mardi 21 février 2017

De la vertu aux... polissonneries




Sujet du jour dans les Chemins de la philosophie : Les Lumières en dialogue, Le Neveu de Rameau.

"Le Neveu de Rameau ou La Satire seconde est un dialogue écrit par Denis Diderot [philosophe des Lumières] sans doute entre 1762 et 1773. Il s'agit d'une discussion à bâtons rompus entre Moi, le narrateur, philosophe, et Lui, Jean-François Rameau, neveu du célèbre compositeur Jean-Philippe Rameau."
"Le neveu de Rameau est à la fois artiste, philosophe, fantasque et cynique. Comparé au « Neveu », le philosophe incarne en lui la réflexion. Il a surtout pour but de donner la réplique au Neveu. Rameau réfute les valeurs morales imposées par la société : vertu, amitié. Il pense qu'il faut être immoral pour pouvoir réussir. Le philosophe tente de le persuader que l'honnêteté seule peut rendre heureux. Les deux hommes discutent ainsi dans un café du Palais-Royal. Ils se demandent à quelle personne il faut ressembler pour devenir le citoyen idéal."
(Sources Wikipédia)


(Extrait ci-dessous, lu par Georges Claisse ce matin dans l’émission les Chemins de la philosophie, je le retranscris avec ma ponctuation qui n'est peut-être pas celle de l'original).


Lui. - [...] Voilà où vous en êtes, vous autres. Vous croyez que le même bonheur est fait pour tous. Quelle étrange vision ! Le vôtre suppose un certain tour d’esprit romanesque que nous n’avons pas ; une âme singulière, un goût particulier. Vous décorez cette bizarrerie du nom de vertu ; vous l’appelez philosophie. Mais la vertu, la philosophie sont-elles faites pour tout le monde. En a qui peut. En conserve qui peut. Imaginez l’univers sage et philosophe ; convenez qu’il serait diablement triste. Tenez, vive la philosophie ; vive la sagesse de Salomon : Boire de bons vins, se gorger de mets délicats, se rouler sur de jolies femmes ; se reposer dans des lits bien mollets. Excepté cela, le reste n’est que vanité. [...]



Moi. – [...] Je ne méprise pas le plaisir des sens, j’ai un palais aussi, et il est flatté d’un mets délicat ou d’un vin délicieux ; j’ai un cœur et des yeux, et j’aime à voir une jolie femme, j’aime à sentir sous ma main la fermeté, la rondeur de sa gorge, à presser ses lèvres des miennes, à puiser la volupté dans ses regards et, à expirer entre ses bras. Quelquefois avec mes amis une partie de débauche, même un peu tumultueuse, ne me déplaît pas ; mais je ne vous dissimulerai pas, il m’est infiniment plus doux encore d’avoir secouru le malheureux, d’avoir terminé une affaire épineuse, donné un conseil salutaire, fait une lecture agréable, une promenade avec un homme ou une femme chère à mon cœur, passé quelques heures instructives avec mes enfants, écrit une bonne page, rempli les devoirs de mon état, dit à celle que j’aime quelques choses tendres et douces qui amènent ses bras autour de mon cou.
"Lui, comme Moi, les deux tenants du dialogue,  s’en réfèrent à leur propre expérience pour justifier leur définition de la vertu et du bonheur. Le problème, quand l’expérience devient la norme, on a vite fait de tomber dans un relativisme moral qui semble peu compatible avec l’optimisme propre aux Lumières." (Dixit Adèle Van Reeth, NCC).

J'écoutais cela ce matin et, hier soir je lisais - dans mon "lit bien mollets" (0_0) - le Journal Particulier, 1935, de Paul Léautaud. Extrait (pages 188-189):
Vendredi 6 septembre. - C'est seulement ce matin que j'ai compris le début de sa dernière lettre : "J'ai tort de te dire tout ce qui me passe par la tête. Je te confie mes impressions du moment. Elles peuvent changer. Ainsi, ce que je mets sur ce petit papier ci-joint, que je te prie de déchirer aussitôt lu." Ce qui veut dire : "Je t'ai écrit que je n'avais plus envie de l'amour. Tu t'en es affolé. C'était une impression du moment. Elle a changé. La preuve : le petit papier que je t'envoie." C'est plus agréable.
Je lui ai écrit quelques lignes aujourd'hui pour lui dire ce que dessus. Pas pris copie. Ce soir, en rentrant, lettre arrivée ce matin, après mon départ. Rien de bien marquant. Me dit qu'elle m'écrira peut-être demain (aujourd'hui). Trouve que ce serait trop long de répondre, point par point, à mes lettres : "Le plus sage est de prendre le temps comme il vient et de ne pas chercher à savoir de quoi demain sera fait."
Elle lit Le Neveu de Rameau que je lui ai prêté, en lui disant tout ce que je pense. Trouve aussi que c'est de premier ordre. Mais célèbre encore, en même temps, L'Idiot de Dostoïevski. Elle ne me fera jamais donner dans cette littérature de cabaret. Me dit que V[ollard] n'y voit plus, est de plus en plus distrait et impatient. Elle*, toujours fatiguée.
* Marie Dormoy 

Les critiques de cet ouvrage, Journal Particulier de Paul Léautaud sont plutôt élogieuses. Pour ma part, cette lecture m'a parfois réjouie, souvent ennuyée. Je vais reprendre un zeste de Stendhal et une gorgée de Henry Miller.

Carré blanc.

A propos du Journal Littéraire (qui n'est pas le Journal Particulier) de Léautaud, témoignage de Marie Dormoy.