lundi 20 février 2017

Liberté de penser, liberté de vivre et de mourir comme il nous plaît

Ferney, 4 mai 1772.
"Il faut bien,  Monsieur, que chacun fasse son testament ; mais vous vous doutez bien que celui qu’on m’impute n’est point mon ouvrage. L’Ancien et le Nouveau Testament ont fait dire assez de sottises, sans que j’y ajoute les miennes. Mes prétendues dernières volontés sont la production d’un avocat de Paris, nommé Marchand, qui est le loustic du barreau. C’est une espèce de cible qui fait rire quelquefois par ses plaisanteries. J’espère que mon vrai testament sera plus honnête et plus sage. Le malheur est qu’après avoir été esclave toute sa vie, il faut l’être encore après sa mort. Personne ne peut être enterré comme il voudrait l’être. Ceux qui seraient bien aises d’être dans une urne sur la cheminée d’un ami, sont obligés d’aller pourrir dans un cimetière ou dans quelque chose d’équivalent ; ceux qui auraient envie de mourir dans la communion de Marc-Aurèle, d’Epictète et de Cicéron, sont obligés de mourir dans celle de Calvin s'ils sont à Genève et dans celle du Pape s'ils sont à Rome. J’avoue que, depuis quelques années, on meurt plus commodément qu’autrefois vers le petit pays que j’habite ; la liberté de penser s’y établit sensiblement comme en Angleterre. Il y a des gens qui m’accusent de ce changement ; je voudrais avoir mérité ce reproche, depuis Constantinople jusqu’à la Dalécarlie. Il est ridicule et horrible de gêner les vivants et les morts. Chacun, ce me semble doit disposer de son corps et de son âme à sa fantaisie. Le grand point est de ne jamais molester ni le corps ni l’âme de son prochain, à supposer que ce prochain ait une âme. Notre consolation, après notre mort, est que nous ne saurons rien de la manière dont on nous aura traités. Nous avons été baptisés sans en rien savoir ; nous serons inhumés de même. Le mieux serait peut-être de n’avoir point reçu cette vie dont on se plaint si souvent, et qu’on aime toujours ; mais rien n’a dépendu de nous. Nous sommes attachés, comme dit Horace, avec les gros clous de la nécessité, […]".
 
Lettre de Voltaire au Père Théophile-Imarigeon Duvernet, Abbé Duvernet – 4 Mai 1772 au Château Ferney.

(Source NCC, émission du jour)