vendredi 12 septembre 2014

Saint Apollinaire*

* ce jour.

[Nîmes, le] 12 janvier 1915. 

[...]

Mon Lou, je veux te reparler maintenant de l'Amour
Il monte dans mon cœur comme le soleil sur le jour
Et soleil il agite ses rayons comme des fouets
Pour activer nos âmes et les lier
Mon amour c'est seulement ton bonheur
Et ton bonheur c'est seulement ma volonté
Ton amour doit être passionné de douleur
Ma volonté se confond avec ton désir et ta beauté.
Ah! Ah! te revoilà devant moi toute nue
Captive adorée, toi la dernière venue
Tes seins ont le goût pâle des kakis et des figues de barbarie
Hanches, fruits confits, je les aime, ma chérie
L'écume de la mer dont naquit la déesse
Évoque celle-là qui naît de ma caresse.
Si tu marches, Splendeur, tes yeux ont le luisant
D'un sabre au doux regard prêt à se teindre de sang
Si tu te couches, Douceur, tu deviens mon orgie
Et le mets savoureux de notre liturgie
Si tu te courbes, Ardeur, comme une flamme au vent,
Des atteintes du feu jamais rien n'est décevant
Je flambe dans ta flamme et suis de ton amour
Le phénix qui se meurt et renaît chaque jour.
                     Chaque jour
                     Mon amour
                     Va vers toi ma chérie
                     Comme un tramway
                     Il grince et crie
                     Sur les rails où je vais
La nuit m'envoie ses violettes
Reçois-les car je te les jette.
Le soleil est mort doucement
Comme est mort l'ancien roman
De nos fausses amours passées.
Les violettes sont tressées.
Si d'or te couronnait le jour
La nuit t'enguirlande à son tour.

   Mon Lou, mon amour, je t'embrasse mille fois, je te prends toute passionnément, de toutes mes forces, de partout, je te prends, je t'aime je t'adore, je ne vis que pour [que] tu sois à moi, ma chose, ma chose obéissante et adorable.

                                                                                                                            Gui.

Apollinaire, Lettres à Lou.