mercredi 10 juin 2015

"La plus grande chose du monde, c'est de savoir être à soi"


 Garder sa ligne d'horizon, savoir être à soi

 Les NCC cette semaine : Montaigne, " à sauts et à gambades" : 
"De l'oisiveté" I, 8.
(De, la vieillesse).

"La solitude me semble avoir plus d’apparence et de raison à ceux qui ont donné au monde leur âge plus actif et florissant, suivant l’exemple de Thalès. C’est assez vécu pour autrui ; vivons pour nous, au moins ce bout de vie : ramenons à nous et à notre aise nos pensées et nos intentions. Ce n’est pas une légère partie que de faire sûrement sa retraite : elle nous empêche assez, sans y mêler d’autres entreprises. Puisque Dieu nous donne loisir de disposer de notre délogement, préparons-nous-y ; plions bagage, prenons de bonne heure congé de la compagnie ; dépêtrons-nous de ces violentes prises qui nous engagent ailleurs et éloignent de nous.
Il faut dénouer ces obligations si fortes ; et meshui [désormais] aimer ceci et cela, mais n’épouser rien que soi : c’est-à-dire, le reste soit à nous, mais non pas joint et collé en façon qu’on ne le puisse déprendre sans nous écorcher, et arracher ensemble quelque pièce du nôtre. La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi."

Montaigne, Essais, De la solitude, I, 39.

"Pour Montaigne, la vieillesse est l'âge des loisirs, de la liberté, de la cessation de ce qu'il appelle "l'embesognement", qui est le fait de la jeunesse, laquelle s'y adonne avec d'autant plus d'ardeur qu'elle n'est pas consciente du temps qui passe puisqu'elle croit en avoir beaucoup en réserve. Le vieillard pour qui l'avenir se rétrécit comme une peau de chagrin connaît la valeur du temps présent et l'alternance des biens et des maux. « L’expérience m’a encore appris ceci, que nous nous perdons d’impatience. Les maux ont leur vie et leurs bornes, leur maladie et leur santé ». Au vieillard et à lui seul il est donné de vivre un rapport équilibré au corps. « Il faut ordonner à l’âme non de se tirer à quartier, de s’entretenir à part, de mépriser et d’abandonner le corps (aussi ne le saurait-elle faire que par quelque singerie contrefaite), mais de se rallier à lui, de l’embrasser, le chérir, le contrôler, le conseiller et ramener quand il se fourvoie, l’épouser en somme et lui servir de mari ». Et de conclure l'auteur de l'article: « La vieillesse est ainsi l’âge où nous vivons l’intégralité de notre condition d’homme, et non seulement une partie tronquée de cette condition »."
[...]
"Qu’est ce qui caractérise la vieillesse ? Ce n’est certainement pas le grand nombre des années, mais peut-être premièrement une prise de conscience – celle que l’on entre dans un âge dont on sait qu’il n’y en a plus d’autre à attendre après lui."
[...]
"Je définirai la seconde caractéristique de la vieillesse dans un certain rapport à la mort. La mort nous est continuellement présente, du premier au dernier jour. Elle est, comme le dira bien plus tard Heidegger, l’horizon indépassable de toute existence humaine, ce même qui donne du sens à cette existence. Pour Montaigne, la mort est l’épreuve suprême, celle qui constitue le sens le plus profond de l’« essai » – ce qui ne s’essaye qu’une seule et unique fois. Et pourtant nous ne vivons pas de la même façon ce terme ultime lorsque nous sommes jeunes et lorsque nous sommes vieux. Jeunes, nous voulons faire acte d’héroïsme devant la mort, en anticiper le terme par ce que Heidegger nommera, dans un langage tout stoïcien, une « résolution prévenante ». Montaigne, dans ses premiers essais (et en particulier dans l’essai fameux qui a pour titre « Que philosopher, c’est apprendre à mourir »), recommande une préparation journalière à la mort, consistant en une tension continuelle de l’esprit. Pour que la mort ne puisse nous surprendre, il faut qu’elle nous soit présente à tous les moments de notre vie."

(Source : Encyclopédie de l'Agora).

dimanche 7 juin 2015

Un aller simple...




Sur la route
(Crédit photo : un ami, avec son autorisation)


"Je suis donc parti un mardi à 9 heures du matin, le vent était de force 6, la météo avait annoncé un ciel dégagé pour trois jours et moi j’avais le cœur léger pour cent ans. Après avoir quitté le port à deux trois miles du rivage je me suis mis à hurler comme un cor de chasse et à expurger toute ma joie ; j’ai crié pendant de longues minutes parce qu’il faut donner de la voix pour amener le bonheur à soi ; c’est une façon de se rappeler à lui et d’aller le chercher par la peau des fesses. J’avais bien l’intention de le saisir fermement et de le tenir en laisse, pour longtemps, à côté de moi.

Prendre la route, l’avion, la mer, sans prévoir de retour, c’est empoigner son destin, se persuader que nous sommes les tôliers de nos vies, c’est retrouver les illusions de l’adolescence qui font croire que ça va être facile et tel qu’on l’a décidé. C’est, exprimer un refus, un refus de la peur de l’avenir." 

David Thomas, in Hortensias, éditions Stock, 2015.  

(Écouté ce matin dans l'émission Entre les lignes).

samedi 6 juin 2015

***

Il est loin le temps où je préparais mes vacances avec une grande excitation.
Ces dernières années, mes projets de vacances sont un acte de désespoir. 
Une preuve, que je m'impose, pour vérifier que je peux le faire, donc une épreuve.
D'où le côté aléatoire de leur réalisation.
Alors, je m'exécute = je procède à mon exécution.

Une Mouche Zen

Ce matin, cette mouche m'a intriguée, elle ne bougeait pas, je l'ai cru morte.
Je l'ai titillée avec une branche, pensant qu'elle allait s'envoler si elle était vivante. Elle a grimpé sur la pointe, lentement. Je me suis dit que cette mouche n'en était pas une vraie - enfin, de celles qui sont agaçantes car celles-là s'envolent aussitôt qu'on s'en approche - ou alors, elle était endormie ou complètement groggy.









Elle restait tout de même solidement attachée au bout du bâton et je la transportais pour la poser sur la joue de mon guerrier Chinois (Archer agenouillé).




Je me disais que ça ferait une jolie mouche, un grain de beauté avec des ailes. J'ai dû m'y reprendre à deux ou trois fois après l'avoir posée sur son front. Elle ne tentait toujours pas de s'échapper.






Peut-être allait-elle revivre sur la joue du Bouddha qui se trouvait au soleil? Hop! Je reprends le bâton, elle grimpe dessus sans se faire prier et je la transporte sur la joue du Bouddha. Les mouches aiment la chaleur.


 

Eh bien oui! Dès que je l'eus posée sur sa joue, je la vis tricoter avec ses petites pattes de devant, se réanimer, faire sa toilette. Mmm! Et sitôt fait, s'envoler...




« Comme symbole d’effronterie et d’impertinence, il faudrait prendre la mouche. Tandis que tous les animaux, en effet, craignent l’homme au-dessus de tout et le fuient déjà de loin, la mouche, elle, se pose sur son nez. »
Arthur Schopenhauer, Essai sur les apparitions et opuscules divers.