mais c'est un film contrôlé de partout. Victoria, au contraire, parle de la perte de contrôle, du partage des responsabilités. C'est une improvisation au sens musical du terme. Une improvisation punk.
Mais vous aviez des cascades à gérer, on n'improvise pas des cascades...Une improvisation ne consiste pas à se retrouver et à jouer ensemble. Il y a des règles. Quel style de musique ? Quels instruments ? Quel rythme ? Si tu amènes une guitare électrique pour jouer The Star-Spangled Banner dans une impro de free jazz, tu te fais virer. Même la musique punk répond à un cahier des charges précis. Je suis persuadé qu'un punk ne pourrait pas boire une bière dans un verre en cristal sans se faire lyncher. Bien sûr qu'on a fait des répétitions, bien sûr que les acteurs avaient une trame pour leurs dialogues. Mais l'organisation du plateau n'a pas été le plus dur. Il fallait avant tout que le film ait l'air vivant, et que les acteurs ne donnent pas l'impression de jouer. Le plan-séquence, c'est l'outil, il faut inventer tout ce qu'il y a autour. Au 19e siècle, les peintres ont mis la peinture dans des tubes et ont pu poser leur chevalet dans la nature et enfin peindre la vie telle qu'ils la voyaient, et non plus d'après leurs souvenirs, au fond de leur atelier. Mais quand les impressionnistes sont revenus avec leurs tableaux peints sur le vif, on leur a dit qu'ils étaient affreux. Il faut s'habituer à la laideur, ne pas en avoir peur. J'ai le sentiment que les cinéastes ont abandonné l'idée de laideur, ils se sont arrêtés de progresser, d'innover. Ils se sont rendus à la beauté. Tous les films se ressemblent, ils sont impeccables, mêmes ceux tournés caméra à l'épaule. Aujourd'hui, la beauté des tableaux des impressionnistes ou du Caravage n'est plus remise en cause, c'est même devenu la quintessence de la beauté. Mais on s'interroge toujours sur celle de Francis Bacon. La plupart des cinéastes contemporains se sont arrêtés aux impressionnistes. Et il y a peu de Francis Bacon qui, tout en admirant le Caravage, ose retourner le canevas pour peindre sur le mauvais côté de la toile et voir ce qui peut surgir de cet accident. Ne pas rechercher la perfection mais le flow : c'est une expérience risquée mais enthousiasmante. Sur Victoria, on est passé pas loin de la catastrophe.