samedi 3 février 2018

Chère Madame Sagan...

... je vous adore ! 



Et je regrette, ô combien, de ne pas vous avoir croisée en 68 quand je faisais du stop dans le 15e, pour aller rue Saint-Jacques non loin de la Sorbonne. J'aurais peut-être "cédé à l'effroi" dans votre "jouet", mais avec jubilation.

Un écrivain écrit des livres. Parfois, il se peut qu'il les relise. Mais jamais publiquement.
Or, c'est exactement ce que Françoise Sagan a entrepris de faire [dans son ouvrage Derrière l'épaule...]. Constatant qu'au fond, les dates de ses œuvres sont les "seules bornes vérifiables, ponctuelles" de l'histoire de sa vie, de Bonjour tristesse à Un chagrin de passage, la voilà qui replonge dans ses célèbres romans, et qui les commente tout haut, avec une sincérité décapante. Elle réfléchit sur leurs qualités, leurs défauts, refait la critique des critiques, laisse son esprit flâner, par associations d'idées, sur les gens, les événements, l'époque environnante. [...]... en somme, la mémoire de sa vie. Un ouvrage extrêmement  "saganesque" : nostalgique, drôle, lucide.
4e de couverture
Extraits :
"[...] 68 fut une année des plus amusantes et peut-être plus libératrice que je ne le pensais. Je reçus des bombes lacrymogènes chez Régine et je fis le taxi, des journées entières, dans Paris, allant où désiraient aller les auto-stoppeurs les plus divers. Certains d'entre eux, qui avaient bravement défié les forces de l'ordre, cédaient parfois à l'effroi une fois dans ma voiture. Je conduisais très librement et mes jouets favoris me furent reprochés un soir, à l'Odéon, où une joyeuse et vociférante assemblée se passait le micro de l'un à l'autre, applaudis ou hués, pour évoquer la liberté, les régicides, le prix des pommes de terre et le cinéma muet. Il s'en trouva un parmi eux qui, brandissant un micro à l'autre bout de la salle, s'écria : "Madame Sagan est venue en Ferrari, bien sûr, apprécier la révolte des camarades étudiants !" Des vociférations dont j'ignorais le sens s'ensuivirent. On m'envoya le micro, auquel il fallut deux bonnes minutes pour me rejoindre, ce qui me donnait le temps de chercher une parade cinglante (que je ne trouvai pas). Je me bornai à me lever et à m'écrier dans le micro d'un air sévère : "C'est faux ! C'est une Maserati !" Comme on le sait, le rire est le plus fort argument, en France tout au moins."
Pages 103-104, chapitre Un peu de soleil dans l'eau froide.

On peut voir ici Françoise Sagan au volant de la "petite" Ferrari California 250 vers 1966
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" Pour en finir avec Des bleus à l'âme dont j'ai peu parlé, je dirais quand même que c'est peut-être le seul livre que je pourrais opposer à un détracteur de mon œuvre. [...] Enfin, pour les gens qui ont envie de me connaître, c'est peut-être le plus personnel de mes livres. Voilà huit lustres (défense de prendre le dictionnaire) que l'on me somme ou que l'on me demande de parler de moi, de me mettre moi-même en scène, de me livrer; bref, d'écrire mes mémoires, ce qui m'est impossible []. Plus simplement, on me demande de me démasquer, de montrer mon vrai visage qui, pendant ces huit lustres, aurait été soigneusement dissimulé. Je ne crois pas que l'on puisse afficher si longtemps une apparence mensongère, car il est vrai que je ressemble beaucoup à la personne un peu incertaine, excessive et contradictoire, telle que l'on m'a si souvent décrite, et avec raison. Mais en fait, je n'ai aucune envie de parler de moi ni de ma vie passée. C'est l'une des grandes récompenses, l'un des grands avantages de la célébrité : elle vous fatigue de vous. Quand on vous présente cinq ou douze images, vraies ou fausses, de vous-même, vous finissez par vous en dégoûter et vous en détourner : c'est qu'on ne cherche plus dans l’œil des autres cet éternel adolescent que nous avons été et qui ne survit que sous le triste nom de prétention.

Je connais cette faim, ou je l'ai connue plutôt jusqu'à dix-huit ans. Les mille reflets que l'on m'a présentés depuis cette époque, dans des miroirs plus ou moins flatteurs et plus ou moins exacts, m'ont rendue parfaitement indifférente à mon sujet. Ma vérité, si on admet qu'un être humain puisse vivre une vérité claire et durable, ma vérité se trouve sans doute dans mes livres, aussi primaires qu'ils paraissent être parfois à ma sensibilité ou à mon intelligence initiales. Écrire, ce n'est pas se révéler, c'est projeter de soi-même l'image que l'on voudrait voir retenue par les autres, une image essentielle à découvrir pour chacun. Peut-être ces propos sont-ils confus et peu compréhensibles, mais quiconque fait attention ou se comprend lui-même avec quelque froideur ou quelque sévérité, quiconque se voit, un jour ou l'autre, dans une glace marchant à côté de lui-même comme d'un autre, ce quelqu'un-là me comprendra très bien.
Pages 112-113-114-115, chapitre Des bleus à l'âme.

Françoise Sagan, in Derrière l'épaule..., éditions Plon, 1998.


Françoise Sagan, 1937



LA VITESSE par Françoise Sagan : 
«Elle aplatit les platanes au long des routes, elle allonge et distord les lettres lumineuses des postes à essence, la nuit, elle bâillonne les cris des pneus devenus muets d'attention tout à coup, elle décoiffe aussi les chagrins: on a beau être fou d'amour, en vain, on l'est moins à 200 à l'heure».
«La vitesse rejoint le bonheur de vivre et par conséquent le confus espoir de mourir».