lundi 8 septembre 2014

"... j"aimerais réduire à néant, dans l'homme, le non-artiste

 
 Peter Handke
(Photo APA HERBERT NEUBAUER)
  


"Une piscine : et la nature tout autour perd toute existence"
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"Dans les cafés de mon pays natal, ces vieux qui lisent des journaux; et les pestilences verbales de s'élever aussitôt : "Hitler, à côté de ça..." "... mais ils étaient tous pour nous!", "Je ne suis pas contre les Juifs, mais...", "honnêtement, j'aime presque mieux les Juifs sur le plan économique", "Malheureusement on ne peut pas recommencer une vie." Une bourriche fétide, pleine d'innombrables pinces de crabes qui gigotent et n'arrêtent jamais de crisser; les corps des crabes sont déjà crevés mais les pinces, de toute éternité continuent à remuer et à crépiter dans le chanci et dans la moisissure. Parmi les vieillards un seul demanda : "Avez-vous vu l'éclipse de lune hier?" et s'entendit répondre : "Non, mais elle est reproduite dans le journal." Loué soit celui qui pose la question. D'ailleurs il n'était pas l'un des leurs; il dit que l'éclipse avait été "merveilleuse", mais visiblement il ennuyait avec ses récits tous ces gens autour de lui, bien établis dans le moisi ("Ballade du café moisi").
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"Aucun citoyen ne connaît le bonheur qui est possible quand on vit un certain temps à l'écart des opinions de la société. Est-ce ce bonheur qui est ridicule ou l'incapacité à le concevoir?"
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"Besoin d'écrire une longue histoire cohérente pour avoir une fois encore la possibilité de faire l'expérience de l'échec"
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"De même que Pascal (dans les Pensées) veut réduire à néant l'homme dans l'homme : "S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante; et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible"), j'aimerais réduire à néant, dans l'homme, le non-artiste (en moi et en toi)"
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Hier pour la première fois de ma vie j'ai pu penser, entendre, voir avec insouciance : ni le bien ni le mal ne pesaient sur ma poitrine et j'ai pensé pour la première fois et avec joie : "je ne suis plus écrivain". Grand bienfait : tout m'entourait, rien ne faisait pression sur moi, je n'étais plus que celui qui marchait et je pouvais me dire : "je ne vais plus écrire, je ne ferai plus qu'en donner l'apparence" (on va voir)

Peter Handke, in L'histoire du crayon, 1982, éditions Gallimard, 1987 pour la traduction française.

Dans ce livre fait de notes prises par Peter Handke pendant qu'il écrivait Histoire d'enfant et Par les villages, le fragmentaire devient continu, comme une épopée dont la trame resterait en filigrane. On assiste à la naissance de l'écriture, à son éclosion, que chacun peut ainsi revivre. Insensiblement, vie quotidienne et création littéraire se confondent, et le lecteur voit l’œuvre germer en lui-même : il est, grâce à ces notes, ramené à ce moment initial où elle est sur le point de se faire. Ces pages restituent pour chacun cette frange exactement située là où l'intuition devient texte, où s'opère cette métamorphose qui fait apparaître hommes et paysages. Il s'en dégage une façon nouvelle et très simple de voir le monde : à la fois offert à la vue de tous et toujours à redécouvrir.

4e de couverture.

Encore un ouvrage que j'ai fait remonter du sous-sol de la médiathèque où il était relégué! Cependant pas disparu ni mis au pilon. Merci, grand plaisir de lecture.
Peter Handke est né le 6 décembre 1942 en Autriche. Sur la photo du haut il a 71 ans et je découvre celle-ci, très originale. Est-il en train de coudre (je pense que oui)? Aurait-il un crayon entre les orteils (0_0)? Ecrit-il avec ses pieds pendant qu'il coud (je pense que non;-))?

 
 
Peter Handke II, Chaville, 2009
  Le Prix Ibsen lui a été attribué le 20 mars 2014