Photo 16 avril 2017
Le frêne, photo septembre 2010
Entrée du jardin (à l'esprit) médiéval
AssassinsC'était ma belle route, ce chemin de terre qui venait buter sur la chapelle de Kergornet avant de me conduire à Botzulan. Je le montrais aux amis et aux visiteurs avec une sorte de fierté châtelaine, encore qu'elle appartint à tous puisqu'elle était communale. Ces grosses bêtes jaunes du remembrement l'ont défoncée à jamais. Allez donc savoir pourquoi ! Un ingénieur des Travaux publics en a décidé ainsi, et les talus et les haies sont tombés. Vos gueules les ramures et les oiseaux. Ça doit être ça le progrès...C'était ma voie royale, ce chemin de terre. Il me disait les ans et les saisons, il tournait, montait, descendait entre les chênes et les châtaigniers. Il riait par toutes les lèvres d'un ruisseau qui courait en sa rigole. L'hiver, il subissait fièrement les assauts du vent. L'été, avec toutes ses ombres portées, il était frais comme l'espace d'une basilique.C'était ma voie sacrée, ce chemin de terre. Il disait la chapelle portant le houx toujours verdâtre et jeune, cette plante de la Semaine Sainte. Et les cimes de ses vieux arbres étaient comme les bannières en procession. Fini. On a tout rasé.On pouvait très bien le garder, ce chemin de terre. Simplement pour le plaisir des derniers chevaux, des derniers poètes et des tourterelles. Mais non ! On va le combler. Avec les chênes abattus et les troncs fracassés et les souches. Et on y substituera une route droite, rationnelle, cohérente. C'est cela le fascisme aujourd'hui. Il opère dans le végétal. Au cordeau.
Oui, ma belle route n'est plus qu'un cimetière bouleversé. On a tué ainsi en Bretagne la fantaisie et le charme d'un merveilleux réseau vicinal. La France technocrate n'en a rien à faire. Et c'est tout un testament spirituel que l'on déchire. Et c'est toute une mémoire que l'on moque.De la mer souillée jusqu'aux terres ouvertes, ce monde décidément est plein d'assassins...4-V-78Xavier Grall, in Les vents m'ont dit, éditions Calligrammes, 1991.