jeudi 27 avril 2017

"Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la justice. "



Justice représentée avec le glaive, la balance et le bandeau. 
Sculpture de 1543 par Hans Gieng sur la fontaine de la justice à Berne (Suisse)


A quelle condition serait-il légitime de ne pas voter?
Si le vote est un devoir, dans quelles circonstances faillir à son devoir?
Sujet d'actualité !

Quelques réponses (suggestions) dans l'essai de Henry David Thoreau et dans un entretien passionnant avec Manuel Cervera-Marzal, invité de Adèle Van Reeth (Les Chemins de la Philosophie).




« De grand cœur, j’accepte la devise : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : « que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. Tout gouvernement n’est au mieux qu’une « utilité » mais la plupart des gouvernements, d’habitude, et tous les gouvernements, parfois, ne se montrent guère utiles. […]

Quel est le cours d’un honnête homme et d’un patriote aujourd’hui ? On tergiverse, on déplore et quelquefois on pétitionne, mais on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. On attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal afin de n’avoir plus à le déplorer. Tout au plus, offre-t-on un vote bon marché, un maigre encouragement, un « Dieu vous assiste » à la justice quand elle passe. Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un seul homme vertueux. Mais il est plus facile de traiter avec le légitime possesseur d’une chose qu’avec son gardien provisoire.

Tout vote est une sorte de jeu, comme les échecs ou le trictrac, avec en plus une légère nuance morale où le bien et le mal sont l’enjeu ; les problèmes moraux et les paris, naturellement l’accompagnent. Le caractère des votants est hors-jeu. Je donne mon vote, c’est possible, à ce que j’estime juste ; mais il ne m’est pas d’une importance vitale que ce juste l’emporte. Je veux bien l’abandonner à la majorité. Son urgence s’impose toujours en raison de son opportunité. Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la justice. Cela revient à exprimer mollement votre désir qu’elle l’emporte. Un sage n’abandonne pas la justice aux caprices du hasard ; il ne souhaite pas non plus qu’elle l’emporte par le pouvoir d’une majorité. Il y a bien peu de vertu dans l’action des masses humaines. Lorsqu’à la longue la majorité votera pour l’abolition de l’esclavage, ce sera soit par indifférence à l’égard de l’esclavage, soit pour la raison qu’il ne restera plus d’esclavage à abolir par le vote. Ce seront eux, alors, les véritables esclaves.  
Seul peut hâter l’abolition de l’esclavage celui qui, par son vote, affirme sa propre liberté. »

Henry David Thoreau, in La désobéissance civile, 1849.




Claude Nougaro. Au piano Maurice Vander.

(Ce n'est pas le même topo taureau ! H D Thoreau se prononce à l'anglaise)