mercredi 20 septembre 2017

Picasso : Préambule ou/et Mise en bouche (1)








Picasso, Jacqueline assise de profil, 1954
Huile sur toile 

(J'ai recadré et donc rogné ma photo 
qui était légèrement convexe avec le cadre)

L'affiche de l'exposition (plus réussie que ma photo. Hum!)
a été tirée de ce tableau.

Force est d'admettre le Génie absolu de l'artiste. En commençant ma visite de l'extraordinaire exposition (25 juin - 1er novembre 2017) vue avant-hier, je pensais ne pas pouvoir occulter le bruit infernal des enfants présents dans les salles. Je précise que ces enfants excités étaient avec leurs parents qui n'intervenaient pas pour les calmer voire les faire taire et qu'il y avait également des classes de maternelles avec leur "maîtresse" qui, eux (les enfants), étaient absolument silencieux ou, parlant tout bas, observant parfois judicieusement les détails d'un tableau. Je me suis permise de faire part (gentiment) de ce bruit auprès d'une jeune femme, agent de surveillance qui m'a répondu plutôt vivement que "les enfants" sont rois "ont le droit de s'exprimer" (sic).
N'oublions pas que nous sommes à Landerneau, la ville qui "fête le bruit" chaque année. Mais bon, j'ai rarement entendu une telle cacophonie dans un musée ou autre lieu d'exposition importante
L'heure du déjeuner approchait et je pris mon mal en patience en me disant que les enfants commençaient à avoir faim et allaient sans doute - avec leurs parents - quitter les lieux et s'exprimer tout leur soûl dans une crêperie en ville. Ouf ! 
J'avais raison, à midi et demie le calme est revenu, j'étais là depuis une heure, j'avais tout de même réussi à m'extraire de ce vacarme en fuyant les zones occupées par les hyperactifs et j'allais poursuivre ma visite durant une heure.


J'aurais pu chanter, en voyant toutes ces œuvres - des premières aux dernières périodes - Tu me fais tourner la tête, tellement je ne m'attendais pas à voir une si belle exposition. J'ai compris assez rapidement que, exceptionnellement, j'allais devoir suivre la chronologie des années pour mesurer l'évolution des créations et l'inspiration suscitée par les différentes muses.

L'intérêt de cette exposition est "qu'elle est constituée des seuls "Picasso de Picasso", soit uniquement à partir des œuvres qu'il avait gardées toute sa vie auprès de lui dans ses différents ateliers, et dont, à sa mort, sa veuve Jacqueline [Roque] hérita en partie. Celle-ci, à partir de ce très important ensemble, organisera ou participera activement à plusieurs expositions de l’œuvre  de son mari, jusqu'à sa propre disparition.
C'est une rétrospective de l’œuvre qui est rendue possible ici grâce à la seule collection particulière de sa fille, Catherine Hutin."
"La rencontre avec Jean-Louis Andral, directeur du musée Picasso d'Antibes, commissaire de l'exposition, a permis de mûrir ce projet depuis l'été 2015."
(Source : Brochure de l'exposition)

Il va falloir que je potasse un peu mes notes, fasse le tri de mes photos pour reparler de cette exposition, plus sérieusement (mais je ne promets plus rien).
En attendant, ce tableau que  j'aime (et pas vraiment dans la veine de ceux qui suivront une dizaine d'années plus tard) :


Femme à la robe rouge, 1946
Huile sur bois


Détail

Après le préambule, et presque deux heures de visite, le ciel était couvert à Landerneau et il était trop tard pour y déjeuner, je tentais tout de même un restaurant, complet et en fin de service. J'avais faim. Je décidais de refaire la route  et même de la prolonger jusqu'à ma cantine où l'on sert en service continu. Quelle bonne idée! Le soleil m'attendait, j'oubliais l'heure de route que je venais de faire, le ciel tristounet de Landerneau et je jubilais d'être là. Mon assiette, ÉNORME, était plus qu'une mise en bouche, j'allais faire le plein d'Oméga 3. Bigre, j'aurais bien demandé un doggy-bag mais je n'ai pas osé; il était 14 h 45. Et les chiens préfèrent le poulet...




Je contemplais ce ciel à la Eugène Boudin avant de rentrer...


(À suivre... ?!)

samedi 16 septembre 2017

Le ciel, mon patrimoine


Ce week-end, Journées du Patrimoine.
Il y a quelques années, j'avais encore l'envie d'aller voir de plus près certains domaines seulement accessibles ces jours-là.
Aujourd'hui, je me contente me satisfais de ça :






Patrimoine, définition :

"Ce qui est considéré comme un bien propre, une richesse : Son patrimoine, c'est son intelligence."

Mon patrimoine, mais non, ce n'est pas mon intelligence (Tsss!), c'est le ciel.  Celui qui me laisse baba, chaque jour, quand je lève les yeux.
Le ciel, ma richesse.

mercredi 13 septembre 2017

What a lovely day...

... comme se plaisent à dire les Irlandais quand il pleut.

Photos du jour prises dans ma voiture.
J'avais espéré que le ciel aurait été plus clément sur la côte. Que nenni !




Je faisais alors demi tour et j'allais au cinéma voir un film brésilien : Gabriel et la montagne. En VO of course !

"En s'inspirant d'un fait divers, Fellipe Barbosa reconstitue magistralement un voyage bouleversant vers la mort.
En 2009, Gabriel Buchman, un étudiant brésilien, est retrouvé mort sur le mont Mulanje, au Malawi, au terme d'un an de voyage autour du monde. Un fait divers très médiatisé dans son pays. Mais pour Fellipe Barbosa, Gabriel était bien plus qu'un nom à la une des journaux : son ami d'enfance."

Deux heures quinze de déconnexion totale, très beau film, Gabriel est interprété par un fabuleux acteur, Joao Pedro Zappa (ci-dessous).




"Avant d’intégrer une prestigieuse université américaine, Gabriel Buchmann décide de partir un an faire le tour du monde."

Coïncidence, ce soir sur Arte à 23 h 30, est programmé le précédent film de Fellipe Barbosa Case Grande. Il sera visible pendant sept jours en replay sur Arte/web.

 

"L'artiste [...] est un accident. Rien ne l'attend dans le monde social." (Odilon Redon)


Anonyme, Odilon Redon dans son atelier parisien en 1913.
Paris, bibliothèque de l'INHA,
collections Jacques Doucet.
INHA, dist. RMN-Grand Palais/Martine Becq-Coppola





Odilon Redon, Tête d'Orphée
 Huile sur toile

Paris, Musée d'Orsay


( A suivre)

dimanche 10 septembre 2017

"Portrait d'un génial salaud"

Cet été France-Culture a lancé les Masterclasses que l'on peut réécouter et qui ne sont pas du tout ennuyeuses et sont à la portée du grand public (intéressé tout de même par le processus de création d'une œuvre dans divers domaines artistiques).

" France Culture lance un grand projet inédit en France : une collection de master-classes avec quarante personnalités majeures de la création culturelle dans tous les domaines : littérature, cinéma, arts de la scène, arts plastiques, architecture… Nous entrerons dans l'atelier de fabrication intime des artistes, qui nous expliqueront de façon très concrète comment elles/ils travaillent, de l'idée de départ jusqu'à la finalisation d'une œuvre. Une entreprise collective qui a pour vocation de constituer une collection d’entretiens de référence sur la culture."

J'écoutais hier cette Masterclass avec Pierre Michon invité de Arnaud Laporte.
Extrait ci-dessous (retranscription telle quelle), à propos des Onze.



-  A.L. Pas mal de texte vous ont résisté, celui-là – même s’il n’y a eu que deux parties sur trois – on a eu la chance qu’il nous arrive. Il y en a tant que ça qui ne sont pas arrivés au bout ?



-  P.M. Oui, il y en a. Mais Les Onze, c’est très particulier.  Les Onze, j’ai écrit en 92, j’ai écrit ce qui est maintenant la première partie – pas tout à fait mais une grande partie  de la première partie des Onze – j’ai écrit l’hiver 92/93, pour marquer le coup de l’année 93, qui n’avait pas été marquée suffisamment à mon avis. Mais, je me suis arrêté. Je ne voyais pas comment raconter l’enfance de ce peintre [François-Elie Corentin], j’invente un peintre, dont je racontais l’enfance de ce peintre dans la première partie, et après il fallait faire le moment où il peint le tableau, sous la Terreur. Et ça, j’avais mille solutions pour le faire mais je ne voyais pas laquelle. Donc j’ai abandonné ça, je l’ai mis dans un coin, j’y pensais de temps en temps et, en 2008, Bob [Gérard Bobillier, fondateur des éditions Verdier] – encore lui – Bob a été atteint d’une maladie très grave et m’a dit : « il faut qu’on publie Les Onze ». Et, je l’ai fini, en partie, pour lui, avant qu’il ne meure l’année d’après. Et la deuxième partie est venue très vite et très bien. Enfin, très bien [rire moqueur de P. Michon], elle est venue très vite en tout cas.



-  A.L. C’est vrai qu’il y a cette première partie, vous le disiez, le parcours de François-Elie Corentin, que vous imaginez, avec des résonances très fortes avec votre vie : un père absent, un amour très fort des mères…



-   P.M.  Oui, c’est parce que c’était en 92 que j’écrivais ça ; donc j’étais encore dans cette théologie du père du fils et du Saint-Esprit etc., mais dans la deuxième partie, comment dire, dans la deuxième partie c’est le portrait d’un génial salaud. J’ai beaucoup pensé, j’ai beaucoup pensé, comme personne, comme homme, dans la deuxième partie, à Picasso. C’est, c’est… et d’ailleurs la « vitre blindée » vient de Guernica. J’ai beaucoup pensé au caractère, à l’homme qu’a été Picasso : c’est-à-dire à la fois un génie à peu près absolu et … je m’abstiens de porter un jugement…
 

Je ne cacherai pas ma satisfaction d'entendre, enfin, quelqu'un - et pas n'importe qui - oser dire de vive voix  (et pourtant si douce), par écrit c'est déjà fait, que ce "génie absolu" fut aussi "un salaud" (là, c'est moi qui termine sa phrase). Il fut l'ami de Max Jacob et on connaît la suite ou plutôt la fin qui, même si elle fait polémique, ne nie pas la réalité des faits. Mais il n'y a pas qu'avec Max que le génie a montré son vrai caractère d'homme, avec ses femmes et particulièrement Dora Maar qui vécut dans l'ombre du génie auquel elle avait voué sa vie.
Zoé Valdès écrit dans son ouvrage La Femme qui pleure :

"J'ai aimé Picasso, maintenant je m'arrête froidement devant son œuvre avec admiration, sans plus. La tendresse m'a abandonnée. Pourtant Je ne peux concevoir l'art sans amour. Mais je ne ressens plus ce profond amour. Peut-être arriverai-je, avec le temps, à me réconcilier avec son œuvre." (Page 144).
"Jaume [ou Jaime] Sabartés, le secrétaire de Picasso, a dû en voir des choses, mais il a préféré se taire. Il se devait d'être fidèle au Grand Génie, à l'homme monument, à l'artiste historique. J'écris le mot "Génie" avec une majuscule et sans aucune hésitation, car c'est ce qu'il était; mais j'hésite à écrire le mot "homme", avec cette simplicité apparente et grandiose qui élève l'être humain quand il décide de lutter pour la vérité." (Page 146).
Je me suis légèrement écartée de mon sujet, Pierre Michon et ces Masterclasses qui valent vraiment le coup d'une écoute attentive : Denis Podalydès, génial et pas...; Sylvain Tesson, habité par ce qu'il raconte et souvent très drôle; Olivier Assayas...; Patrick Chamoiseau... ceux que j'ai écoutés, et les autres qu'il me reste à découvrir. Je suis en excellente compagnie à l'heure du dîner et c'est tellement mieux que tout ce qu'on peut voir à la télévision à cette heure-là !


jeudi 7 septembre 2017

"Les mots ne sont que de la spéculation. Ils cherchent mais ne trouvent pas le sens de la musique" *


* John Ashbery, in 


En 2012, Barack Obama remettait la National Humanities Medal
à John Ashbery (décédé le 3 septembre 2017 à 90 ans)

"Dans le New York Times, un professeur et poète note qu'Ashbery est devenu (relativement) célèbre en dépit d’une écriture exigeante, ses poèmes n’offrant “pas de réponses faciles, pas d’affirmations confortables”. Et il insiste lui aussi sur l’expérience singulière que constitue leur lecture.
[...]
Il est un poète singulier capable d’être à la fois élégiaque et léger, parfois même bouffon. Il est, après tout, l’auteur de ‘Paysage avec outils agricoles et rutabagas’ et de ‘Daffy Duck à Hollywood’. Si vous pouviez trouver un espace impossible à l’intersection entre Franz Kafka et l’artiste pop Roy Lichtenstein, John Ashbery y serait joyeusement assis comme le chat du Cheshire [d’Alice au pays des merveilles].”



LE PEINTRE

Assis entre la mer et les immeubles
Il se plaisait à peindre le portrait de la mer,
Mais comme les enfants imaginent qu’une prière
N’est que silence, il s’attendait à ce que son sujet
Surgisse sur la sable, et, saisissant son pinceau,
Se colle en autoportrait sur sa toile.
Il n’y a pas eu de trace de peinture sur la toile
Jusqu’au moment où les habitants des immeubles
L’ont encouragé : « Tentez de vous servir du pinceau
Comme d’un moyen vers une fin. Désignez, pour le portrait,
Un sujet moins furieux, moins ample, un sujet
Plus à l’écoute de vos humeurs changeantes, où peut-être d’une prière. »
Comment leur expliquer qu’il priait déjà
Pour que la nature plus que l’art naisse sur sa toile ?
Il choisit son épouse comme nouveau sujet
L’amplifiant, à l’image de bâtiments en ruines
Comme si s’oubliant, le portrait
S’était exprimé de lui-même sans pinceau.
Encouragé il a trempé son pinceau
Dans la mer, murmurant une prière lui montant du fond du cœur :
« Mon âme, la prochaine fois que je peindrai un portrait
Que tu viennes dévaster la toile. »
Les nouvelles se sont répandues comme de la poudre, enflammant les bâtiments :
Cet artiste avait retrouvé son sujet auprès de la mer.
Imaginez un peintre crucifié par son sujet !
Trop épuisé pour lever son pinceau,
Son attitude attire des artistes penchés aux fenêtres des immeubles
Avec des rires cruels : « Nous n’avons plus aucune chance
Maintenant de nous étaler sur la toile
Ni d’engager la mer à s’asseoir pour qu’on fasse son portrait. »
On l’a décrit comme un autoportrait,
Et à la fin toute trace de sujet
Commença à s’évanouir, laissant la toile
Parfaitement blanche. L’artiste posa son pinceau.
Et soudain un hurlement en forme de prière
Monta des immeubles grouillant de monde.
Ils l’ont jeté, le portrait, de la plus haute des tours ;
Et la mer a dévoré la toile et la brosse
Le sujet ayant pris la décision de demeurer prière.
John Ashbery, traduction en français du poème original The Painter, 1956, par Elizabeth Brunazzi (2012), relue par Matthieu Baumier


John Ashbery, 28 juillet 1927 - 3 septembre 2017
Source photo

— Est-ce qu’il vous est possible d’évaluer l’influence de l’École de New York, ou tout du moins de cette nébuleuse d’écrivains sur la poésie contemporaine américaine? Votre propre influence peut-être? 

— C’est difficile à dire, je suis plutôt mal placé pour juger, je pense que vous l’êtes mieux que moi. Je lis de la poésie contemporaine, mais pas énormément. Je ne sais pas, peut-être que nos expériences verbales et langagières, nos expérimentations non-systématiques ont contribué à la naissance de la  L=A=N=G=U=A=G=E poetry  bien que cette dernière ait pris une tournure radicalement différente ensuite. Ce qui a compté aussi, c’est sans doute notre rébellion contre la poésie conventionnelle, en particulier celle de Robert Lowell dont l’œuvre me laisse vraiment froid!  Ce genre de poésie est malheureusement toujours présent; cependant, et peut-être est-ce là que notre influence se fait sentir, il y a différentes sortes de poésies expérimentales et d’expériences poétiques qui se font un peu partout, pas uniquement aux États-Unis d’ailleurs. Ce n’était pas le cas quand nous avons commencé à écrire et à expérimenter avec le langage il y a cinquante ans.

Extrait d'un entretien avec John Ashbery, par Olivier Brossard en 2001 dans la revue L'Oeil de boeuf.

***

Il n'y a pas de bonheur de vivre, sans amour.
Mieux vaut mourir que vivre sans aimer.

lundi 4 septembre 2017

"Devant ce paysage où tout remue en moi"




L'EXTASE

Je suis devant ce paysage féminin
Comme un enfant devant le feu
Souriant vaguement et les larmes aux yeux
Devant ce paysage où tout remue en moi
Où des miroirs s'embuent où des miroirs s'éclairent
Reflétant deux corps nus saisons contre saisons

J'ai tant de raison de me perdre
Sur cette terre sans chemins et sous ce ciel sans horizon
Belle raison que j'ignorais hier
Et que je n'oublierai jamais
Belles clés des regards clés filles d'elles-mêmes
Devant ce paysage où la nature est mienne

Devant le feu le premier feu
Bonne raison maîtresse

Étoile identifiée
Et sur la terre et sous le ciel hors de mon cœur et dans mon cœur
Second bourgeon première feuille verte
Que la mer couvre de ses ailes
Et le soleil au bout de tout venant de nous

Je suis devant ce paysage féminin
Comme une branche dans le feu.

24 novembre 1946

(1947)
(Le Temps déborde)
Paul Eluard