lundi 22 janvier 2018

Georges Perros, Une vie (pas si) ordinaire

Journal.
31 décembre 2017.

Je relisais depuis deux jours Poèmes Bleus de Georges Perros.

KEN AVO

J'avais quitté la Seine-et-Oise de bon matin
Ma mansarde là-haut, sur la colline
Où l'on observe les astres et les fusées
Mon poêle à pétrole, mes pipes
Mes livres, mes poussières, ma fenêtre
D'où je pouvais ne pas regarder la Tour Eiffel
Qui tourne de l’œil tous les soirs
Le Panthéon, le Sacré-Coeur, ce fromage blanc
D'autres choses encore, indicibles
Pour le moment,
Les toits de Paris.
J'allais une fois encore vers cette Bretagne
Qui m'a très jeune fasciné
Qui m'est aimant quand je suis loin
Qui m'est douleur quand de trop près
J'en subis la loi inflexible
De pierres de ciels d'horizons.
[...]





Georges Perros (1923-1978)



Photos capturées lors de l'exposition (2016)  à Douarnenez
A hauteur d'homme
qui rendait hommage au  photographe Michel Thersiquel



Michel Thersiquel (1944-2007), Autoportrait 

"Avant d'entamer une carrière d'écrivain, Georges Perros étudie d'abord le piano puis l'art dramatique au Centre du Spectacle de la Rue Blanche avant d'être reçu à la Comédie-Française. Ce qui lui permettra de rencontrer Jean Grenier lors d'une tournée de la compagnie au Caire. Puis, aux côtés de son ami Gérard Philipe, il est au festival d'Avignon avec Jean Vilar, Maria Casares, Maurice Jarre le musicien, la photographe-cinéaste Agnès Varda, Jeanne Moreau et beaucoup d'autres jeunes artistes dont beaucoup deviendront célèbres. Il devient lecteur pour Jean Vilar au TNP du théâtre de Chaillot. S'ennuyant à la figuration théâtrale, il décide de quitter la scène pour se consacrer à la littérature, publiant dès 1953 ses premières notes dans La Nouvelle Revue Française de Paulhan, et traduisant des pièces de Tchekhov et Strindberg." (La suite sur Wikipédia).
C'était la première fois que j'entendais la voix, grave, de Perros, grâce à cette épatante vidéo. Je ne connaissais de lui que ses livres, sa poésie et des photos, figées. J'étais un peu émue par sa simplicité, sa pudeur, son humour et son sourire indicibles.

"Tout m'émeut comme si j'allais disparaître dans le moment ce n'est pas toujours amusant." (Georges Perros)




En rédigeant ce billet, je découvrais qu'il existait une carte postale sonore (un CD de 28 minutes) réalisée en 1983 par un admirateur de Georges Perros : Yann Parenthoën "immense producteur de Radio France, qui reçu en 1984 le prix des Gens de Lettre pour cette pièce". 
Pour écouter le court extrait de ce documentaire Georges au Sporting, c'est ici. Et pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas ses Papiers mâchés (sic) *sourire*, se référer à ses Papiers collés et à cette biographie sur le site Esprits nomades.
Pour poursuivre mon immersion, je cédais, ce 31 décembre, à l'envie de découvrir ce café Le Sporting "où Georges Perros avait ses habitudes". Je partais en voiture en milieu d'après-midi, je tenais le volant fermement, je n'étais pas vraiment rassurée dans ma petite automobile; j'avais l'impression qu'elle allait s'envoler, le vent soufflait en tempête depuis deux jours. On avait eu Bruno, Carmen (0_0) suivait... en attendant Eleanor (quelle fin d'année!). Le 1er janvier à 8 heures, un orage magnifique me laissa dans le noir une bonne heure avec un grille-pain, une bouilloire et un téléphone détériorés par la foudre; je n'avais rien débranché, ça m'apprendra! J'avais eu le temps de chauffer de l'eau dans la bouilloire pour mon thé, de griller mes toasts, j'allumais des bougies et je commençais l'année 2018 ainsi, c'était bonnard! Bizarrement, je jubilais. Donc, le 31 décembre - j'y reviens  à Georges Perros - je roulais dans la tempête; tant pis, je fonçais. Je n'avais rien trouvé sur Internet, pas de café Le Sporting à Douarnenez; j'espérais tout de même le trouver, j'avais le nom de la rue.
Je me garais dans cette rue en arrivant. En ouvrant la portière, celle-ci m'échappa des mains brutalement par la puissance du vent. Bon, va falloir s'accrocher! Sûr que Bécassine, ce jour, aurait pu faire sa maline Marilyn !



La rue n'était guère avenante, le temps n'arrangeait rien. Chercher ce bistrot à l'aveuglette n'était pas une bonne idée. Je décidais d'aller sur la petite place devant les Halles et de demander le renseignement dans un des cafés - qui me rappelait de bons souvenirs : un ami parisien, artiste, originaire de Douarnenez m'y avait emmenée, il connaissait tout le monde et ce jour-là, la terrasse était pleine. Mais aujourd'hui le café était fermé. Une affiche indiquait : 31 décembre, ouvert de 17 h à 22 h. Il était 15 h 29 minutes 14 secondes (hi!) horaire exact de ma prise de vue. Je n'allais pas poireauter dans ce vent fou et, glacial. Je collais mon objectif contre la vitre et photographiais l'intérieur (Miss Marple a toujours besoin de justificatifs de recherches. Non mais! A vrai dire, je n'ai rien d'une Miss Marple, moi j'ai la bougeotte et je serais plus proche du grain de folie de ... ).




J’aperçus alors un petit café à cinq mètres de celui-ci, avec de la lumière, Le Malamock j'entrais pour demander où - s'il existait toujours - se trouvait le bar Le Sporting? Une femme était derrière le zinc, seule, pas un client, "accompagnée" d'une musique tonitruante. Je la saluais avec le sourire et lui posais ma question. - Il n'existe plus depuis longtemps me dit-elle. Je lui parlais de Perros pour expliquer ma démarche mais j'ai eu l'impression que ce nom n'évoquait pas grand chose pour elle : - je ne suis ici que depuis cinq ans dit-elle en s'excusant de ne pouvoir m'aider. Je la remerciais - elle était aimable - et ne prenais pas le temps d'y prendre un café, la musique agressait mes oreilles. Je n'osais pas photographier la devanture en partant. Je trouvais celle-ci sur Internet (avec un ciel bleu qui n'était pas du tout celui du jour).



Donc, pas de bar Le Sporting où Perros allait prendre son café thé le matin, il n'existait plus. Mais non, je n'avais pas fait ce trajet pour rien, je n'étais pas restée à regarder mollement le vent souffler sur ma terrasse, j'avais pris un bol une soupière d'air, je remontais vers ma voiture, avec mes lunettes de soleil pour empêcher mes yeux de couler et le vent de les fouetter. Même pas envie de traîner ni d'aller prendre un thé pour me réchauffer; c'est glauque d'entrer, seule, dans un café un 31 décembre. Vite, à la maison, in my sweet home. J'allais passer un bon réveillon, j'avais emprunté à la médiathèque un film de 3 h 30!!! de Manoel de Oliviera : Val Abraham, d'après l’œuvre originale de Agustina Bessa-Luis, roman d'après Madame Bovary de Flaubert. Mmm! Je devais avoir envie de me "prendre la tête" (j'adore les films de Oliviera), mais là j'ai dû voir le film en deux soirées. Pour un 31 décembre c'était sacrément intellectuel. Bouh!  Les plans étaient tellement lents, j'avais l'impression de vivre un temps réel, impressionnant. Intéressant mais, trop long. Vu il y a quelques semaines, toujours de Manoel de Oliviera, Film parlé, que j'ai beaucoup aimé, et en bonus une interview du réalisateur. Comment font-ils ces nonagénaires (cf. Jean d'Ormesson) pour être si brillants, pour avoir l’œil aussi vif et le verbe aussi facile à cet âge. Oliviera est mort en 2015, à 106 ans. Le 24 décembre j'avais regardé un film-documentaire sur Roy Lichtenstein, plus reposant (quoique avec une longue séquence où la journaliste-galeriste visite l'atelier de l'artiste dans un bruit de perceuse, de ponceuse épouvantable qui ne semble pas gêner Lichtenstein puisqu'il n'intervient pas pour faire cesser ce bruit, auquel se rajoute un téléphone (fixe) qui ne cesse de sonner).

Journal
Du 2 au 19 janvier 2018.

Je tentais d'en finir avec ce billet, je n'y arrivais pas, passant d'un sujet (personnage) à l'autre, mes recherches n'en finissaient pas; du coup, je procrastinais, non ce n'est pas vrai, la vérité : j'avais trop mal aux bras pour continuer de taper sur mon clavier.. J'avais terminé de relire Poèmes Bleus depuis longtemps, je les aimais. Coïncidence, le 5 janvier, France Culture diffusait une émission, Poésie et ainsi de suite : Dans les pas de Georges Perros, que j'écoutais. Décidément, mon immersion perrossienne était totale et j'apprenais par ailleurs que, dans quelques jours, le 24 janvier cela fera 40 ans que le poète a disparu. Sans le savoir ni préméditation, je lui rendais hommage. Je revisionnais les photos que j'avais faites à l'exposition Michel Thersiquel et cela m'amenait vers d'autres poètes bretons...

Xavier Grall, (1930-1981) dont j'ai souvent parlé 
et dont la culture va bien au-delà de la Bretagne 



Photos Michel Thersiquel



Glenmor, que je connais moins
et qui est pourtant une figure importante
de la culture bretonne


Glenmor, le barde dit Milig (1931-1996)
Photo Michel Thersiquel 

 (Cliquer puis afficher pour lire)

Et voilà, je ne devais parler que de Georges Perros, mon je a repris le dessus. Durant cette longue et pénible période de fêêêêttttes, vu quelques films au cinéma: : Santa & Cie (mais qu'est-ce qui m'a pris d'aller voir ce film mortel destiné aux enfants, tsss! me suis ennuyée), Un homme intègre, film iranien de Mohammad Rasoulof, magnifique, révoltant, désespérant (à voir absolument)  et Vers la lumière film japonais de Naomi Kawase, les critiques ne sont pas enthousiastes mais j'ai aimé ce film; peut-être parce que c'est un artiste (photographe) qui perd la vue et qu'un artiste qui ne peut plus créer ni s'adonner à sa passion me touche, particulièrement. La relation qui se noue entre les deux personnages du film (la jeune fille qui fait de l'audiodescription de film pour des aveugles et, le photographe qui peu à peu perd la vue) était bouleversante, sans tomber dans le pathos (prétendu par certains critiques en France, en Suisse on aime). Cet appareil de photo, superbe, le "cœur" de l'artiste (un Rolleiflex), c'est bien son cœur qu'il tient dans sa main quand il le manipule... bon je ne raconte pas la fin (et je raconte si mal) mais je t'ai revu mon Amour quand tu ne pouvais plus tenir ton pinceau, ta brosse, ni soulever une toile pour la poser sur ton chevalet. Je comprenais d'autant mieux pourquoi le photographe refusait l'aide de la jeune Misako. Alors, oui, j'ai eu de la glycérine aux mirettes durant une bonne partie du film. J'avais regardé la bande-annonce avant d'aller le voir et j'avais prévu des kleenex. Mmm ! De plus, je crois que j'avais envie de pleurer, depuis... longtemps et que le film n'était peut-être qu'un prétexte pour laisser couler ces larmes. En sortant de la salle obscure, il tombait des cordes, une aubaine, je me cachais sous mon parapluie.

Journal.
Dimanche 21 janvier 2018.

C'était donc il y a 41 ans...


Lundi 22 janvier.

Aujourd'hui, ça fait exactement 85 jours que je n'ai pas joué au golf, et je ne constate guère d'amélioration pour mes (oui, mes, les deux bras sont atteints) tendinites. Enfin, j'exagère un peu, il y a une amélioration, les douleurs diminuent. Mes séances chez le kiné tous les deux jours me remontent le moral - je n'y vais pas à reculons - et le temps pourri me console.

=0=0=0=0= 

L'amour qu'on éprouve pour un pays
Cela tient à rien
A un bout de ciel détaché
Qui vous prend le cœur en écharpe
Les hommes s'éloignent un peu
L'homme que l'on se sent parfois être
On se hait plutôt que l'on s'aime
Entre nous, entre soi et soi
C'est grand dommage
Mais comment faire pour s'aimer
Plus qu'il n'est permis entre humains?
[...]
[...]

=0=0=0=0=

[...]
Je t'invite à te recueillir
A t'introduire
A l'intérieur de cette région en toi
Restée vierge
Cette région de confidence indicible
Que le rêve habite
Où il revient faire son lit
Ou son nid car il est oiseau
Au rythme de la pulsation horizontale
Quand le sablier se retourne du bon côté
Quand cesse le bruit
De ce langage de politesse et d'ennui
Qui nous va si mal et si bien
Cela dépend des circonstances
[...]
Ce langage inoffensif et roucoulant
Que l'on connaît :
" J'ai vraiment été très heureux de vous connaître...
Vous avez le téléphone?
Il faudra que vous veniez avec votre femme un soir.
Vous jouez au bridge?
Vous travaillez en ce moment?
On devrait vivre six mois à Paris et six mois à la campagne.
Je me demande s'il a vraiment quelque chose à dire...
On ne se voit pas assez, mais Paris...
Il faut absolument que je vous le fasse connaître, un type délicieux.
Et ce prochain livre, il avance?
On vit vraiment comme des fous...
Téléphonez-moi, téléphonez-moi..."

Et ce langage chuchoté 
Dans la chambre à côté
Qu'on entend sans le faire exprès
Ce langage des couples chez eux...
"Tu n'aurais pas dû lui raconter ça, il a fait une drôle de tête.
Elle est plus sympathique que lui, tu ne trouves pas?
Dans le fond, on ne devrait recevoir personne...
Le gigot était un peu trop cuit...
Je me demande s'ils s'aiment toujours...
Qu'est-ce qu'elle te racontait dans la cuisine?
Il a pris un coup de vieux, tu ne trouves pas?"

La vie est longue ainsi parlée
O le froissement des mots
Et des vêtements que l'on retire
Avec difficulté
Les bruits de chaussures qui tombent
Sur le parquet
Le bruit que font les ressorts du lit
Quand les corps s'y couchent ensemble
Et qu'un grand soupir salutaire
Vient sonner le carillonnement
De la journée enfin finie
O le sommeil tonitruant

Des deux corps comme deux semelles
Sous les draps de la nuit tombée
O les corps que nous transportons...

[...]

Poèmes bleus (extraits)
Georges Perros (23 août 1923, Paris - 24 janvier 1978, Douarnenez)