vendredi 1 décembre 2017

"... il est entré dans le Panthéon de ceux que j'admire, les égotistes, les mégalomanes..."





Josyane Savigneau, Philip Roth (Source)

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"J'aime avant tout les écrivains qui parlent d'eux. Je suis restée très perplexe devant Annie Ernaux affirmant à propos des Années qu'il s'agissait là d'une autobiographie impersonnelle dans laquelle chacun peut se reconnaître. Quelle étrangeté. Je n'aime que les autobiographies personnelles, surtout celles que l'on accuse de narcissisme. Je ne veux pas me reconnaître, mais connaître quelque chose de tout autre. Ce qui m'attire en Roth, c'est ce qui ne me ressemble pas. Je suis une femme, pas juive, née presque vingt après lui dans une petite ville française. Avec lui, je suis à la recherche de son expérience, non de la mienne, heureuse qu'il m'ait rendu familier Newark, son enfance dans le quartier juif de la ville, la haine qu'il a suscitée dans sa communauté. En un seul livre, il est entré dans le Panthéon de ceux que j'admire, les égotistes, les mégalomanes, les tout-puissants qui croient en la force et la vérité de leur fiction. J'allais aussitôt me conforter dans mon admiration avec L’Écrivain fantôme, où j'ai souligné cette phrase en me disant qu'il faudrait un jour la mettre en pratique : " Quand on admire un écrivain, on est curieux de le connaître. On cherche son secret - les clefs de son puzzle."
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1992. En dépit de mon désir, je me sentais un peu coupable de vouloir rencontrer Roth. Pourquoi aller voir un écrivain qu'on admire? Ses livres ne sont-ils pas la seule "approche" légitime? La curiosité pour l'homme n'est-elle pas un travers journalistique? Par chance j'avais, d'une certaine manière la caution de Marguerite Yourcenar, dont je venais d'écrire la biographie. Elle qui assurait dédaigner l'anecdote biographique et affirmait qu'un écrivain se trouve tout entier dans son œuvre, se plaignait néanmoins, dans sa correspondance, qu'on ait publié un essai sur elle sans lui rendre visite, et ajoutait : "Moi qui aurais tant donné pour connaître Cavafy, ou avoir de Mann une autre expérience qu'un simple échange de lettres." Et plus loin : "Moi qui aurais donné un an de ma vie pour rencontrer Hadrien." Ainsi "amnistiée", j'allais chercher à obtenir un rendez-vous avec Philip Roth. J'en avais d'autant plus envie que depuis des années, au Monde, une femme qui n'aimait pas ses livres m'avait empêchée d'écrire sur lui. Désormais, c'était moi qui dirigeais, j'étais libre de ma décision."

Josyane Savigneau, in Avec Philip Roth, éditions Gallimard, 2014.

"Snobé par le Nobel, Philip Roth entre dans la Pléiade"
(Le Figaro, 2/10/2017)