vendredi 2 septembre 2016

"Le voyage ce n'est pas aller quelque part mais partir"

Jeudi 1er septembre.

Partir en voyage. Partir pour fuir quelque temps la réalité. Je tombe dans ce piège et déjà je m'angoisse. Peur d'une crise (vertiges) avant ou le jour du départ. Je suis fatiguée. Sortir la valise et les sacs de voyage de leur remise, monter sur l'escabeau pour les attraper. Les regarder au sol, se dire qu'il faut les remplir et déjà le tournis. Faire de la route dans cet état n'est pas le pire. Le pire c'est la préparation : ouvrir le placard, les tiroirs, la penderie. Que mettre dans la valise, quel temps va-t-il faire... Je referme les portes, les tiroirs et je m'assois. Je remets à plus tard. Je n'aurai pas dû réserver ces locations. J'étais si désespérée, il fallait que je me projette dans un ailleurs. Un ailleurs toujours le même en fait. Arrêter de ressasser. Comprendre Admettre l'incompréhensible.  Et puis... le reste qui se délite... 

Je disais que Thomas Bernhard avait écrit pour moi, mais plus fort encore : je suis Thomas Bernhard (ça c'est un clin d’œil à l'ami qui m'a écrit pour me dire que Thomas Bernhard avait aussi écrit pour lui). Non mais! 

Extrait de Béton (Rudolf, le narrateur, affaibli, prépare son voyage à Palma) :

"Ai-je bien emballé tous les médicaments? [...] Ai-je inspecté la maison [...]? Ai-je dit... Ai-je fait... [...] Je m'interrogeais et je me répondais. Mais le temps ne voulait pas passer. Je me suis levé et je suis descendu dans le vestibule et j'ai examiné mes valises, je voulais savoir si elles étaient assez solidement fermées et j'ai vérifié les serrures. Pourquoi est-ce que je m'inflige tout cela? me suis-je demandé. Je me suis assis dans la pièce du bas, côté est, et j'ai contemplé le portrait de mon oncle [...]. [...] J'avais déjà aux pieds mes chaussures de voyage, tout ce que j'avais sur moi était trop pour moi, tout était trop étroit et trop lourd pour moi. [...]
[...]
Déjà en moi-même, je me révoltais très violemment contre mon départ. Mais, en fait, je ne pouvais plus l'annuler. [...] Une paire de souliers noirs et une paire de souliers bruns me suis-je dit, et une paire pour le temps de chien. Pour marcher le long du môle, ce que j'ai toujours aimé faire. Mais marcher, il ne fallait pas y songer, naturellement. Tu vas descendre tout doucement jusqu'au môle et faire tes observations et voir jusqu'où tu vas. Les premiers jours d'un changement de climat aussi radical sont les plus dangereux, tu ne dois pas présumer de tes forces, me suis-je dit. Comme je l'ai constaté moi-même avec effroi, les gens arrivent à neuf heures du matin, passent sous la douche puis se ruent sur une partie de tennis et, à deux heures de l'après-midi, ils sont déjà au cimetière. Le Sud fait disparaître immédiatement les morts. Tout, lentement, se lever lentement, petit-déjeuner lentement, aller en ville lentement, mais mieux vaut ne pas aller en ville dès le premier jour, seulement descendre jusqu'au môle. Sur quoi j'ai respiré profondément et je me suis levé en me redressant le plus possible et puis je me suis laissé tomber dans le fauteuil, épuisé.

Pages 108 - 115 - 116.

Thomas Bernhard, in Béton, éditions Gallimard, collection L'Imaginaire, 1985. 
Dans ma valise j'ai déjà mis Le Naufragé et Goethe se mheurt du même auteur! Pas gai? Mais si mais si!

"Thomas Bernhard dit de ses pièces de théâtre : «Tout est drôle. Exactement comme dans ma prose où on ne doit jamais savoir précisément si, à tel ou tel endroit, il faut éclater de rire ou non. C’est de ce funambulisme que procède le plaisir.» Lui-même estime que, malgré l’aspect suicidaire qu’on lit dans son œuvre, il est quelqu’un de «gai»."

C'est ainsi que je perçois l'œuvre de Thomas Bernhard.

Revu lundi soir Conte d'été de Rohmer. Un délice avec toutes ces contradictions des personnages. Je crois avoir écrit un jour ici* (ou alors à un ami?) que je ne pourrais jamais aimer un homme qui n'aimerait pas - ou serait indifférent aux  - les films d'Eric Rohmer. C'est idiot en fait de dire cela. Mon Amour, je l'ai aimé inconditionnellement.

* Vérification : Mais oui, je l'ai dit! C'est ici.

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