« Quand j’ai écrit les pages suivantes, ou la plupart d’entre elles, je vivais seul au milieu des bois, à un miles de mon voisin le plus proche, dans une maison que j’avais construite moi-même sur la berge du lac Walden, à Concord, Massachusetts, et je gagnais ma vie grâce au seul travail de mes mains. J’ai habité là deux ans et deux mois. A présent, je séjourne de nouveau dans la civilisation.
Je n’aurai pas la présomption de réclamer autant l’attention de mes lecteurs si mes concitoyens ne m’avaient posé des questions très précises sur mon mode de vie, que certains taxeraient d’absurdité bien que je n’y voie aucune impertinence, mais compte tenu des circonstances, des questions tout à fait naturelles et pertinentes. Quelques-uns m’ont demandé ce que je mangeais, si je ne me sentais pas seul, si je n’avais pas peur, et ainsi de suite. D’autres ont été curieux d’apprendre quelle part de mes revenus je consacrais à des œuvres charitables ; d’autres encore, nantis d’une nombreuse famille, combien d’enfants pauvres j’entretenais. Je demanderai donc à mes lecteurs qui ne s’intéressent guère à moi, de me pardonner si dans ce livre j’entreprends de répondre à certaines de ces questions.
Dans la plupart des livres, le je ou la première personne est omis, dans celui-ci il sera conservé ; cela, sur le plan de l’égotisme est la principale différence. Nous oublions souvent qu’après tout, c’est toujours la première personne qui s’exprime. […] Mieux, j’exige, moi, personnellement, de chaque écrivain, grand ou petit, un récit simple et sincère de sa propre vie, et pas seulement ce qu’il a entendu dire de la vie des autres ; le genre de compte-rendu qu’il pourrait envoyer d'une terre lointaine à sa famille, car s’il a vécu avec sincérité il l’a forcément fait, selon moi, dans une terre lointaine. »
Henry David Thoreau, in Walden ou la vie dans les bois.
(Texte lu hier dans les Chemins de la Philosophie, semaine consacrée à H D Thoreau. En 2012... déjà... mais je ne m'en lasse pas de Thoreau).