jeudi 28 mars 2019

Vivre chaque instant comme si c'était le dernier





Portrait de Marc Aurèle adolescent, type dit « de l'adoption ». 
Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre.
(Crédit photo : Pierre Selim pour Wikipédia)


« Jette tout, ne garde que peu de choses, et encore souviens-toi que chacun ne vit que dans l’instant présent, dans le moment, le reste c’est le passé ou un obscur avenir. Petite est donc l’étendue de la vie, petit le coin de terre où l’on vit, petite la plus longue renommée dans la postérité, elle dépend de la succession de petits hommes qui vont mourir très vite et qui ne connaissent ni eux-mêmes ni ceux qui sont morts il y a longtemps.

De même que, si un Dieu te disait : tu mourras demain ou tout au plus après-demain, tu n’attacheras pas grande importance à ce que ce soit après-demain plutôt que demain, si du moins tu as quelque noblesse, car qu’est-ce que cet intervalle ? De même ne pense pas qu’il soit important de mourir dans plusieurs années plutôt que demain. Secours vulgaire mais pourtant efficace pour mépriser la mort.

Rappeler à sa mémoire tout ceux qui s’opiniâtrent à rester en vie ; qu’ont-ils de plus que ceux qui sont morts prématurément. De toute manière, les voici gisant quelque part : Cadicianus, Fabius, Julien, Lepidus et pareilles gens qui, après avoir fait partir tant d’hommes sont partis à leur tour.

Au total, c’est une courte durée. A travers combien d’événements, avec quels gens, dans quels corps s’épuise-t-elle ? N’en fais donc pas une affaire.

Regarde en arrière le gouffre du temps et en avant un autre infini. En lui, quelle différence entre trois jours de vie et le triple de la durée de vie de Nestor * ? »

[...]
 
« La durée de la vie humaine ? Un point. Sa substance ? Fuyante. La sensation ? Obscure. Le composé corporelle dans son ensemble ? Prompt à pourrir. L’âme ? Un tourbillon. Le sort ? Difficile à deviner. La réputation ? Incertaine.

Pour résumer, au total, les choses du corps s’écoulent comme un fleuve, les choses de l’âme ne sont que songes et fumées. La vie est une guerre et un séjour étranger, la renommée qu’on laisse, un oubli. Qu’est-ce qui peut la faire supporter ? Une seule chose : la philosophie. Elle consiste à garder son démon intérieur à l’abri des outrages, innocent, supérieur aux plaisirs et aux peines, ne laissant rien au hasard, acceptant les événements et le sort et surtout, attendant une mort propice à la pensée puisqu’elle n’est rien que la dissolution des éléments dont tout être vivant se compose. Mais s’il n’y a rien de redoutable, pourquoi craindrait-on le changement et la dissolution totale, car c’est conforme à la nature. Or nul mal n’est conforme à la nature. »

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même.


A écouter sur France Culture, une semaine avec Marc Aurèle dans Les Chemins de la Philosophie.



* (Nestor est un être légendaire qui aurait vécu trois générations).