dimanche 10 septembre 2017

"Portrait d'un génial salaud"

Cet été France-Culture a lancé les Masterclasses que l'on peut réécouter et qui ne sont pas du tout ennuyeuses et sont à la portée du grand public (intéressé tout de même par le processus de création d'une œuvre dans divers domaines artistiques).

" France Culture lance un grand projet inédit en France : une collection de master-classes avec quarante personnalités majeures de la création culturelle dans tous les domaines : littérature, cinéma, arts de la scène, arts plastiques, architecture… Nous entrerons dans l'atelier de fabrication intime des artistes, qui nous expliqueront de façon très concrète comment elles/ils travaillent, de l'idée de départ jusqu'à la finalisation d'une œuvre. Une entreprise collective qui a pour vocation de constituer une collection d’entretiens de référence sur la culture."

J'écoutais hier cette Masterclass avec Pierre Michon invité de Arnaud Laporte.
Extrait ci-dessous (retranscription telle quelle), à propos des Onze.



-  A.L. Pas mal de texte vous ont résisté, celui-là – même s’il n’y a eu que deux parties sur trois – on a eu la chance qu’il nous arrive. Il y en a tant que ça qui ne sont pas arrivés au bout ?



-  P.M. Oui, il y en a. Mais Les Onze, c’est très particulier.  Les Onze, j’ai écrit en 92, j’ai écrit ce qui est maintenant la première partie – pas tout à fait mais une grande partie  de la première partie des Onze – j’ai écrit l’hiver 92/93, pour marquer le coup de l’année 93, qui n’avait pas été marquée suffisamment à mon avis. Mais, je me suis arrêté. Je ne voyais pas comment raconter l’enfance de ce peintre [François-Elie Corentin], j’invente un peintre, dont je racontais l’enfance de ce peintre dans la première partie, et après il fallait faire le moment où il peint le tableau, sous la Terreur. Et ça, j’avais mille solutions pour le faire mais je ne voyais pas laquelle. Donc j’ai abandonné ça, je l’ai mis dans un coin, j’y pensais de temps en temps et, en 2008, Bob [Gérard Bobillier, fondateur des éditions Verdier] – encore lui – Bob a été atteint d’une maladie très grave et m’a dit : « il faut qu’on publie Les Onze ». Et, je l’ai fini, en partie, pour lui, avant qu’il ne meure l’année d’après. Et la deuxième partie est venue très vite et très bien. Enfin, très bien [rire moqueur de P. Michon], elle est venue très vite en tout cas.



-  A.L. C’est vrai qu’il y a cette première partie, vous le disiez, le parcours de François-Elie Corentin, que vous imaginez, avec des résonances très fortes avec votre vie : un père absent, un amour très fort des mères…



-   P.M.  Oui, c’est parce que c’était en 92 que j’écrivais ça ; donc j’étais encore dans cette théologie du père du fils et du Saint-Esprit etc., mais dans la deuxième partie, comment dire, dans la deuxième partie c’est le portrait d’un génial salaud. J’ai beaucoup pensé, j’ai beaucoup pensé, comme personne, comme homme, dans la deuxième partie, à Picasso. C’est, c’est… et d’ailleurs la « vitre blindée » vient de Guernica. J’ai beaucoup pensé au caractère, à l’homme qu’a été Picasso : c’est-à-dire à la fois un génie à peu près absolu et … je m’abstiens de porter un jugement…
 

Je ne cacherai pas ma satisfaction d'entendre, enfin, quelqu'un - et pas n'importe qui - oser dire de vive voix  (et pourtant si douce), par écrit c'est déjà fait, que ce "génie absolu" fut aussi "un salaud" (là, c'est moi qui termine sa phrase). Il fut l'ami de Max Jacob et on connaît la suite ou plutôt la fin qui, même si elle fait polémique, ne nie pas la réalité des faits. Mais il n'y a pas qu'avec Max que le génie a montré son vrai caractère d'homme, avec ses femmes et particulièrement Dora Maar qui vécut dans l'ombre du génie auquel elle avait voué sa vie.
Zoé Valdès écrit dans son ouvrage La Femme qui pleure :

"J'ai aimé Picasso, maintenant je m'arrête froidement devant son œuvre avec admiration, sans plus. La tendresse m'a abandonnée. Pourtant Je ne peux concevoir l'art sans amour. Mais je ne ressens plus ce profond amour. Peut-être arriverai-je, avec le temps, à me réconcilier avec son œuvre." (Page 144).
"Jaume [ou Jaime] Sabartés, le secrétaire de Picasso, a dû en voir des choses, mais il a préféré se taire. Il se devait d'être fidèle au Grand Génie, à l'homme monument, à l'artiste historique. J'écris le mot "Génie" avec une majuscule et sans aucune hésitation, car c'est ce qu'il était; mais j'hésite à écrire le mot "homme", avec cette simplicité apparente et grandiose qui élève l'être humain quand il décide de lutter pour la vérité." (Page 146).
Je me suis légèrement écartée de mon sujet, Pierre Michon et ces Masterclasses qui valent vraiment le coup d'une écoute attentive : Denis Podalydès, génial et pas...; Sylvain Tesson, habité par ce qu'il raconte et souvent très drôle; Olivier Assayas...; Patrick Chamoiseau... ceux que j'ai écoutés, et les autres qu'il me reste à découvrir. Je suis en excellente compagnie à l'heure du dîner et c'est tellement mieux que tout ce qu'on peut voir à la télévision à cette heure-là !