samedi 28 novembre 2015

***



J'entame aujourd'hui une nouvelle décade... 
euh non! décennie, qui sera
décadente sûrement - le déclin a déjà commencé -  
mais pas décadanse*,
j'ai dépassé l'âge des folies et, pourtant, 
comme dit l'innocent génial, Gérard Depardieu :
 
"Je revendique complètement ma connerie et mes dérapages. 
Parce qu'il y a là quelque chose de vrai. 
Et si on ne dérape jamais, c'est souvent qu'on est un peu con." Innocent.

*Extraits de la Décadanse :

"Quand on tombera en province sur une mémère qui piétine du raisin en croyant qu'elle danse un slow, on n'est pas sorti de l'auberge." (Jacques Chazot).

"J'espère bien qu'on va danser ça à l’Élysée prochainement." (Pierre-Jean Vaillard)

Bon, je sens que je commence joyeusement lamentablement ma nouvelle décennie! (Humour lourd mais je le revendique (0_0)).

vendredi 27 novembre 2015

"L'étendard brillant de notre liberté"

En ce vendredi d'hommage national 
aux victimes des attentats du 13 novembre :
mes pensées, ma compassion aux familles déchirées
 (en France et, partout ailleurs).



"Le drapeau blanc est un signe international de paix.
Le drapeau blanc fut aussi le drapeau du royaume de France, jusqu'au , excepté entre 1790 et 1815 où il fut remplacé par un drapeau tricolore." (Wikipédia)

 Scène de Juillet 1830, dit aussi Les Drapeaux.
Léon COGNIET

© Musée des Beaux Arts d'Orléans
 

Scène de Juillet 1830, dit aussi Les Drapeaux
Le drapeau bleu-blanc-rouge
Au cours de la Révolution, l’emblème tricolore devient le support d’un nombre croissant de souvenirs et de fidélités. Le 13 juillet 1789, La Fayette unit le blanc de la monarchie aux couleurs de Paris pour donner une cocarde à la garde nationale qui vient d’être créée. Le 17 juillet, le roi accepte d’arborer les trois couleurs. Elles tiennent ensuite une place privilégiée dans la fête de la Fédération et symbolisent désormais l’unité de la nation. Le grand épisode guerrier de la bataille de Valmy les situe au cœur de l’épopée militaire qui allait hanter l’imagination française. En revenant sur le trône, les Bourbons reprennent le drapeau blanc. Mais en juillet 1830, les révolutionnaires avancent derrière des drapeaux tricolores qu’ils plantent sur les monuments conquis. Lorsqu’il monte sur le trône le 31 juillet, le duc d'Orléans[1] proclame : « La nation reprend ses couleurs. »

Auteur : Mathilde LARRÈRE

1.  Le duc d'Orléans aimait alors à rappeler qu'il avait combattu à Valmy et à Jemappes, sous le drapeau tricolore des armées révolutionnaires.


Pour en savoir plus sur Léon Cogniet et sur ce tableau qui ne fut qu'une esquisse, lire le blog Les yeux d'Argus.

"L’esquisse de Léon Cogniet fut reprise par [Jean-François] Villains en une lithographie très largement diffusée. Sur cette lithographie afin d’être plus explicite encore, apparaissait à droite, un quatrième drapeau, le drapeau tricolore. Elle était accompagnée d’un poème qui ne laissait guère de doute quant à son interprétation : 
« Aux ténèbres enfin succède la clarté
/ Et des pâles lambeaux du drapeau des esclaves
/ Et de l’azur du ciel et du sang de nos braves
/ Naît l’étendard brillant de notre liberté »"



Dont celle-ci, magnifique :


 La Garde nationale de Paris part pour l'armée, septembre 1792 (1836),
Versailles, musée de l'Histoire de France.

 "Cette composition représente une scène d’enrôlement qui eut lieu à Paris sur le Pont-Neuf. La topographie du site est reprise d’une gravure de Berthault d’après Prieur. On aperçoit, à l’emplacement de la statue d’Henri IV retirée par la Révolution, un étendard tricolore brandi sur le piédestal vide."

Analyse de l'image : suite ici.

mercredi 25 novembre 2015

A travers le miroir

Ben voilà, je l'ai faite cette photo en sortant de ma douche!


J'ai quand même attendu quatre ans. Mais non, pas pour prendre ma douche. Tsss! Pour faire la photo.
Mais bon, pas terrible, surtout si on veut rester incognito... et pudique.
A refaire! pour un rendu plus net... de la buée sur le miroir car sur celle-ci on ne voit même pas les gouttelettes. J'ai voulu aller vite par crainte de voir la buée disparaître rapidement. Or, pour voir des gouttelettes, il faut justement attendre que la buée commence à s'évaporer.
Et puis, pas assez d'éclairage sur le miroir d'autant plus que je n'ai pas utilisé de flash.
Oui, à refaire... la semaine des quatre jeudis!

Celle-ci est plus intéressante


Il est bizarre mon doigt (0_0)
On dirait celui de E.T. 
Hi!

http://img4.wikia.nocookie.net/__cb20111225175126/mugen/images/8/87/Et.jpg
 

vendredi 20 novembre 2015

Le vélo, un style de vie esthétique

Ma revue de blogs de ce matin...

Besoin d'évasion, de poésie, de belles images, en ces temps perturbés dans un monde où règne la terreur.

A Copenhague au Danemark, la petite reine fait son show en vélo-cargo  (cliquer sur les photos précédentes).

A Copenhague, le vélo n'est pas la cinquième roue du carrosse (*_*)

Les Danois peuvent même prendre le train de banlieue avec leur vélo. "Depuis 2010, transporter sa bicyclette est gratuit sur les trains de banlieue, dont plusieurs wagons offrent chacun sept « pinces » pour y glisser sa roue." Et, avec le wi-fi!!!

L'auteur de ce blog en pince un peu pour la bicyclette, et ne marche pas (plus) avec des Béquilles.

lundi 16 novembre 2015

"L'oiseau m'avait laissée seule avec mon chagrin"

Trois jours que je m'enveloppe d'une carapace pour ne pas me laisser atteindre, submerger, par l'émotion qui vient après la rébellion.
Trois jours dans une espèce d'enfermement mental, pour ne pas s'écrouler.
Trois jours sans appuyer sur le bouton de la télévision.
Et puis, ce matin, il y a un instant, j'aperçois un vol d'oiseaux noirs - si beaux dans le ciel gris - à travers les gouttelettes de mes vitres et cette émotion refusée depuis trois jours m'étreint, en pensant à cette jeunesse assassinée sauvagement.
Je me laisse aller, à pleurer.


Un beau jour,
Ou était-ce une nuit
Près d'un lac, je m'étais endormie
Quand soudain, semblant crever le ciel
Et venant de nulle part,
Surgit un aigle noir.

Lentement, les ailes déployées,
Lentement, je le vis tournoyer.
Près de moi, dans un bruissement d'ailes,
Comme tombé du ciel,
L'oiseau vint se poser.

Il avait les yeux couleur rubis
Et des plumes couleur de la nuit.
À son front, brillant de mille feux,
L'oiseau roi couronné
Portait un diamant bleu.

De son bec, il a touché ma joue.
Dans ma main, il a glissé son cou.
C'est alors que je l'ai reconnu :
Surgissant du passé,
Il m'était revenu.

Dis l'oiseau, Ô dis, emmène-moi.

Retournons au pays d'autrefois,
Comme avant, dans mes rêves d'enfant,
Pour cueillir en tremblant
Des étoiles, des étoiles.

Comme avant, dans mes rêves d'enfant,
Comme avant, sur un nuage blanc,
Comme avant, allumer le soleil,
Être faiseur de pluie
Et faire des merveilles.

L'aigle noir, dans un bruissement d'ailes
Prit son vol pour regagner le ciel.
Quatre plumes, couleur de la nuit,
Une larme, ou peut-être un rubis.
J'avais froid, il ne me restait rien.
L'oiseau m'avait laissée
Seule avec mon chagrin.

Un beau jour, ou était-ce une nuit
Près d'un lac je m'étais endormie.
Quand soudain, semblant crever le ciel
Et venant de nulle part
Surgit un aigle noir.
Barbara, L'Aigle noir.

mercredi 11 novembre 2015

Mémoire vive des objets a(n)imés

Chaque objet que j'époussette me ramène à ceux qui me les ont offerts, à ceux que j'aime, à ceux que j'ai aimés.
Pas un seul de ces objets n'est insignifiant, que sa valeur soit infime ou rondelette, chacun est aussi cher à mon cœur.
Il est aussi des objets que je n'époussette pas, comme ce saladier en inox, qu'une amie nous avait offert (à moi et trois autres collègues de l'agence) rempli de douceurs, quelques semaines... avant de mourir. Ce saladier je m'en sers pratiquement tous les jours, et tous les jours je pense à elle, qui repose au cimetière de Barbizon... depuis... depuis... trop longtemps. Je ne l'époussette pas, je le caresse quand je fais la vaisselle.
Et ce matin, c'est le grand époussetage, ce matin c'est un doux mélange de spleen, d'amour, d'amitié, de chaleur humaine.

dimanche 8 novembre 2015

"L'insensible est protégé contre la déraison par sa bêtise" (Kant, Essai sur les maladies de la tête)

Vivre avec cette sensation vertigineuse devient une habitude. Les manœuvres libératoires ne sont pas toujours efficaces et l'état d'ébriété est quasi permanent. Seule celle de Sémont me soulage faite par mon ORL mais à une heure de route de mon domicile. La kiné préfère celle de Epley beaucoup moins efficace pour moi et moins violente pour son dos à elle (sic) (0_0). S'obliger - malgré l'immense fatigue ressentie - à bouger, à faire même comme si tout était normal : tête lourde, fatigue, ébriété. Je me décidais donc, hier, bien que la température fut douce pour une promenade sur la côte, à aller au cinéma voir le dernier Woody Allen L'Homme irrationnel, en VO. Sur le chemin, cette publicité me plaît :


J'étais un peu en avance pour la séance et j'avais le temps de prendre un chocolat au Café des Arts sur la terrasse, au calme, car en allant le commander à l'intérieur, le brouhaha m'a soûlé, le café était archi bondé, de jeunes et c'était tout de même réjouissant d'entendre cette animation, cette vie qui était là, de rencontres humaines. C'est donc qu'ils n'étaient pas tous le nez dans leur smartphone et que la communication, réelle, existait bien encore. Moi, je n'étais pas encore morte mais pas tellement vivante et j'avais besoin de calme, que je trouvais sur la terrasse. Calme cependant relatif car au même moment, les cloches de la cathédrale se mirent à carillonner, annonçant un mariage d'une manière on ne peut plus joyeuse et tonitruante.  Mon chocolat arriva rapidement avec un serveur d'une beauté inouïe, un très jeune homme, asiatique, mince, grand : pantalon noir, chemise blanche manches roulées jusqu'aux coudes, petit col smoking avec un nœud papillon noir. Une élégance - qui, portée par un autre put être ringarde - doublée de beauté. Ah! (Je n'ai pas osé le prendre en photo).


J'étais attablée du côté calme, à gauche; sur la droite les tables étaient occupées par les nombreux fumeurs qui avaient vue sur la cathédrale. Photo ci-dessous prise le 1er novembre, sous un ciel beaucoup plus lumineux que celui du jour.



Il était temps maintenant que j'aille au cinéma. Ô grand écran dans une salle noire, vous êtes irremplaçables, tout comme Woody Allen! Je fus - comme Jill (Emma Stone) - sous l'emprise du héros - Abe (Joaquin Phoenix). Lire ici et bande annonce

En sortant du cinéma j'étais un peu "stone" à mon tour et ma petite marche le long du quai m'a permis de cogiter sur l’irrationalité en contemplant les lumières de la ville.


Mais c'est quoi la rationalité? me demandais-je. Je comprenais bien que l’irrationalité de Abe allait le mener au (non je ne le dirai pas) néanmoins je trouvais que, enfreindre la rationalité était plus dans mes gènes que l'inverse. Je l'ai souvent dit : je suis légèrement cinglée.


"Si le rationnel désigne en général ce qui est conforme à la raison et à ses normes, et désigne dès l’abord un idéal, une valeur, l’irrationnel est quant à lui une notion marquée négativement ; il suppose donc une négation, qui est celle, en l’occurrence, de ce qui relève de la raison. Ainsi l’irrationnel désigne ce qui est irréductible, étranger, ou contraire à la raison. Est-ce que cela signifie que ces deux domaines seraient essentiellement en rapport de conflit? Il le semblerait bien, puisque nous sommes en présence d’une notion qui est négative et axiologiquement négative, et d’une autre qui elle, est positive et axiologiquement positive. Nous serions donc apparemment en présence de deux domaines complètement opposés et irréductibles l’un à l’autre, dont l’un menace l’autre.
Mais le fait qu’il y ait de l’irrationnel est-il vraiment un obstacle à la raison? On le voit à travers cette question, ce qui pose problème dans l’intitulé du sujet, c’est le présupposé selon lequel les limites entre ces deux domaines sont bien discernables. En effet, répondre à la question que nous venons de poser, nécessite que l’on sache quelles sont les limites (exactes) de chacun de ces deux domaines, et présuppose que ces deux notions sont absolues, non relatives. Si l’irrationnel est ce qui limite le rationnel, cela ne présuppose-t-il pas avant tout que la raison soit toujours identique à elle-même, comme la philosophie classique le présupposait? Or, ne voit-on pas à travers l’histoire que la raison a connu des progrès, qu’elle n’a cessé de changer? Dès lors, cela est-il si évident de dire que ces deux domaines sont complètement opposés l’un à l’autre? Et le propre d’une raison non plus "immuable" comme l’ont cru les classiques, mais plastique et dynamique, n’est-il pas au contraire de dialoguer avec son autre? -On le voit, ce qui est en jeu dans le sujet, c’est la nature même de la raison, qui semblerait bien dépendre des rapports qu’elle entretient avec l’irrationnel."
Je me plongerai plus tard dans La philosophie des "grands philosophes"

"On découvre alors que la plupart de ceux que l'histoire a retenu comme les plus "grands philosophes" étaient en fait des contre-lumières et des ennemis de la Raison."

Voilà où me mène Woody Allen quand il nous plonge d'emblée dans Kant et Kierkegaard! Et, quand raison rime avec passion, la déraison se pointe à l'horizon...

 

samedi 7 novembre 2015

Parce que c'est Eddy Louiss...

... et que je ne pouvais pas laisser passer ça, sans le dire! Parce que là, j'y étais ce jour-là au Petit Journal de Montparnasse, avec une collègue de l'agence (de pub où je travaillais) férue de jazz et amie de jazzmen dont Eddy Louis et





mardi 3 novembre 2015

Dans la vie, toutes les réussites sont des échecs qui ont raté.* (Romain Gary)



4e de couverture





Jean est chauffeur de taxi à Paris. Lors d’une course il fait la rencontre de Salomon Rubinstein, tailleur à la retraite qui a fait fortune dans le pantalon et qui occupe sa retraite en venant en aide aux démunis et à ceux qui souffrent de solitude. Salomon propose à Jean de lui racheter le crédit de son taxi s’il accepte de réaliser quelques visites à domicile pour des personnes dans le besoin.

Jean emporte avec lui partout son dictionnaire. C’est un autodidacte qui cherche à s’instruire, se cultiver, un personnage auquel on s’attache.
Solitude, humour, dérision, mélancolie : je ne pouvais qu'aimer ce livre.

Comme je le disais précédemment, L’angoisse du roi Salomon est le dernier roman de Romain Gary, publié sous son pseudonyme Emile Ajar.



Monsieur Salomon était en survêtement de sport gris, avec le mot training écrit en lettres blanches sur la poitrine. Il se tenait accroupi, les genoux pliés et les bras tendus en avant, il avait à ses pieds un livre ouvert avec des positions gymnastiques. Il est resté ainsi un long moment et puis il s’est redressé lentement, en ouvrant largement ses bras et sa bouche et en gonflant sa poitrine d’air. Après quoi, il s’est mis à courir sur place et à faire des petits bonds, les mains levées. Ça m’a fait un choc, surtout lorsqu’il s’est assis par terre et a essayé de se toucher les pieds du bout des doigts, en faisant une grimace affreuse.
- Faites attention nom de Dieu ! gueulais-je, mais il a continué à se tordre. J’ai cru qu’il était pris de son sarcasme et qu’il se tordait sous on effet, sarcasme, latin « sarcasmus », du grec « sarkazien », se mordre la chair, ironie, raillerie, dérision. Il serrait les dents, il avait les yeux qui lui sortaient de la tête et des gouttes de sueur au front et c’était peut-être la rage, le désespoir et la vieillesse ennemie.
Allez savoir.
Il est resté un moment tête baissée, les yeux fermés. Après il m’a jeté un regard.
- Eh oui, mon ami. Je m’entraîne, je m’entraîne. J’applique la méthode de l’aviation canadienne. A mon avis, c’est la meilleure.

J’en avais ralbol.
- […]  mais vous vous entraînez en vue de qui ou de quoi, à votre âge, sauf votre respect et votre permission, monsieur Salomon ?
Et je me suis assis, tellement j’avais les genoux qui tremblaient de colère.
Monsieur Salomon s’est levé, il s’est tourné vers la fenêtre et il a commencé à inspirer et à expirer. Il gonflait sa poitrine, avec le mot training dessus, il se hissait sur la pointe des pieds, il ouvrait les bras et il faisait rentrer l’air dans ses profondeurs. Après, il se vidait d’air complètement comme un pneu qui se crève. Après, il recommençait à se gonfler à bloc et à se remplir d’air jusqu’au trognon et ensuite psssssst ! il se dégonflait encore jusqu’au vide.
Puis il s’arrêta.
- Rappelle-toi, mon jeune ami. Inspire, expire.  Quand tu auras fait ça pendant quatre-vingt-quatre ans, comme moi, eh bien ! tu passeras maître dans l’art d’inspirer et d’expirer.
[…]
Monsieur Salomon regardait le dictionnaire que j’avais sous le bras.
- Pourquoi cherchez-vous toujours les définitions dans le dictionnaire, Jean ?
- Parce que ça fait foi.
[…]
- C’est bien, dit-il. Il faut garder sa foi intacte. On ne peut pas vivre, sans cela. Et le Robert nous est là d’un grand secours.  
[…]
Je m’efforçais de ne pas le regarder trop attentivement comme je le faisais toujours, malgré moi, dans ses moindres détails, pour mieux m’en rappeler plus tard. Je l’aimais beaucoup et j’aurais fait n’importe quoi pour lui donner cinquante ans de moins et même davantage.
Je me suis levé.
- Vous avez laissé tomber ça dans l’ascenseur.
Je me doutais bien qu’il n’allait pas rougir, parce qu’à cet âge leur circulation le leur interdit. […] Au lieu de témoigner de la gêne ou de se chercher des excuses, monsieur Salomon s’est emparé de la feuille d’annonces avec une satisfaction et une vivacité qui ne permettaient pas de doute. […] Monsieur Salomon s’est emparé de la feuille d’annonces matrimoniales d’un air enchanté.
- Ah les voilà ! Je me demandais justement où je les avais perdues ! s’exclama monsieur Salomon, et, en se levant des deux mains du fauteuil, il est allé s’asseoir derrière son grand bureau de philatéliste.
[…]
- Venez ici Jeannot, vous allez me conseiller.
Il y a des moments où il me tutoie et des moments où il me vouvoie, ça dépend des distances.
- Vous conseiller quoi, monsieur Salomon ? Vous voulez vraiment contracter femme ou vous me faites seulement mal au ventre ?
- Ne dites pas « contracter femme », Jeannot, ce n’est pas une maladie. J’aimerais que vous traitiez la langue de Voltaire et de Richelieu-Drouot avec plus de respect, mon ami. Voyons…
Je me souviendrai toute ma vie, et ce n’est pas peu dire, de monsieur Salomon penché sur la page d’annonces matrimoniales
[…]
- J’en ai déjà souligné quelques-unes qui pourraient m’intéresser… Quelle épaule solide d’un demi siècle abriterait tête tendre, gaie, sensuelle ? Qu’est-ce que vous en pensez Jeannot ?
- Elle veut une épaule d’un demi-siècle, monsieur Salomon.
- Demi-siècle, demi-siècle ! grommela mon maître. On peut toujours discuter non ?  Il y a des personnes qui oublient que nous sommes en pleine crise et qui manifestent de ces exigences !
J’ai eu encore un doute et je lui ai jeté un coup d’œil bien vite pour voir s’il ne se foutait pas de nous tous dans des proportions homériques, mais pas du tout, le roi Salomon était vraiment irrité.
- […] C’est incroyable ! Elle demande une épaule de cinquante ans… Qu’est-ce que l’âge a à voir avec les épaules ?
- […]  Qu’est-ce qu’elle a, mon épaule, à quatre-vingt-quatre ans, qu’elle n’avait pas à cinquante, ce n’est quand même pas une question de qualité de la viande ?
Bon, puisque c’était comme ça j’ai voulu en avoir le cœur net.
J’ai lu :
- Françoise, 23 ans, coiffeuse, ravissante, 1 m 65, 50 kilos, yeux bleus… Vingt-trois ans… hein ?
Monsieur Salomon m’a observé. Puis il a posé sa loupe de philatéliste et il a détourné les yeux. Je n’ai pas voulu insister. Il y eut quand même un froid entre nous. Je cherchais quelque chose de gentil à lui dire et c’est là que j’ai fait une catastrophe.

Extraits pages 188 à 194.



[…]
- C’est un homme qui s’habille avec la dernière élégance (…]. C’est le stoïcisme qui veut ça. Le stoïcisme, vous savez, c’est quand on ne veut plus souffrir. On ne veut plus croire, on ne veut plus aimer, on ne veut plus s’attacher. Les stoïques étaient des gens qui essayaient de vivre au-dessus de leurs moyens.
Mademoiselle Cora buvait son café avec tristesse.
- Les stoïques, c’est des gens qui essayent de se retenir.
- Eh bien, il a tort de se retenir, monsieur Salomon. A quoi ça sert de passer sa vie à vivre si on ne peut pas profiter de la vie à la fin 
[…] Tu as vu ce qu’il a mis sur le mur, au-dessus de son bureau ?
- J’ai pas remarqué
- Il a mis la photo de De Gaulle sur le journal avec ce qu’il a dit des Juifs : « Peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ».
[…]
- Nous n’allons pas parler du roi Salomon toute la soirée, Jeannot. C’est un vieux monsieur un peu bizarre et qui est très malheureux
[…]
- Je pense qu’il ne veut pas se remettre avec vous parce qu’il a peur de vous perdre. L’autre jour, il n’a même pas acheté un chien pour cette raison. C’est le stoïcisme qui veut ça. Vous devriez regarder dans le dictionnaire. Le stoïcisme, c’est quand on a tellement peur de tout perdre qu’on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur. C’est ce qu’on appelle l’angoisse, mademoiselle Cora, plus connue comme pétoche. 

Pages 239-240.

Romain Gary (Émile Ajar), in L'angoisse du roi Salomon, éditions Mercure de France, 1979, coll. Folio 2006.



* A propos de cette citation en titre, de Romain Gary, coïncidence, hier soir je regardais en "replay" Un jour un destin, Françoise Giroud et, cette phrase qu'elle prononce à la fin du documentaire reprend la maxime de Romain Gary :

"Qu'est-ce que  c'est quelqu'un qui a réussi? De mon point de vue c'est quelqu'un qui n'a pas tout raté.
Je n'ai pas tout raté!" 



Capture d'écran
Écoutez-là dire cette phrase de sa voix unique
avec son visage d'ange merveilleusement diabolique.

dimanche 1 novembre 2015

Après nous, le déluge



Mes chers disparus,

Je pense si souvent au jour - plus si lointain - où j'irai vous rejoindre.
Mais où?
Où êtes-vous?
Pas dans cette tombe du bout du monde que j'entretiens et fleuris de temps en temps mais jamais à la Toussaint,
Pas dans le ciel où pourtant je vous vois parfois dans les nuages.
Alors où êtes-vous?
Nulle part et partout où je contemple la beauté :
Quand je regarde une allée jonchée de feuilles mortes qui me rappelle à la vie.


Quand, hier,  je partageais un instant le bonheur des promeneurs 
sur une plage déserte.



Quand, ce matin,  j'observe les oiseaux sur le toit de l'église 
dans la lumière divine de l'automne.
(Les tâches dans le ciel, ce n'est pas vous. Non mais!
C'est l'objectif de mon appareil qui serait à changer. Pfff!)


Où êtes-vous donc?
A vrai dire, vous êtes en moi. Vous êtes partout où je suis tant que j'existe.
Et tant pis si je ne vous rejoindrai nulle part quand je mourrai.
Après nous, le déluge.