dimanche 28 février 2016

Raison/Déraison






 "When your heart say yes but our mind says no..." 



"Ah ! qu’avec peu d’effet on entend la raison,
Quand le cœur est atteint d’un si charmant poison.
Et lorsque le malade aime sa maladie,
Qu'il a peine à souffrir que l'on y remédie." 

Corneille, Le Cid.

Cette scène finale du film Sur la route de Madison était évoquée ce matin par Philippe Torreton dans l'émission Remède à la mélancolie.

Je m'interrogeais déjà sur ces questions de la morale, de la raison (et de la déraison), de l'éthique ici. Mes conclusions restent les mêmes.

mardi 23 février 2016

"Le bonheur est un ange au visage grave" (Modigliani)


Amedeo Modigliani photograhié à La Ruche (photographe inconnu)

Un ami me parlait hier d'une exposition Modigliani au LaM à Lille, qui démarre le 27 février jusqu'au 5 juin 2016.

Je me souviens de l'émission de Charles Sigel (L'humeur vagabonde, RTS) sur cet artiste tourmenté dont j'avais rapidement parlé ici. Je découvre ce matin sur ce site la poétesse russe Anna Akhmatova qui rencontra Amedeo Modigliani à Paris en 1910; fascinés l'un par l'autre, ce sera le début d'une brève histoire d'amour (que l'on suppose) passionnée.


Anna Akhmatova (1889-1966)



Modigliani dessin au crayon de Anna Akhmatova, 1911 (Getty)



Modigliani, dessin de Anna Akhmatova, 1911

"C'est l'histoire de deux êtres que tout semble séparer. Elle est russe, poétesse et vient juste de se marier. Il est juif italien et hésite entre la peinture et la sculpture. Nous sommes en 1910 à Paris. Elle, c'est Anna Akhmatova "beauté singulière, beauté travaillée, beauté gagnée sur d'éclatants, d'insupportables défauts -nez cassé, cou à n'en plus finir- beauté arrogante". Lui, c'est Modigliani, Modi pour les intimes, un mètre soixante cinq, un magnétisme à tout casser. Deux astres qui ne vivent que pour leur art, traquant la beauté dans ses moindres recoins. Mus l'un et l'autre par le même idéal tyrannique. De leur rencontre, on ne sait rien ou presque. Quelques documents, journaux intimes, témoignages lacunaires."


tete Modigliani 
En 2010 à Paris est mise aux enchères chez Christie's une "tête de femme en pierre calcaire, 64 cm, exécutée en 1910-1912 signée, en son dos, Modigliani". Au même moment au Musée Akhmatova de Saint-Pétersbourg, la romancière Elisabeth Barillé tombe en arrêt devant un portrait de la poétesse russe dans lequel elle reconnaît sans hésiter le trait de Modigliani. On ne pouvait rêver hasard plus heureux ni sujet plus romanesque. La tête de femme vendue à prix d'or n'aurait elle pas été inspirée par Anna Akhmatova? Quel lien unissait ces deux êtres?"
A lire aussi l'article de Bernard Pivot : La poétesse russe de Modigliani. 


Et j'ai appris l'affaissement des visages,
la crainte qui sous les paupières danse,
les signes cunéiformes des pages
que dans les joues burine la souffrance ;
les boucles brunes, les boucles dorées
soudain devenir boucles d'argent grises,
faner le sourire aux lèvres soumises,
et dans le rire sec la peur trembler.
Et ma prière n'est pas pour moi seule,
Mais pour tous ceux qui attendaient comme moi
dans la nuit froide et dans la chaleur
sous le mur rouge, sous le mur d'effroi.

1940
Anna Akhmatova, Épilogue (extrait) de son tragique recueil Requiem
 
"[...] Sa personnalité faite de domination et de reconnaissance la fit devenir la figure de proue de ce mouvement [mouvement des acméistes]. Elle sera célébrée, imitée, vénérée par la jeunesse russe. Elle devait être la louve alpha de sa vie et de ses proches.

Là se tient une des clés de la psychologie d'Anna : le besoin de déification par le verbe, le vertige de la domination, le besoin d'être la grande prêtresse des choses, amour ou douleur. Elle se voulait chef de meute d'une troupe d'hommes valeureux et aucun lien ne pouvait l'en dissuader, surtout pas ceux du mariage. De divorces en remariages nombreux et vains, elle put expérimenter cela.
À ces problèmes d'amour et de liberté, de tension et de séduction, il suffit d'ajouter l'atroce impact de la première guerre mondiale et de sa boucherie insensée, pour comprendre l'évolution d'Anna à qui se révèle sa nature tragique. [...]".

(Source Esprits Nomades)
(Demain, détente, au golf, sous la pluie. Pas tous les jours, la tourmente des artistes).

lundi 22 février 2016

Vous avez dit LABEL? C'est EXTRA!


Voilà ce qu'on annonce  quand je clique sur le site WAT!!!! (Voir image et texte ci-dessous).
Je n'ai jamais été prévenue par ce site qu'il allait être supprimé afin que je puisse transférer mes vidéos personnelles chez un autre hébergeur!!! 
Ecœurée et effondrée! Ces vidéos représentaient pour certaines un vrai travail qui accompagnait mes documents sur la littérature, sur des écrivains, des journalistes, des expositions, des artistes-peintres, des cinéastes et, des documents plus personnels.
C'est absolument inadmissible. Disparues mes vidéos. Des heures de travail perdues!
J'ai tenté, vainement, de m'inscrire sur MY TF1 (PAS DU TOUT) XTRA.
Impossible de retrouver mes vidéos "Watnews". C'est à pleurer. C'est révoltant.



Chers membres Wat,

La plateforme WAT telle que vous la connaissez n'existe plus, mais nombre de vos vidéos sont
désormais disponibles sur MYTF1 / XTRA.
XTRA, c'est le nouveau Label de TF1, exclusivement dédié aux contenus que vous ne trouverez pas sur
les chaines du Groupe TF1 : Créations originales, webséries, séries vintage !
Sur XTRA, les vidéos sont disponibles gratuitement et notre équipe éditoriale vous a sélectionné ce qui
se fait de mieux actuellement sur le web !
Les contenus sont disponibles partout, sur le web (www.mytf1.fr/xtra), sur votre mobile/tablette via www.mytf1.fr/xtra ou l'APP MYTF1 (iOS et Android) et même sur votre télé (via le Replay MYTF1 sur la Freebox, Bbox et SFRbox).
L'équipe WAT

Je tente alors de chercher un contact sur le site, il n'en existe pas. Via Google je trouve celui-ci et je réponds à leur questionnaire; puis au moment d'écrire le message, une fenêtre s'ouvre, sans arrêt, empêchant d'écrire dans la case du message. 

Vais-je prendre un avocat pour faire un procès contre un EMPIRE monstrueux pour récupérer mes vidéos chéries? Tsss!

Et, bien entendu, dès que je les enregistrais - pauvre idiote - je les supprimais de mon ordinateur. Et, bien évidemment, elles ont aussi disparues des billets dans lesquels j'en avais insérées quelques-unes, comme  ici ou ou encore là. Et là... c'est sans fin.
Ma belle journée passée au Conservatoire de musique de Lausanne, plus de vidéo non plus. Bien sûr, je pourrais en retrouver quelques-unes, conservées par hasard, mais jamais je n'aurai le courage de les réinsérer - via un autre hébergeur - dans les billets de mon blog d'où elles ont disparues, le téléchargement est trop long.
  
J'ai le cœur serré ce soir, alors qu'en ce moment il est très chahuté.
 

dimanche 21 février 2016

"Un robot chirurgical ça ne picole pas"




J'écoutais hier une des émission de René Frydman, Révolutions médicales et son invité : Laurent Alexandre, Chirurgien, expert en nouvelles technologies et intelligence artificielle et président de DNA Vision, société spécialisée dans le séquençage du génome humain. 

Le professeur Guy Vallancien (également invité, était absent), chirurgien, professeur de médecine, membre de l’Académie de médecine et président de l’école européenne de chirurgie à l’université Paris-Descartes, auteur de La médecine sans médecin ? Le numérique au service du médecin (Gallimard, 2015), accepte ce qu'il nomme le progrès médical :
"[...] dans cette nouvelle médecine où l’outil informatique prend de plus en plus de place. Libéré par la technique, le médecin pourra se consacrer au dialogue, au lien, à la personnalité du patient, lequel sera devenu acteur à 100% de la gestion de son trouble."


"En médecine on voit déjà les robots, en particulier en chirurgie, mais il reste un chirurgien derrière la console, derrière l'écran du contrôle du robot.
La révolution pour les chirurgiens c'est dans 15 à 20 ans, quand il n'y aura plus de chirurgien pour contrôler le robot chirurgical, et que le robot chirurgical fera mieux que le chirurgien en toutes circonstances. Ça, ça va être un choc, extrêmement violent., et on n'y prépare pas du tout les étudiants en médecine qui se préparent à faire chirurgie.
Nous sommes sans doute à 15, 20 ans où le robot chirurgical opèrera sans chirurgien. La Google Car, pour revenir à elle, et demain les autres voitures qui se conduisent toutes seules, nous montrent que nous ne sommes plus très loin, une à deux décennies maximum, d'avoir une robotisation intégrale de l'acte chirurgical.
Aujourd'hui nous sommes à l'enfance, la première enfance de la robotique chirurgicale. Demain on va robotiser comme dans tous les secteurs d'activités, de larges pans de l'activité médicale; les gens vont s'y habituer progressivement. On réalisera que le robot chirurgical opère mieux que les mauvais chirurgiens, puis dans un deuxième temps, opère mieux que les moyens chirurgiens, puis mieux que les bons chirurgiens et puis mieux  que les meilleurs chirurgiens. Et puis un jour on réalisera que les robots, contrairement aux chirurgiens, ne picolent pas - alors que certains chirurgiens picolent -, qu'ils ne tremblent pas, qu'ils ont en mémoire le million de dernières [...] qu'ils ont la capacité en temps réel d'examiner les vaisseaux..., de faire des dissections mille fois plus précises qu'un chirurgien n'est capable et là encore, le chirurgien sera "bouté" en dehors de l'acte technique. Ça ne va pas se faire en cinq minutes, ça va se faire sur 15 à 25 ans; ça va être un traumatisme pour les chirurgiens, et quand vous prenez les jeunes chirurgiens qui sont en internat aujourd'hui, personne n'a été averti de cette évolution-là. On fait croire aux jeunes chirurgiens qu'il y aura toujours un chirurgien pour accompagner le robot chirurgical. [...]". (Laurent Alexandre).
Émission fort intéressante, à l'ère d'Internet où foisonnent les sites et forums sur la médecine. Laurent Alexandre fut le fondateur du site DoctissimoEn réécoute ici :  

vendredi 19 février 2016

***

Photo du jour


dimanche 14 février 2016

***




Allo? Valentin? Où étiez-vous?


 Sam Snead PGA Champion, 1942


Ah? Je ne vous ai pas vu!
 

 
 Audrey Hepburn


Mmm! Ce soir je suis là (*_*)!


samedi 13 février 2016

Dussé-je ne plus vous revoir

Pour ce rien cet impondérable
Qui fait qu'on croit à l'incroyable
Au premier regard échangé
Pour cet instant de trouble étrange
Où l'on entend rire les anges
Avant même de se toucher
[...]
Je vous aime

(Jean Ferrat)


 =0=0=0=0=


Et je vous aime avec un frisson si délicieusement pur que chaque fois que je me figure votre sourire, votre voix, votre regard tendre et moqueur il me semble que, dussé-je ne plus vous revoir en personne, votre chère apparition liée à mon cerveau m'accompagnera désormais sans cesse.

(Guillaume Apollinaire)





vendredi 12 février 2016

"Le jour où quelqu'un vous aime, il fait très beau"

Je ne sais pas pourquoi ce billet a été lu cette semaine par de si nombreux "visiteurs". Est-ce parce que la Saint Valentin approche? Il date de 2010, il parle d'amour et, cinq ans plus tard, je persiste et signe avec Alain Finkielkraut (quand il parle d'amour; pour la politique je reste sur mes gardes) : même avec des cheveux blancs, on peut soupirer longtemps.

"Cheval sur ses gardes, le loup ne le mangera pas."
Proverbe russe

Quant à la Saint Valentin... Bof! Pas besoin de cette date (la même, le même jour, pour tous les amoureux, quelle horreur!) pour dire je t'aime et se faire des dîners aux chandelles. Bon, pour moi c'est dîner à la bougie tous les soirs (sans blague), en tête-à-tête avec... moi-même. Hum!



 

"Après une journée de vent"

Par la fenêtre, je scrute sans arrêt le ciel, priant pour une éclaircie.
 Hier matin, un peu de bleu dans le gris anthracite.




Dans la journée, la pluie fut de la partie. 
Le soir venu, au loin, durant quelques minutes, 
j'aperçus le Mont-Blanc, puis il a disparu.
C'était magnifique, bien plus beau que sur cette photo.
J'y associais mes souvenirs



Après une journée de vent

Après une journée de vent,
dans une paix infinie,
le soir se réconcilie
comme un docile amant.

Tout devient calme, clarté...
Mais à l'horizon s'étage,
éclairé et doré,
un beau bas-relief de nuages.

Rainer Maria Rilke

mercredi 3 février 2016

Je tremblais, j'exultais, je priais, tu allais m'aborder


Je viens de terminer Lettre d'une inconnue, de Stefan Zweig dont j'avais parlé ici après avoir vu le film de Max Ophüls, adapté de la nouvelle.  Dans le livre c'est un écrivain qui reçoit cette Lettre d'une inconnue. Max Ophüls en avait fait un musicien dans son adaptation. Ce n'est qu'après avoir vu le film que j'ai lu, pour la première fois, cette nouvelle; j'occultais alors complètement le film et ses interprètes, sans difficulté. J'inventais une autre femme en lisant le texte de Stefan Zweig. Et, en deuxième lecture, c'est cette même femme, celle que j'ai imaginée, celle dont j'ai créé l'image que je revoie. 


Extraits.


[…] Un jour, fière et puérile comme j’étais et comme je suis peut-être toujours, je suis restée loin de chez toi : mais que cette soirée d’orgueil et de rébellion fut atroce et vide. Le soir suivant, je me tenais de nouveau humblement devant ta maison, t’attendant, attendant comme j’ai attendu tout au long de mon destin devant ta vie fermée à double tour.

« Un soir enfin tu m’as remarquée. Je t’avais vu arriver de loin et je concentrais toute ma volonté pour ne pas m’esquiver devant toi. Le hasard a voulu qu’une voiture de livraison encombre la rue, ce qui t’a obligé à passer juste à côté de moi. Sans en avoir conscience, ton regard distrait m’a effleurée pour devenir immédiatement, sitôt rencontré l’attention du mien – oh, comme ce souvenir m’a causé de l’effroi -, ce regard qui s’adresse aux femmes, ce regard tendre qui est le tien, qui enveloppe et en même temps déshabille, embrasse et déjà étreint, et qui a éveillé pour la première fois en l'enfant que j’étais une femme et une amoureuse. Pendant une ou deux secondes, ce regard a soutenu le mien, qui ne pouvait ni ne voulait s’arracher à lui – puis tu es passé. Mon cœur battait la chamade : malgré moi j’ai dû ralentir le pas et comme une curiosité incontrôlable m’a fait me retourner, j’ai vu que tu t’étais arrêté et que tu me suivais du regard. Et à l’air curieux et intéressé avec lequel tu m’observais, j’ai su aussitôt que tu ne m’avais pas reconnue.

« Tu ne m’as pas reconnue, ni jadis, ni jamais, jamais tu ne m’as reconnue. Comment te décrire, mon Amour, la désillusion née de cette seconde – de cette première fois où je subissais ce destin de n’être jamais reconnue par toi, qui a été le mien toute ma vie et avec lequel je meurs : ne jamais être reconnue, ne jamais cesser de ne pas être reconnue par toi. Comment te décrire cette désillusion ? […] Comment aurais-je pu seulement respirer avec la certitude que je n’étais rien pour toi, qu’aucun souvenir de moi jamais n’effleurerait ton esprit ! Et ce réveil brutal sous ton regard qui me montrait que rien en toi ne me connaissait plus, que ne se tendait pas le moindre fil de la mémoire entre ta vie et la mienne, était une première chute dans la réalité, un premier pressentiment de mon destin.

« Tu ne m’as pas reconnue ce jour-là. Et lorsque deux jours plus tard ton regard m’a enveloppée avec une certaine familiarité à l’occasion d’une nouvelle rencontre, une fois encore tu n’as pas reconnu en moi celle qui t’aimait et que tu avais éveillée à la vie, mais simplement la jolie fille de dix-huit ans qui deux jours auparavant t’avait croisé au même endroit. Tu m’as regardé gentiment surpris, un léger sourire aux lèvres. Tu es passé de nouveau près de moi et de nouveau tu as ralenti le pas aussitôt : je tremblais, j’exultais, je priais, tu allais m’aborder. J’ai senti pour la première fois que pour toi j’étais vivante : j’ai également ralenti le pas, je ne te fuyais pas. Et soudain, je t’ai senti derrière moi ; sans me retourner, j’ai su que j’allais entendre pour la première fois ta voix adorée s’adresser à moi. L’attente me paralysait, je craignais de devoir m'arrêter tant mon cœur battait à se rompre – tu es arrivé de mon côté. Tu m’as parlé à ta manière légère et gaie, comme si nous étions des amis de longue date – ah, tu n’avais pas la moindre idée de qui j’étais, tu n’as jamais rien soupçonné de mon existence ! – tu m’as parlé avec une spontanéité si ensorcelante que je t’ai répondu immédiatement. Nous avons longé la rue côte à côte. Puis tu m’as demandé si je voulais dîner avec toi. J’ai répondu oui. Qu’aurais-je osé te refuser ?
"Nous avons dîné dans un petit restaurant. Sais-tu où c'était? Ah non, tu ne fais certainement pas de différence entre ce soir-là et les autres soirs, car qu'étais-je pour toi? Une parmi cent autres, une aventure, un maillon dans une chaîne indéfiniment prolongée. [...]
"Il se faisait tard, nous sommes partis. [...]
"Nous sommes montés chez toi. Pardonne-moi mon Amour, si je te dis que tu ne peux pas comprendre ce que représentaient pour moi ce couloir, ces escaliers, quel vertige, quel trouble, quel bonheur fou, douloureux, presque mortel. [...] Imagine-toi seulement que le moindre objet de ce lieu était imprégné de toute ma passion, que chacun d'eux était un symbole de mon enfance, de mon languissement : la porte devant laquelle je t'ai attendu des milliers de fois, les escaliers du haut desquels j'ai passé mon temps à tendre l'oreille pour épier tes pas et où je t'ai vu pour la première fois, le judas à travers lequel j'ai guetté de toute mon âme, le paillasson devant ta porte, sur lequel je me suis agenouillée un jour, le bruit sec de la clef qui toujours m'a fait quitter en sursaut mon poste de surveillance. [...] Dis-toi que jusqu'à cette porte - ces mots n'ont rien d'original, mais je ne sais pas dire les choses autrement - toute mon existence n'avait été que banalité sans vie, et voilà que s'ouvraient les portes du royaume enchanté de l'enfant, du royaume d'Aladin. Dis-toi que mille fois j'ai fixé de mes yeux brûlants cette porte qu'à présent je franchissais chancelante, et tu auras une idée, mais seulement une idée - car tu ne le sauras jamais totalement, mon Amour - de ce que cette minute vertigineuse emportait de ma vie.
"Je suis restée la nuit entière chez toi. [...]
"Le matin je me suis échappée sans tarder, très tôt. [...]
[...]
[...]
[...]
"J'ai rapidement ramassé mes affaires. je voulais partir, partir immédiatement. J'avais mal. J'ai attrapé mon chapeau, il était posé sur le bureau, à côté du vase et des roses blanches, à côté de mes roses. J'ai été prise d'une impulsion violente, irrésistible : j'ai voulu tenter, une fois de plus, de réveiller ton souvenir. "Tu me donnerais une de tes roses blanches? - Volontiers" as-tu répondu en les prenant aussitôt. "Mais elles t'ont peut-être été données par une femme, par une femme qui t'aime? ai-je dit. - Peut-être, as-tu répondu, je ne sais pas. Elles m'ont été données, mais je ne sais pas par qui; c'est pourquoi je les aime tant." Je t'ai regardé. "Peut-être viennent-elles aussi d'une femme que tu as oubliée!" 
"Tu m'as regardée d'un air étonné. J'ai soutenu ton regard. "Reconnais-moi, reconnais-moi enfin!" criait le mien. Mais tes yeux me souriaient gentiment, comme s'ils ne savaient pas. Tu m'as embrassée encore une fois. Mais tu ne m'as pas reconnue. 
[...]
[...] 
"Mon enfant est mort, notre enfant - je n'ai plus personne au monde désormais à aimer comme je t'aime. [...] C'est seulement quand je serai morte que tu recevras ce testament, celui d'une femme qui, de toutes les femmes que tu as connues, est celle qui t'as le plus aimé, et que tu n'as jamais reconnue, d'une femme qui t'a toujours attendu et que tu n'as jamais appelée. [...]
[...]
"Mais  qui... qui désormais va t'envoyer les roses blanches pour ton anniversaire? Ah! le vase sera vide, ce souffle infime, cette infime respiration de ma vie qui flotte autour de toi une fois par an, cela aussi va disparaître. Mon Amour, écoute, je t'en prie, c'est la première et la dernière prière que je t'adresse... Fais-le pour moi, achète à chacun de tes anniversaires - c'est un jour où l'on pense à soi -  achète ce jour-là des roses et mets-les dans le vase. Fais-le, mon Amour, fais-le comme d'autres font dire une messe une fois par an pour une chère disparue. [...] Oh! rien qu'un jour dans l'année, et tout à fait, tout à fait silencieusement, comme j'ai vécu près de toi... je t'en prie, fais-le, mon Amour... C'est la première prière que je te fais et la dernière... je te remercie... je t'aime, je t'aime... Adieu."

Les mains tremblantes, il reposa la lettre. [...]
Son regard tomba alors sur le vase bleu posé devant lui sur le bureau. Il était vide, vide pour la première fois depuis des années le jour de son anniversaire. Un frisson de peur le parcouru : il lui sembla qu'une porte invisible s'était soudain ouverte et qu'un courant d'air froid venu d'un autre monde s'engouffrait dans l'espace paisible où il se trouvait. Il sentit une mort; il sentit un amour immortel : quelque chose se mit en mouvement au plus profond de son âme, et il se mit à penser à l'Invisible, abstraitement et avec passion, comme à une musique lointaine.    

Stefan Zweig, in Lettre d’une inconnue, traduction par Mathilde Lefebvre, Bibliothèque de la Pléiade, volume I. 


Notice 

"Un écrivain déjà connu reçoit une très longue lettre d'une femme inconnue [...], une mère dont le jeune garçon vient de mourir d'une grippe impitoyable, elle-même en train de succomber à cette maladie en refusant d'y résister. Il y apprend que cet enfant est de lui et découvre la passion amoureuse qui a dévoré l'existence de cette femme depuis qu'elle a treize ans [...] quand elle habitait à Vienne, dans le même immeuble que lui, sur le même palier.  Plusieurs fois portée à l'écran, cette nouvelle est sans doute l'une des plus célèbres de Zweig. Elle est en particulier réputée pour son caractère manifestement autobiographique. [...] L'histoire rapportée évoque très indirectement la façon dont Zweig fit la connaissance de son épouse Friderike, en recevant une lettre d'une femme qu'il ne connaissait pas... Zweig s'y livre enfin en apparence à un portrait sans complaisance de lui-même, où beaucoup l'ont reconnu. La question de l'enfant en particulier y joue un rôle à plusieurs entrées. On sait qu'il n'en voulait pas. Et il ne semble pas qu'on lui en ait connu.
[...] La seule référence historique réelle est assez allusive : la pandémie grippale de 1918-1920, qui entre autres victimes emporta une fille de Freud, le sociologue Max Weber et le peintre Egon Schiele, peut être évoquée par la mort de l'enfant et la contamination fatale de la mère. 
[...]
Tout se joue dans le sémantisme double du verbe allemand sans cesse répété, erkennen, constamment utilisé dans le registre négatif par la femme qui écrit la lettre, et qui signifie à la fois "connaître", au sens gnoséologique du terme, et "reconnaître quelqu'un ou quelque chose que l'on a connu dans le passé". Le double sens du verbe est le pivot de la relation entre l'homme et la femme il ne la reconnaît jamais, parce qu'il ne l'a jamais vraiment "connue", mais seulement rencontrée et superficiellement consommée dans l'instant "esthétique", tandis qu'elle le connaît physiquement et psychologiquement dans la durée et en profondeur, par-delà son égoïsme de jouisseur compulsif. Cette inégalité fondamentale est le ressort de leur relation, et Zweig suggère très habilement à la fin de la nouvelle que la seule personne qui reconnaisse l'inconnue (die Unbekannte) est - tel celui d'Ulysse - le serviteur de l'homme de lettres : comme si la non-connaissance était un aspect ou un facteur essentiel de la domination sociale. [...] Ici, même en cet instant de révélation, l'homme persiste encore dans sa posture d'esthète pensant les choses dans des métaphores, que rien ne lie et qui n'est lié à rien, sinon à l'universelle condition de mortel.
Mais il se passe quelque chose malgré tout. La dernière phrase de la nouvelle est exceptionnelle puissance poétique. L'Invisible demeure l'invisible, celle que l'homme n'a pas reconnue, qui n'a toujours pas de visage dans sa mémoire, et dont il vient de lire l'adieu, le dernier signe de vie. [...]


La nouvelle de Stefan Zweig a été adaptée à sept reprises au cinéma [...]. La dernière adaptation, en 2004 par la réalisatrice chinoise Junglei Xu." 

  

lundi 1 février 2016

Journal

Journal du week-end.

Vendredi 29 janvier.
Je voulais faire un long break pour le golf mais je n'ai tenu que deux jours sans. Et vendredi j'avais tout de même pris le temps de déjeuner - au lieu de jouer entre midi et trois l'estomac vide - pour avoir plus d'énergie. J'allais prendre mon départ au 1 quand mon "charmant partenaire" terminait le 9 avec un autre joueur. Ils m'invitèrent à jouer avec eux puisqu'ils repartaient pour un second tour. 
Et voilà, le hasard avait bien fait les choses ce jour-là. J'ai moins mal joué mais tout de même, à peine mieux. J'étais moins perturbée : nous étions trois au lieu de deux. Donc... CQFD.

Samedi 30 janvier.
Le ciel est toujours aussi gris, l'humidité pénétrante. Pas question de rester entre quatre murs en ce moment. Trop de spleen. Sortir, m'aérer, même en ville. Je me suis attardée dans deux magasins spécialisés dans la vente de matériel pour les artistes peintres. Simplement pour y respirer quelque fragrance, enivrante. 
Point d'odeur de peinture à l'huile ni de térébenthine. Je me souvenais de ta "palette" et de ton "établi" remplis de gros tubes de peinture à l'huile de chez Marin : ils "nous" coûtaient une fortune, avec les toiles sur châssis à clé, et nous laissaient au régime  pâtes et pommes-de-terre pendant quelque temps. Ce n'était pas un problème, tes gratins de macaronis et dauphinois (à la lyonnaise) étaient savoureux. 
Bien sûr, il n'y avait aucune odeur particulière dans ce magasin. J'y ai  déniché un joli carnet pour un journal de voyage; des pages blanches à remplir si j'ose repartir, loin, en voiture. Ne pas y penser à l'avance, ne pas penser aux vertiges. Vivre au jour le jour. Mes jours sont désormais sans lendemain.



 Le carnet et l'Invitation au voyage

Puis j'allais à la médiathèque.
Emprunté deux DVD : un film de Wong Kar-Wai, Chungking Express, de 1995 et un film de Jim MacBride, Le Journal de David Holzman, de 1967. Pas encore visionnés.
Emprunté : Le livre du ça de Georg Groddek, conseillé par un ami (pour me remonter le moral;-).
Pause thé au XXIe. Surprise! Changement de décor, de propriétaire. Déception pour moi; j'y allais pour l'accueil chaleureux, le sourire, la poignée de main de Sébastien
"L'enseigne créée par Frédéric Mérour il y a quinze ans et tenu par Sébastien Laimé ces cinq dernières années, le XXIe, situé sur la place Saint-Corentin, vient de changer de propriétaire...."
Sébastien portait  bien son nom! 


Terrasse du XXIe avant rénovation, mais elle, reste intacte!

Grosse déception. Rien à ajouter. J'ouvrais Le livre du ça, en attendant mon thé, je lisais la Préface de Lawrence Durell et je compris pourquoi cet ami me l'avait conseillé, j'allais me régaler.

Dimanche 31 janvier.
Pluie le matin, pluie l'après-midi, pluie le soir. 
Pas mis le nez dehors.
Un peu de ménage, de repassage, en écoutant la radio, une émission très intéressante à propos de l'exposition qui se tenait au Musée du Quai Branly jusqu'au 31 janvier.

Affiche, crédit : DR




 
Puis, lecture ou plutôt relecture de Lettre d'une inconnue de Stefan Zweig. 
 
Lundi 1er février.
Ciel gris, humidité, la même rengaine. Pas de pluie.
Golf. Le hasard va-t-il...? J'ai réservé un départ, seule à 15 h. Mais un joueur s'est inscrit pour jouer avec moi. Je ne le connais pas, il est déjà au départ du 1 quand j'arrive et me dit :  - vous êtes Madame xxx? Je me suis inscrit avec vous, ça ne vous dérange pas? - Non, pas du tout, au contraire (faut que j'arrête d'être sauvage) et nous échangeons nos prénoms en nous serrant la main. Un monsieur très âgé, il a l'air sympathique. Et, qui vois-je au 9? Mon "charmant partenaire" avec le joueur de vendredi qui, lui, a déjà quitté le départ et se dirige vers le club house. Je me réjouis, je vais saluer "mon charmant ex-partenaire" (0_0) et en même temps je me dis : zut! je ne suis pas toute seule. Je n'ose pas lui demander s'il veut refaire un tour avec nous, peut-être pense-t-il que je connais celui qui m'accompagne et préfère ne pas désorganiser une partie prévue à deux? Il ne sait pas que je ne connais pas mon partenaire. Je me sens idiote, je lui dis : - vous avez bien fait de jouer avant la pluie (un petit crachin commençait à tomber). Je ne sais même plus ce qu'il m'a répondu, j'étais plus que perturbée. Il "nous" a souhaité une bonne partie et s'en est allé. Pfff! Snif! Pas de heureux hasard aujourd’hui.
Nonobstant une gentille partie, sous le crachin, avec A. le monsieur d'un certain âge qui me rappelait un acteur (le nom ne me revient pas) au visage buriné, des cheveux bouclés blancs  s'échappaient de sa casquette, un pull-over écru à torsades et col roulé irlandais. Je l'imaginais dans un pub à Cork buvant une Guiness après une partie de golf. 
 
Ce soir sur Arte, un hommage à Jacques Rivette avec Ne touchez pas la hache, j'aurais préféré revoir La belle noiseuse.