... Ce festival sarcastique reflète plutôt une soif de revanche des enfants sur le monde adulte."
(Jean Baudrillard).
«Sur les réseaux sociaux, chacun est heureux en ménage, en vacances dans les Caraïbes et lit la presse quotidienne. Dans le monde réel, beaucoup sont en colère, en train de faire la queue au supermarché, un œil sur un tabloïd et ignorant l’appel d’un conjoint avec qui ils n’ont pas couché depuis des années», affirme Seth Stephens-Davidowitz. On se doutait de cette dichotomie entre mythe personnel et réalité, mais ce data analyst a passé quatre ans immergé dans les recherches Google de ses contemporains pour en mesurer l’ampleur. Et publier ses conclusions, fin juin, aux Etats-Unis, dans un ouvrage intitulé Everybody lies, big data, new data, and what the internet can tell us about who we really are (Tout le monde ment, big data, nouvelles données, et ce qu’Internet peut nous apprendre sur ce que nous sommes vraiment).[...]
«Lorsque nous interrogeons Google, cela ne dit rien de nos états d’âme [...]. Or pour en faire un indicateur de vérité sociale, il faudrait identifier le contexte. D’autant plus que Google suggère des termes associés qui peuvent dévier les recherches individuelles.»
– Pourquoi certains en arrivent-ils à prétendre être dans des lieux où ils ne sont même pas?– Nous sommes arrivés à la société de l’affabulation, du simulacre: notre rapport à l’identité passe désormais par tout un panel de médias qui deviennent des prothèses narcissiques où l’on peut inventer une nouvelle narration de soi pour soutenir un narcissisme défaillant. Et l’on finit presque par croire qu’on est cet alter ego qui passe ses vacances à l’autre bout du monde, car nous sommes aussi dans la société du faux self qui répond à l’exigence sociétale actuelle de triomphe, performance, jouissance… Mais en réalité, feindre finit par épuiser."(Article de Julie Rambal, la suite : Le Temps.ch)
(A lire sur le sujet : Google révèle nos recherches secrètes Les Echos.)
"Durant la Révolution, les livres sont exposés à leur plus grand prédateur : l'homme. Ils subissent également des dégradations provoquées par l'humidité, le feu mais aussi les rongeurs et les insectes qui s'en nourrissent."
"Dès 1939, face aux menaces du siècle, le poète souhaite voir ses ouvrages rassemblés à la bibliothèque de sa ville natale (Quimper)."
Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes! Ah! pénétrantes jusqu'à la douleur! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de l'Infini.Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur! une petite voile frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite!); elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions.Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses.Et maintenant la profondeur du ciel me consterne; sa limpidité m'exaspère. L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle me révoltent... Ah! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu.Charles Baudelaire, Petits Poèmes en prose, III, le Confiteor de l'artiste.
"Je me trompe peut-être, mais je crois que dans ces rares moments où tu es seule face à toi-même, tu souffres. Et d'une certaine façon, tu sais, cela me rassure.C'est de cela que je voulais te parler dans cette lettre, de notre souffrance. [...] Ce que je crois, c'est que tu as dû affronter très tôt une souffrance épouvantable et que cette souffrance, ce n'est pas seulement la disparition tragique de ton père, mais tout ce qu'il était : son tourment, sa noirceur, son horreur de la vie dont il t'a fait la confidente. L'homme que tu aimais le plus au monde se voyait comme une chose irrémédiablement pourrie - ce qu'il m'arrive, à moi, de penser pour mon compte. Tu as dû porter cela. Et tu as fait, très tôt aussi, le choix de nier la souffrance. Pas seulement de la cacher et d'appliquer ce que tu dis toi-même être la maxime de ta vie, never complain, never explain : non, de la nier. De décider qu'elle ne devait pas exister. C'était un choix héroïque. Je trouve que tu as été héroïque. De la jeune fille pauvre et radieuse dont j'aime tant regarder les photos jusqu'à l'apothéose sociale de ces dernières années, tu as suivi ta route sans jamais en dévier, avec une détermination et un courage qui me laissent pantois, mais sur cette route, forcément, tu as fait beaucoup de dégâts. Tu t'es interdit de souffrir mais tu as interdit aussi qu'on souffre autour de toi. [...] Tu ne nous a pas niés, non, tu nous a aimés, [...] mais tu nous a dénié le droit de souffrir et notre souffrance t'entoure au point qu'il fallait bien qu'un jour quelqu'un la prenne en charge et lui donne voix.Tu étais fière que je devienne écrivain. Il n'y a rien de mieux, à tes yeux. C'est toi qui m'as appris à lire et à aimer les livres. Mais tu n'as pas aimé la sorte d'écrivain que je suis devenu, la sorte de livres que j'ai écrits. Tu aurais voulu que je sois un écrivain, comme, je ne sais pas, Erik Orsenna : un type heureux ou qui, en tout cas, le paraît. Moi aussi, j'aurais bien voulu. Je n'ai pas eu le choix. J'ai reçu en héritage l'horreur, la folie, et l'interdiction de les dire. Mais je les ai dites. C'est une victoire.Je voudrais te raconter un souvenir d'enfance. C'était à la piscine, en vacances, au soleil. Je devais avoir cinq ou six ans, j'apprenais à nager. Le moniteur, tout en me soutenant, me faisait traverser le petit bain. Tu étais assise, toi, à l'extrémité du bassin, sur les marches, les pieds dans l'eau, et tu ne me quittais pas des yeux pendant que je prenais une leçon. Tu portais un maillot une pièce à rayures noires et blanches. Tu étais jeune, tu étais belle, tu me souriais et je t'aimais comme, depuis, je n'ai jamais pu aimer aucune femme, aucune n'a jamais fait le poids, sauf, maintenant, ma fille. Traverser le bassin, cela voulait dire aller vers toi. Tu me regardais approcher, et moi, le menton hors de l'eau, la main du moniteur sous mon ventre, je te regardais me regarder et j'étais incroyablement fier et heureux de m'approcher de toi en nageant, d'être regardé par toi en train de nager.C'est étrange, mais parfois, en écrivant ce livre, j'ai retrouvé cette sensation inoubliable : celle de nager vers toi, de traverser le bassin pour te rejoindre."Emmanuel Carrère, in Un Roman russe, éditions P.O.L., 2007.
"Dans Un roman russe, j'ai fait le pari de rassembler des choses qui pouvaient paraître hétérogènes : d'un côté l'histoire au sens large de la Russie contemporaine, de l'autre celle de ma famille, mes rapports avec la langue russe, ma vie amoureuse... Tout cela, j'espère, est unifié par le "je". Le "je" de ce livre-là, c'est vrai, est à la fois narrateur et protagoniste : non seulement c'est moi qui parle, mais encore je parle de moi. Mais je ne l'ai fait qu'une fois, un peu pour déblayer le terrain, et plus j'avance plus je pense que l'usage de la première personne n'est pas forcément lié à l'épanchement autobiographique. Le "je" peut s'éloigner de soi, devenir de plus en plus un témoin, une plaque d'enregistrement, une voix."
(Entretien avec Raphaëlle Rérole, Le Monde)