L'amour qu'on éprouve pour un pays
Cela tient à rien
A un bout de ciel détaché
Qui vous prend le cœur en écharpe
Les hommes s'éloignent un peu
L'homme que l'on se sent parfois être
On se hait plutôt que l'on s'aime
Entre nous, entre soi et soi
C'est grand dommage
Mais comment faire pour s'aimer
Plus qu'il n'est permis entre humains?
[...]
[...]
=0=0=0=0=
[...]
Je t'invite à te recueillir
A t'introduire
A l'intérieur de cette région en toi
Restée vierge
Cette région de confidence indicible
Que le rêve habite
Où il revient faire son lit
Ou son nid car il est oiseau
Au rythme de la pulsation horizontale
Quand le sablier se retourne du bon côté
Quand cesse le bruit
De ce langage de politesse et d'ennui
Qui nous va si mal et si bien
Cela dépend des circonstances
[...]
Ce langage inoffensif et roucoulant
Que l'on connaît :
" J'ai vraiment été très heureux de vous connaître...
Vous avez le téléphone?
Il faudra que vous veniez avec votre femme un soir.
Vous jouez au bridge?
Vous travaillez en ce moment?
On devrait vivre six mois à Paris et six mois à la campagne.
Je me demande s'il a vraiment quelque chose à dire...
On ne se voit pas assez, mais Paris...
Il faut absolument que je vous le fasse connaître, un type délicieux.
Et ce prochain livre, il avance?
On vit vraiment comme des fous...
Téléphonez-moi, téléphonez-moi..."
Et ce langage chuchoté
Dans la chambre à côté
Qu'on entend sans le faire exprès
Ce langage des couples chez eux...
"Tu n'aurais pas dû lui raconter ça, il a fait une drôle de tête.
Elle est plus sympathique que lui, tu ne trouves pas?
Dans le fond, on ne devrait recevoir personne...
Le gigot était un peu trop cuit...
Je me demande s'ils s'aiment toujours...
Qu'est-ce qu'elle te racontait dans la cuisine?
Il a pris un coup de vieux, tu ne trouves pas?"
La vie est longue ainsi parlée
O le froissement des mots
Et des vêtements que l'on retire
Avec difficulté
Les bruits de chaussures qui tombent
Sur le parquet
Le bruit que font les ressorts du lit
Quand les corps s'y couchent ensemble
Et qu'un grand soupir salutaire
Vient sonner le carillonnement
De la journée enfin finie
O le sommeil tonitruant
Des deux corps comme deux semelles
Sous les draps de la nuit tombée
O les corps que nous transportons...
[...]
Poèmes bleus (extraits)
Georges Perros (23 août 1923, Paris - 24 janvier 1978, Douarnenez)