samedi 1 janvier 2011

2011, mes contemplations

1er janvier 2011.
Les golfs sont fermés ce jour-là mais… … je ne pouvais pas commencer l’année sans faillir à la tradition de tout golfeur passionné - pour ne pas dire givré - sans aller faire quelques trous. Si, dans le club que je fréquentais en région parisienne la tradition était tenace, les mordus faisaient leurs 18 trous par n’importe quel temps (pluie, neige ou vent) puis trinquaient au 19è trou, le vestiaire, le club house étant fermé ce jour-là, ici, en province, point de givrés passionnés pour cette tradition. Je me retrouvais donc seule (pour mon plus grand bonheur) sur le parcours, givrée donc, me satisfaisant de neuf trous, mes menottes un peu gelées me demandaient grâce.

Je décidais ensuite d’aller poursuivre ma balade dans le domaine, jusqu’au château. On peut voir ici quelques photos (plus touristiques que les miennes de ce jour) de cet endroit magnifique sur la rivière de l’Odet, pour ainsi dire, en pleine ville.





Petit moment de bonheur – j’allais dire de félicité – dans le silence du vent, de la rivière, des oiseaux et de la solitude. Parfois je me dis que j’aimerais partager ces moments-là, sans certitude. Les apprécierais-je autant ? Il faudrait pour cela que celui (pas question de celle) qui m’accompagnerait, désirât s’arrêter en même temps que moi devant ce qui me touche, pour dire plus simple, qu’il eût la même sensibilité aux choses de la nature que moi. Ce qui me paraît impossible. Je pense soudain à François Mitterrand qui savait si bien parler du silence et de la solitude, comme de vrais privilèges. Du coup, je viens de lire ce qu’il écrivît un premier janvier :

Mardi 1er janvier 1974

Les bourgeons du camélia blanc se sont ouverts pendant la nuit. J’ai cueilli ma première fleur de l’année. Elle est là, sur ma table, parfaitement dessinée, pure de rouille. J’aime cette fleur sans complaisance, roide, rigoureuse entre ses feuilles vernissées et qui laisse à d’autres les langueurs, les odeurs. Le brouillard, qui colle au sol depuis trois jours, ne s’est pas dissipé. On devine le soleil au-dessus. J’ai pu suivre sa courbe à la fin du jour, hier soir, disque rouge pour paysage japonais. Une longue marche avec les chiens nous a réchauffés. Titus, le basset artésien, a flairé d’innombrables pistes, pour lui seul perceptibles, et déboulé, queue levée à la façon d’un périscope, en jappant comme il ne le fait qu’en ces occasions-là, c’est-à-dire dans l’exercice de son métier de chien courant. Pénétré parfois par le doute, à la croisée de plusieurs traces, lapin, cerf ou chevreuil, il revenait me consulter, l’oreille de travers. Titus ignore la dissimulation, épanche ses humeur et partage ses perplexités. Amolli par les habitudes du confort parisien, il évitait d’abord les buissons épineux. Mais comment résister à la passion de vivre ? Le bonheur, tant qu’il dure, est oubli de soi-même. Quand, au retour, il dormira devant la cheminée, Titus offrira à la chaleur du feu un ventre rose d’égratignures et rêvera tout haut d’épopées. Dick, l’autre chien, setter laveraque de belle taille, bondissait parmi les fougères du sous-bois. Quelle allonge ! Il a tenu dix kilomètres à l’allure d’un cent mètre sur la cendrée, grimpé en quelques sauts les grandes dunes au taillis serré d’ajoncs et d’arbousiers et quand il reparaissait, alors qu’on le croyait à une lieue, c’était pour repartir, le souffle net. Nous nous sommes égarés par plaisir. Un chemin raide nous a conduit à l’une des palombières qui jalonnent les tucs. La nuit tombait. Si nous ne voulions pas nous perdre tout à fait il était temps de chercher des repères. Un château d’eau qui sortait de la brume, au loin, nous a servi d’étoile polaire. Nous sommes rentrés sans un mot, compagnons d’amitié et pourtant séparés, comme on l’est quand l’esprit chevauche au rythme de la marche avant de partir au galop.


François Mitterrand, in La paille et le grain, chronique, éditions La rose au poing Flammarion, 1975.