samedi 31 janvier 2015

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"Ce n'est pas Internet, c'est ma carcasse qui me largue."

Françoise Giroud, C'est arrivé hier.

jeudi 29 janvier 2015

Une idée géniale

"Trois de mes visiteurs, hommes de caractère et d'action, connus pour tels, me confièrent successivement qu'eux aussi, un jour, avaient voulu reprendre leur liberté pour des motifs analogues : effondrement existentiel, longue coïncidence entre un deuil, un désamour et la désagrégation de leur vie professionnelle. Contraints de survivre, ils avaient reconstruit. Et ils savaient, eux, de quoi ils parlaient quand ils disaient : "Ce sera long, très long. Soyez patiente. Vous reconstruirez aussi." Ils avaient, en toute lucidité, franchi la même frontière que moi et ils savaient que du pays du non-espoir on revient toujours les mains vides. [...]
Parce que ces hommes étaient entre tous estimables, il me permirent, en assimilant mon geste au leur, de me déculpabiliser.
Une nuit, je parvins même à réveiller ma garde pour lui demander un peu d'eau. Depuis ma plus petite enfance, je n'avais jamais été capable d'accomplir un geste similaire.
Quand je le racontai au médecin qui me soignait, il me dit : "Vous avez eu, madame, une idée géniale de vous suicider. Je serais encore plus content si vous m'annonciez que vous songez à vous faire entretenir.
[...]
Je lui ai répondu que je préférais devenir rapidement une femme hors d'âge, ne portant sur son visage que la lumière de la paix."

Françoise Giroud, Histoire d'une femme libre.

***

La mort reste une possibilité.
Ça (m')aide à vivre.
Ce n'est pas une certitude.

mercredi 28 janvier 2015

Une rencontre foudroyante


 " En 1960, la journaliste perd en même temps l'homme qu'elle aime et le journal qu'elle avait créé avec lui. Dans Histoire d'une femme libre, un livre qui vient d'être retrouvé, elle parle de cette double blessure."


«Été 1960. Françoise Giroud vient de subir le plus grand échec de son existence : sa mort. De nombreux verrous bloquant la porte de sa chambre, une dose plus que létale de poison avalée, le téléphone débranché, elle avait tout prévu... sauf que deux solides gaillards iraient jusqu'à défoncer une cloison pour l'arracher à un coma déjà profond. Il lui faudra vivre.
Plaquée par Jean-Jacques Servan-Schreiber, sa passion, et virée de L'Express, ce journal de combat qu'ils avaient fondé ensemble, en brave petit soldat, elle repart pour la guerre avec la seule arme dont elle dispose : sa machine à écrire.»
Alix de Saint-André.

Après sa tentative de suicide, Françoise Giroud écrivit Histoire d'une femme libre, récit autobiographique, dont Alix de Saint-André a retrouvé le manuscrit qu'on croyait détruit. On y retrouve la voix d'une femme d'exception, complexe, lucide, et formidablement courageuse. Au milieu d'une vie tourmentée, elle dresse à la pointe sèche le portrait des mondes et des hommes qu'elle a croisés.

4e de couverture.



Françoise Giroud 1916-2003
 Crédit photo : Rue des Archives/Crédit/Rue des Archives/AGIP


"Quand on prétend vouloir naviguer sans jamais porter le poids d'un parachute, il faut accepter le risque et ne pas se plaindre lorsqu'on se trouve éjectée, les reins cassés. je ne me plains pas. J'ai toujours accepté de payer le prix de ma liberté. Et je n'avais jamais pris Jean-Jacques Servan-Schreiber pour un sentimental. Sinon, je n'aurais pas fait confiance à son génie politique.
En le regardant partir, je me dis que je l'avais toujours bien jugé : loyal, généreux, constant dans ses objectifs, mais implacable pour qui risquait de le déranger. [...] Il avait aussi, à un rare degré, l'intelligence et la délicatesse du coeur à l'égard de ceux qu'il aimait. Mais il aimait peu, très peu. En tout cas, ce matin-là, il ne m'aimait pas."

(Page 220)

 


Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber 
(Photo : DR)


 Entourant François Mauriac à « L’Express »,
Madeleine Chapsal, (à g.), épouse de JJSS, 
et Françoise Giroud, sa maîtresse.
(Photo DR)



"Pourquoi suis-je passée un soir de 1951, chez l’éditeur René Julliard alors que, attendue ailleurs, j’avais décliné son invitation ? La vérité m’oblige à répondre : parce que ma voiture était rangée dans une rue à sens unique. Engagée dans cette rue, je m’éloignais de mon domicile mais je passais tout près de la maison des Julliard.
Ils m’avaient avertie qu’un visiteur intéressant serait chez eux. Je m’arrêtai. Celui que j’espérais voir  était déjà parti. Mais il y avait encore trois personnes, Maurice Schumann, Jean-Jacques Servan-Schreiber et sa jeune femme.
Provocants l’un et l’autre, ils ne formaient pas un couple indifférent.
Madeleine Servan-Schreiber*, tout en angles aigus, élégance naturelle, ennui distingué, avait ce qu’il y a de plus rare chez les jeunes femmes : du style.
Jean-Jacques Servan-Schreiber, s’il avait été plus grand de dix centimètres, aurait eu alors le physique d’un play-boy américain. Sourire charmant, désinvolture alliée à la bonne façon de regarder et d’écouter les femmes comme s’il leur attachait de l’importance. […]
Je le connais trop pour savoir l’impression qu’il produit aujourd’hui. Il a beaucoup changé. En bien, en mal ? Le temps n’est plus où il faisait gravement des grimaces et où il triomphait chaque fois qu’un fil d’argent apparaissait dans le tapis-brosse de ses tempes, parce qu’il craignait que sa jeunesse apparente interdise de le prendre au sérieux. Maintenant, c’est le contraire. Les jeunes, il a peur de ne plus en être. Il est à l’âge où l’on commence à s’énerver de trouver toujours plus jeune que soi. Et puis, un directeur de journal armé de secrétaires qui se chargent d’envoyer les roses rouges sans lésiner sur le nombre, d’un ou deux chauffeurs qui vont chercher Madame, qui raccompagnent Mademoiselle, et de célébrités en tout genre dans chaque poche, ce n’est plus un homme, c’est un mythe.
[…] Mais il était mieux que l’écorce plaisante d’un mythe : un homme de lumière, lui aussi**.
Curieusement, nous ne nous étions jamais vus alors que nous passions depuis deux ans la journée dans le même immeuble. […]
L’heure avançait. Nous prîmes, ensemble, congé de nos hôtes.
Devant la porte, Jean-Jacques et Madeleine Servan-Schreiber me proposèrent de me raccompagner. Ma voiture était garée devant la leur, de même marque, mais moins puissante. Je partis seule en avant.
A la hauteur du boulevard Saint-Germain, où la circulation était encore assez forte, une traction me doubla à folle allure, escaladant un refuge pour se faufiler, circulant en slalom et brûlant le feu rouge de la Concorde. Je n’eus que le temps de reconnaître le conducteur. Le diagnostic fut immédiat : pas encore adulte, prenant des risques inutiles, et au mépris des autres, supportant mal que l’on se montre plus puissant que lui. J’étais plus adulte, mais pas encore tout à fait sans doute, puisque ce comportement m’irrita. Je devais, ce soir-là, ma puissance supérieure aux chevaux-moteur de M. Citroën. Je l’employais, lorsque le chemin fut dégagé, à rejoindre la voiture des Servan-Schreiber qui filait sur les quais et à la doubler de telle sorte que l’envie passe à ce monsieur de rejouer à ce jeu-là avec moi.
Le lendemain, il me faisait prier, par René Julliard, d’assister le soir même au dîner qu’il donnait chez lui.
Smokings et grandes robes, ambassadeurs et généraux, colonels et prix Goncourt, hauts fonctionnaires et ministres… Exerçant un autre métier, cette assemblée réunie par un jeune homme sans lustre et sans fonction m’eût sans doute impressionnée, bien ou mal. Plutôt mal que bien, comme une dame qui porte ensemble tous ses brillants, y glissant de surcroît quelques strass.  Mais, outre que les journalistes cessent très tôt d’être impressionnables, les relations, les « contacts » font partie de la profession. Ils faisaient partie de la sienne.
Je me dis seulement en arrivant que, comme dans tout grand dîner, ma soirée serait perdue ou gagnée selon les voisins de table que l’on m’attribuerait.
Elle fut gagnée : j’étais assise à côté d’un homme dont le nom ne provoquait alors aucune secousse dans la colonne vertébrale de ceux qui l’entendaient. Il était d’ailleurs inconnu hors des milieux politiques. Il s’appelait Pierre Mendès France.
J’avais eu l’occasion de voir de près nombre de ses collègues. Il était d’un tout autre format.
Déconcertant, comme le sont tous les gens naturels, c’est-à-dire presque personne, sans comédie, ni dans la voix, très belle, ni dans les gestes, rares, ni dans le silence, toujours ouvert. Je crus voir à ses mains qu’il était musicien, à son regard qu’il était bon.
[…]
[…]
Ce soir-là, une phrase de Stendhal – toujours le stock de M. Lacroix – me trottait dans la tête, que je n’arrivais pas à reconstituer. Je l’ai retrouvée par hasard en relisant Lamiel : « La moindre différence sociale engendre une masse d’affectation considérable. » Pierre Mendès France était hors différence, hors classe, hors classement.
A la fin de la soirée, Servan-Schreiber s’enquit :
- Comment le trouvez-vous ?
Je ne sus que dire. L’intelligence et l’humanité réunies à ce degré en un seul homme, cela ne se définissait pas d’un mot. Et je n’ai jamais disposé d’une bonne faculté d’expression par la parole.
Aux commentaires de Servan-Schreiber, je compris qu’il était amoureux. Amoureux de Mendès France."


Pages 149 à 154.

* Madeleine Chapsal, de son nom de jeune fille qui restera son nom de plume, fut la première épouse de J.J. Servan-Schreiber.

** Françoise qualifiera ensuite cette rencontre de coup de foudre : « Par là, j’entends ce choc immédiat d’où jaillit une lumière intense, un éclair, sous laquelle vous voyez l’autre tout entier d’un seul coup d’œil ; vous voyez tout ce que les autres ne voient pas, car l’amour, loin d’être aveugle, comme on le dit bêtement, l’amour est extralucide. »

Françoise Giroud, in Histoired’une femme libre, Gallimard, 2013. Edition établie par Alix de Saint-André.

Lire ici cette rencontre, ce soir de 1951, relatée par Madeleine Chapsal :

"J’ai 26 ans et je suis folle de mon mari, Jean-Jacques Servan-Schreiber. Folle mais pas aveugle. Ce soir de novembre 1951, à un dîner chez l’éditeur René Julliard, se noue sous mes yeux une passion adultère qui va durer neuf ans. [...]"

Histoire d'une femme libre est un livre émouvant voire bouleversant. Françoise Giroud nous livre ses sentiments intimes, sans concession, avec rigueur, avec passion. Passion du journalisme. Elle ne prétend pas faire "de la littérature" (dit-elle) et pourtant, c'est de la littérature. Une autobiographie plus vraie que nature. Je l'ai dévoré, on découvre une femme drôle, grave, rebelle, entière qui garde la tête haute même dans le drame. Journaliste et femme, exceptionnelles; admiration.

samedi 24 janvier 2015

Intermède

Circulation céleste
 

jeudi 22 janvier 2015

Changer de vie et... devenir un pur esprit



"A quoi pensez-vous quand vous voyagez en avion ? Assis à plus de 10 km du sol, quelles sont les pensées qui vous traversent l’esprit ? Sont-elles futiles ? Pas assez de glaçons dans votre jus de tomate, un peu froid aux pieds, quel film choisir, faut-il déranger ce monsieur qui dort à côté de vous pour aller aux toilettes ? Mais cet espace indéterminé qu’est le ciel entre deux destinations est peut-être le théâtre d’interrogations plus profondes. Pourquoi ce voyage ? A quoi rime la vie ? Qu’est ce que je fais ici ?" 

Fouad Laroui, in Les tribulations du dernier Sijilmassi, éditions Julliard.





Je n'ai pas lu ce livre, je ne peux donc rien en dire de personnel, mais j'écoutais hier matin un entretien intéressant avec (la toujours charmante) Mélanie Croubalian et, Fouad Laroui. Au même moment, coïncidence, je regardais le ciel et je voyais ces traînées blanches en me disant : à quoi pensent tous ces voyageurs dans ces autoroutes du ciel ? Aux questions posées plus haut, extraites de son roman, l'auteur répond :

"Quand on est à trente mille pieds du sol, c’est assez extraordinaire, les pensées qu’on a me semble-t-il sont beaucoup plus profondes et remettent réellement en question tout ce qu’on fait. Quand on est dans un avion et qu’on voit des nuages à travers le hublot et qu’on approche d’une ville à l’atterrissage (là en l’occurrence c’était Hong Gong), les pensées sont presque toujours existentielles. En gros : qu’est-ce que je fais là ? Est-ce là vie que je souhaite ? Est-ce que cette vie a un sens ? Est-ce que je contribue à quelque chose ? Assez souvent, ce genre de pensées que j’avais quand j’étais à l’époque ce qu’on appelle un high flyer, qui était tout le temps dans les avions et qui était promis à une très belle carrière. Ces pensées-là nous viennent parce que je crois qu’on devient réellement un pur esprit ? A ce moment-là, on n’a plus aucun contrôle sur son corps, on est assis sur son siège, on est finalement livré à la technique moderne, on est livré pieds et poings liés au commandant de bord et, à ce moment-là le mieux à faire c’est d’oublier que nous sommes des corps, que notre corps nous n’en disposons plus. Et si nous ne sommes plus des corps, que sommes-nous ? Alors nous sommes des esprits, de purs esprits, et ce pur esprit généralement, se met à la hauteur des idées que nous devons avoir à ce moment-là, ce ne sont plus des idées extrêmement pratiques, un pur esprit ne peut avoir que de très pures et de très belles pensées. Je pense que c’est pour ça que dans l’avion on devient un peu philosophe."

Le sujet du roman paraît léger et drôle mais pas seulement si je m'en tiens à ce que nous en dit l'auteur dans cette émission. Quelques sujets plus graves, voire philosophiques, existentiels y sont abordés, tels que : "comment abattre les murs que l'ignorance et l'obscurantisme érigent entre les civilisations?"

A propos de Fouad Laroui, extrait d'un article pour le Magazine Littéraire en 1999 :

"J’écris pour dénoncer des situations qui me choquent. Pour dénicher la bêtise sous toutes ses formes. La méchanceté, la cruauté, le fanatisme, la sottise me révulsent. Je suis en train de compléter une trilogie. Les dents du topographe avait pour thème l’identité. De quel amour blessé parle de tolérance. Le troisième qui vient de paraître sous le titre Méfiez-vous des parachutistes, parle de l’individu. Identité, tolérance, respect de l’individu : voilà trois valeurs qui m’intéressent parce qu’elles sont malmenées ou mal comprises dans nos pays du Maghreb et peut-être aussi ailleurs en Afrique et dans les pays arabes."
Source : Biblio Monde.

Les tribulations du dernier Sijilmassi a obtenu le Prix Jean Giono.


mardi 20 janvier 2015

Féroces, mais pas méchants


Hier soir je voulais poursuivre ma lecture vidéo d'un passionnant documentaire sur Jacques Vergès et, sur la colonne de droite des vidéos, j'aperçois "Carnets de jour : Me Jacques Vergès et Georges Wolinski". Je trouvais curieux d'associer ces deux hommes; j'étais fascinée par l'un, il me passionnait, Jacques Vergès et j'aimais bien l'autre, sans qu'il me passionnât, Georges Wolinski. En voyant que le producteur de ce dernier documentaire était Paris Match, je me suis dit : bon, ça va être une rubrique people; mais l'actualité et la disparition de Wolinski méritaient - comme un nouvel hommage - que je visionnasse cette vidéo. (Extrait ci-dessus).
Rubrique people certes, but why not quand il s'agit de personnalités intéressantes : "féroces mais pas méchantes".
Rien à voir donc avec le documentaire de 2 h 15 sur Jacques Vergès dont je vais poursuivre la lecture vidéo... évidemment.





samedi 17 janvier 2015

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Photos du jour

Quimper, rue Sainte Catherine


Au fond de la rue, Le cornet à dés
L'ombre (la lumière) de Max Jacob plane sur  Quimper.




A travers la vitre, flash dans l'Oeil. Paf!
Clin d'oeil pour un ami.
Ci-dessous, image récupérée sur la Toile.


Je jette un coup d'oeil à travers la vitre et cette boutique BD ZEF semble une caverne d'Ali Baba. Je pousse la porte et entre. Des centaines (des milliers?) de BD, des objets, des personnages de Bande Dessinée moulés, en plâtre, en plomb, en plastique? Il y en a de superbes de Tintin, de Milou, des Dupont et Dupond, du Capitaine Haddock. Mais aussi des figurines de Betty Boop, en tenue de combat, en sportive etc! Je me renseigne auprès de la libraire de savoir si elle aurait une Betty Boop golfeuse. Certainement me dit-elle, elle fait tous les sports (sic). Elle file au fond du magasin où se trouve la collection Betty Boop. Je me suis trompée me dit-elle, celle-ci joue au cricket, j'ai confondu avec le golf. Je lui dis que je l'ai vu sur Internet mais que ce n'est pas grave, c'était pour le fun... (et c'est tellement futile ... shame on me, me suis-je dit). Du coup je lui ai acheté un livre d'enfant pour une de mes petites nièces.



Appelons un chat un chat (0_0) (2)




Discours lors de la remise du prix d’État autrichien

Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,

Il n’y a rien à célébrer, rien à condamner, rien à dénoncer, mais il y a beaucoup de choses dérisoires ; tout est dérisoire quand on songe à la mort.
On traverse l’existence, affecté, inaffecté, on entre en scène et on la quitte, tout est interchangeable, plus ou moins bien rodé au grand magasin d’accessoires qu’est l’Etat : erreur ! Ce qu’on voit : un peuple qui ne se doute de rien, un beau pays – des pères morts ou consciencieusement dénués de conscience, des gens dans la simplicité et la bassesse, la pauvreté de leurs besoins… Rien que des antécédents hautement philosophiques, et insupportables. Les époques sont insanes, le démoniaque en nous est un éternel cachot patriotique, au fond duquel la bêtise et la brutalité nous sont devenues les éléments de notre détresse quotidienne. L’État est une structure condamnée à l’échec permanent, le peuple une structure perpétuellement condamnée à l’infamie et à l’indigence d’esprit. La vie est désespérance, à laquelle s’adosse les philosophies, mais qui en fin de compte condamne tout à la folie.
Nous sommes autrichiens, nous sommes apathiques ; nous sommes la vie en tant que désintérêt généralisé pour la vie, nous sommes, dans le processus de la nature, la mégalomanie pour toute perspective d’avenir.
Nous n’avons rien à dire, si ce n’est que nous sommes pitoyables, adonnés par l’imagination à une monotonie philosophico-économico-mécanique.
Moyens à fin de déchéance, créatures d’agonie, tout s’explique à nous et nous ne comprenons rien. Nous peuplons un traumatisme, nous avons peur, car nous apercevons déjà, bien que confusément, à l’arrière-plan : les géants de l’angoisse.
Ce que nous pensons l’a déjà été pour nous, ce que nous ressentons est chaotique, ce que nous sommes reste obscur.
Nous n’avons pas à avoir honte, mais nous ne sommes rien non plus et ne méritons que le chaos.
En mon nom et au nom des personnes distinguées en même temps que moi par ce jury, je remercie très expressément tous ceux ici présents.

Thomas Bernhard, Mes prix littéraires. 

Après son regard contempteur sur la remise de ce prix, Thomas Bernhard mesure  son "Discours" mais ne laisse aucun doute sur cette rébellion qui l'habite.

Sur cet ouvrage, lire ici


jeudi 15 janvier 2015

Des "trous du cul". Appelons un chat un chat



 

Le prix d’État autrichien de littérature 

[…] c’est complètement à mon insu que mon frère, comme il me l’a avoué plus tard, était allé déposer le jour de la date de clôture des dossiers mon Gel à l’accueil du ministère des Arts et de la Culture sur le Minoritenplatz. J’étais tout sauf enthousiaste à la nouvelle d’avoir ce prix, car il avait été attribué avant moi à toute une série de jeunes gens qui l’avaient grandement dévalorisé à mes yeux.
[…]
Plusieurs journaux avaient présenté la nouvelle que je recevais le prix d’État comme s’il s’agissait du Grand Prix d’État, alors que ce n’était que le petit, qui m’humiliait. Cette pilule avait beaucoup de mal à passer, et pendant des semaines j’en restai la gorge serrée. […]
[…]  je me sentais sauvé par le fait que le petit prix d’État était aussi doté d’une somme d’argent, d’un montant de vingt-cinq mille schillings à l’époque, dont j’avais, moi qui étais alors endetté jusqu’au cou et même au-delà, un besoin urgent. […
[…] Et de fait, je l’avoue, à chaque fois que je pensais à la dotation de vingt-cinq mille schillings j’étais d’accord pour recevoir le prix, malgré tout ce qu’il impliquait d’abject et de répugnant […].
[…]
Les gens qui abordaient le sujet avec moi pensaient tous que j’avais naturellement obtenu le Grand Prix d’Etat, à chaque fois je devais affronter l’embarras de leur dire qu’il s’agissait du petit prix, celui que n’importe quel trou du cul ayant publié quelque chose avait déjà reçu. Et à chaque fois j’étais obligé d’expliciter aux gens la différence entre le petit et le Grand Prix d’État, et une fois mes explications terminées, j’avais l’impression qu’il ne comprenaient plus du tout. […] Quand les gens me demandaient qui avait déjà reçu le Grand Prix d’État, je disais à chaque fois : que des trous du cul, et quand ils me demandaient de citer ces trous du cul, je leur citais toute une série de trous du cul, qui leur étaient tous inconnus, ces trous du cul n’étaient connus que de moi. Et ce Sénat des Arts est donc exclusivement composé de trous du cul, s’enquéraient-ils, puisque tu qualifies de trous du cul tous ceux qui y siègent. Oui, répondais-je, au Sénat des arts ne siègent que des trous du cul, à savoir des trous du cul catholiques et nationaux-socialistes, flanqués de quelques Juifs-alibis. Ces séances de questions-réponses m’écœuraient. Et ces trous du cul, continuaient les gens, font tous les ans élire de nouveaux trous du cul au sein de leur assemblée en leur conférant le Grand Prix d’État. Tout à fait, répondais-je, chaque année de nouveaux trous du cul sont élus à cette assemblée, qui se nomme Sénat des Arts et qui représente un mal inexpugnable et une absurdité perverse au sein de notre État. »

Thomas Bernhard, in Mes prix littéraires, éditions Gallimard, 2010.

"Sous prétexte de parler de tous les prix littéraires qu’il a reçus, Thomas Bernhard se livre, dans ces textes inédits, à ce qu’il fait le mieux : exercer sa détestation. Jurés, organisateurs, notables allemands ou autrichiens, personne n’est épargné par l’humour vengeur d’un auteur hypersensible à la médiocrité. Irrésistiblement méchant et drôle, il excelle aussi dans l’art de la miniature. Chaque récit est un joyau, et se lit comme une courte nouvelle. Derrière une apparente désinvolture, Bernhard interroge la nature de l’industrie littéraire et la vanité des distinctions honorifiques. Tout cela dans un style acéré et ironique à la fois – du grand art. Terminé en 1980, ce petit volume, resté pour des raisons obscures inédit du vivant de l’auteur, associe neuf récits de remises de prix et les discours de réception correspondants, poétiques et violents. On comprendrait presque pourquoi un certain ministre autrichien, à l’audition d’un de ces discours assassins, s’est retenu de justesse de frapper Bernhard..."

(4e de couverture)

Thomas Bernhard n'y va pas de main morte pour exprimer son mépris et l'hypocrisie des organisateurs de prix littéraires. Un petit livre jouissif, drôle, insolent, qui n'a pas de prix.

(A suivre... son Discours...)




mardi 13 janvier 2015

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Dimanche, 11 janvier 2015



 Liberté, Martin Argyrogolo
11 janvier 2015 Place de la Nation


 Liberté "Le crayon guidant le peuple", Stéphane MAHE/REUTERS
11 janvier 2015 Place de la Nation

 

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830

dimanche 11 janvier 2015

Être là, comme une évidence...

Cette après-midi, rassemblement Place de la Cathédrale, une foule compacte.
Cette Place Saint-Corentin, une Place de la République miniature, sans Hommes d’État. Mais le coeur de chacun, lui, battait aussi fort ici qu'à Paris et ailleurs.
Après le rassemblement, l'allocution de circonstance, puis la minute de silence, la marche a commencé, enfin, devait commencer. Impossible de bouger, il fallait attendre que ça se décante. Alors, ceux qui étaient dans les ruelles attenantes ont commencé la marche dans le sens inverse de celui qui était prévu. La foule fut alors séparée mais pour se retrouver ensuite, réunie à nouveau sur les quais dans cette marche silencieuse, légère. Oui, il y avait une légèreté dans l'air. Le ciel s'était pourtant soudainement assombri. Nous marchions lentement mais lestement dans cette foule qui n'était pas en liesse, mais légère, légère et fière d'être là, comme une évidence, dans une communion compassionnelle... (ça y est, je l'ai dit).

Photos prises à l'aveugle bras levés pour passer au-dessus des têtes!









Vidéo empruntée sur YouTube

samedi 10 janvier 2015

"Des types qui ne rêvent que d'étendre l'ombre sur le monde"

Comment rendre le sens des mots plus clair?

Il faudrait, à chaque fois, faire abstraction de sa subjectivité personnelle, autant que faire se peut. Tâche éminemment difficile pour beaucoup. En sus de leur définition officielle, les mots ont une connotation particulière à chacun, qui dépend de notre histoire personnelle. Est-ce toujours si souhaitable, d'ailleurs, d'abolir toute subjectivité ?

Réflexion inspirée par un mail reçu ce matin au sujet de mon billet d'hier, dans lequel j'ai  noté quelques réflexions écrites par d'autres que moi mais qui me "parlaient" et avec lesquelles je me sentais aussi en accord. Il est vrai que je cite souvent des textes qui sont le reflet de ce que je pense et que je ne saurais pas toujours si bien dire.
Je dois donc préciser - comme si ce n'était pas une évidence - que je suis aussi profondément atteinte par l'horreur de ce qui vient de se passer cette semaine, que j'ai - aussi - été émue (émotion du cœur et pas celles des tripes comme essaient de faire passer les images, les débats en boucle à la télévision, que je ne regarde pas* mais je le sais par les réactions de ceux qui en parlent autour de moi) par la mort de ces hommes et femmes, artistes, policiers et inconnus, révoltée par la cible visée : Charlie Hebdo et la liberté d'expression. Je me suis aussi sentie Charlie mais je n'éprouvais pas le besoin de le dire. Comme je n'ai pas besoin de dire (c'est déjà fait) que je me sens aussi musulmane, arabe, juive ou rien quand on attente à ces hommes (et pas seulement) ou à leur confession.
Bref, j'en ai assez dit Le mieux dit (sans mots) est ici et ailleurs...

* J'ai tout de même regardé l'hommage sur Arte le soir de l'attentat.

Par le plus grand des hasards* j'écoutais ce matin cette émission
* D'habitude le samedi à cette heure j'écoute Répliques. Mais écouter Eric Zemmour chez Alain Finkelkraut, non merci.

"Le 28 novembre 2008 vit Bombay s’embraser, tombé entre les mains assassines de terroristes décidés à tuer quiconque ne penserait pas comme eux, et quiconque croiserait leur chemin ce soir-là."

" 173 personnes, dont au moins 26 ressortissants étrangers ont été tuées et 312 blessées. L'équipe terroriste était composée de 10 militants islamistes entrainés au Pakistan."
 
"Le 26 novembre 2008, Michèle Fitoussi est à Pondichéry, avant de retrouver Loumia Hiridjee et sa famille à Bombay. Quelques heures plus tard, Bombay est touché par une série dʹattentats qui mettent la ville à feu et à sang.
Le lendemain, Michèle Fitoussi apprend que Loumia et son mari Mourad ont fait partie des premières victimes du massacre qui compte 166 morts et 304 blessés. Loumia aurait dû se trouver à Dubaï, elle a annulé son voyage à la dernière minute."

Michèle Fitoussi s'entretient avec Mélanie Croubalian sur ce sujet, celui de son livre : La nuit de Bombay. Je note ce passage  :

"J'ai raconté l'histoire des terroristes parce que je voulais comprendre comment elle était morte.
Je voulais raconter à quel point cette femme était vivante, à quel point elle était drôle, amusante, créatrice, à quel point c'était injuste qu'elle soit morte.
Je voulais aussi qu'elle revive, je ne voulais pas qu'ils gagnent.
Je ne voulais pas que ces terroristes gagnent.
Je ne voulais pas que la mort gagne sur la vie.
Je ne voulais pas que la liberté, la folie, la féminité, la frivolité soient définitivement balayées par des armes, par des intégristes, par des types qui n'aiment pas la vie mais la mort, par des types qui n'aiment pas les femmes, qui ne rêvent que d'étendre l'ombre sur le monde.
Je crois que c'est un combat qu'il faut mener."




vendredi 9 janvier 2015

Emotion, Compassion

" [...] C’est bien joli de dire qu’on est Charlie, mais cela doit faire sourire Cabu et Wolinski, parce que si tous ces gens avaient acheté Charlie Hebdo auparavant, le journal aurait été davantage soutenu. Pour défendre la liberté, il faut le courage de tous : dessinateurs, rédacteurs en chef, lecteurs."
Chappatte, Le Temps.ch

Mercredi prochain, le million d'exemplaire de Charlie Hebdo va partir comme des petits pains. Mais après, combien de "Je suis CHARLIE" présents dans les rassemblements vont continuer de l'acheter ou de s'abonner?

" La philosophe J. Butler s’est intéressée aux réactions émotionnelles aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.[...] Ses conclusions intéresseront peut-être celles et ceux qui s’inscrivent dans le cadre humaniste, affirment « être Charlie » et veulent réfléchir au sens de leurs gestes politiques.
[...]
Le caractère public et collectif de ces réactions émotionnelles nous rappelle que les émotions sont tout sauf des réactions spontanées. En effet, ces sentiments qui nous semblent si personnels, si intimes, si « psychologiques » sont en réalité médiatisés par des cadres interprétatifs qui les génèrent, les régulent et leur donnent un sens. Derrière les émotions se cachent des discours, des perspectives et des partis pris moraux et politique dont il importe de comprendre la nature pour bien mesurer leurs effets.
[...]
Appliquée à l’actualité française, l’étude de J. Butler apporte un éclairage  sur la réaction officielle et dominante - c’est-à-dire « humaniste » et « compatissante » - au drame de la rédaction de Charlie Hebdo. Cette analyse invite à se décentrer et à s’interroger sur les effets de ces discours et gestes de compassion. Or il n’est pas certain que les effets mis en avant par les partisans de ce discours soient les plus importants. On nous explique que ces discours de sympathie et ces gestes de compassion peuvent aider les familles de ce drame à accomplir leur deuil. Mais ces familles (et les lecteurs de Charlie Hebdo qui ont noué des liens d’attachement à ces victimes) ne préféreront ils pas faire ce travail dans l’intimité ?
[...]
Dans ces moments où nous sommes submergés par les émotions, il peut être intéressant de penser à tous ces précédents et à ces morts, à venir, que nous n’allons pas pleurer."

Par Mathias Delori, Chercheur CNRS au Centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux



mercredi 7 janvier 2015

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Attentat à Charlie Hebdo. A cette heure, douze morts dont :







Une minute de silence... pour les familles touchées par ces disparitions d'êtres chers, connus et inconnus.

(Rajout du 8 janvier) :

Qui sont les victimes de Charlie Hebdo?

La liste complète des 12 tués et 11 blessés mercredi à Charlie Hebdo est maintenant connue. Elle compte huit membres de la rédaction du journal satirique, dont les dessinateurs Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré. L'économiste Bernard Maris, surnommé Oncle Bernard, a aussi perdu la vie, en même temps que deux autres collaborateurs, la chroniqueuse Elsa Cayat et le correcteur Mustapha Ourrad. Deux policiers, dont l'un assurait la protection de Charb ont été abattus, ainsi qu'un agent d'entretien de l'immeuble. Michel Renaud, fondateur du festival clermontois "Rendez-vous du carnet de Voyage", figure aussi parmi les victimes. Quatre blessés sont dans un état grave a indiqué le procureur de Paris, François Molins.

 - Jean Cabut, dit "Cabu", 76 ans.
- Stéphane Charbonnier, dit "Charb", 47 ans.
- Philippe Honoré, dit "Honoré", 73 ans.
- Bernard Verlhac, dit "Tignous", 57 ans.
- Georges Wolinski, dit "Wolinski", 80 ans.
- Bernard Maris, "Oncle Bernard", 68 ans.
- Elsa Cayat, 54 ans.
- Mustapha Ourrad, correcteur de Charlie Hebdo.
- Michel Renaud, 69 ans.
- Frédéric Boisseau, 42 ans.
- Franck Brinsolaro, 49 ans.
- Ahmed Merabet, 42 ans.



J'étais déchiré entre une envie de vivre et une obsession d'écrire



 Photo : Laurent Villeret/Dolce Vita/Picturetank/AGENTUR FOCUS

"J'ai beaucoup écrit. Il y avait toujours une décision à prendre, parce que j'étais tenté aussi de vivre dehors, physiquement; j'étais dévoré d'une vitalité sans borne. Et de l'autre côté j'avais tellement envie de capter quelque chose à travers des phrases, alors j'étais déchiré entre une envie de vivre et une envie ou une obsession d'écrire."



Le dernier tome de son Journal est paru aux éditions Actes Sud : Faux papiers

" [...]
Le journal qu'il dévoile aujourd'hui court entre 2000 et 2010. Comme dans tout son travail, de romancier ou de diariste, l'écriture conduit le bal, avec de longues phrases volcaniques et analytiques, ce mélange d'urgence et de distance, trois pas dans la vie, trois pas dans la tombe. Paul Nizon égrène les décès qui se multiplient autour de lui, et continue de se tenir debout comme un arbre qui perd ses feuilles. Preuve suprême de l'absence de cloison entre ses œuvres, voilà que nous revient en mémoire l'errance de son héros, son double, au début de L'Année de l'amour, l'un de ses plus grands romans peut-être : « Je me rends compte à présent que je suis au milieu d'une assemblée de défunts, à moins que ce soit moi le défunt parmi les vivants. »
[...]
Paul Nizon revendique la marginalité comme le silence, indispensables à sa quête introspective, mais il y a chez lui un sens caché de l'autre qui rend son œuvre très lumineuse, offerte à tous. Un jour d'été 2005, un douanier de Roissy lui a demandé son passeport alors qu'il se trouvait dans l'espace Schengen. C'était pour vérifier qu'il s'agissait bien de l'écrivain qu'il aimait tant. Racontée brièvement en bas de page, l'anecdote soutient tout le livre, que l'auteur a peut-être appelé Faux Papiers en hommage à cet admirateur inattendu. Il y a chez tout le monde un lecteur de Nizon qui sommeille."

- Télérama.
 

lundi 5 janvier 2015

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C'est "choli" aussi quand ça déraille ma (vieille) télé. Ja!

vendredi 2 janvier 2015