lundi 31 mars 2014

Je suis née à Brest-même, au bout de la Bretagne, un jour de novembre...

" Brest, la Cité du Ponant, ville où j'aurais voulu naître à part entière, où bien souvent je me suis piqué d'être né. Une seule fois dans ma vie, tel Henri Queffélec, pouvoir coucher cet aveu prodigieux en incipit du roman de moi-même :  Je suis né à Brest, au bout de la Bretagne, un jour d'hiver...

Brest en 2013, est une ville pleine de renaissance et modernité, ou mieux : actualité, et je m'en veux, sitôt que son nom me vient aux lèvres, de ressortir le sempiternel sac de cendres où le fantôme du vieux Brest dort en mille morceaux. Il était une fois un bombardement. Il était une fois une ville bretonne effacée par ce bombardement.

The winner is : Miaou!

Dimanche 30 mars 2013.

Nuit d'angoisse, peur de me réveiller avec des vertiges. Couchée tôt, grosse erreur, pensant récupérer l'heure perdue (d'été) au réveil. 
Réveil : j'allume la lumière, je vérifie que la pièce ne tourne pas, me lève lentement, sans mouvement brusque de la tête, je me sens patraque. Mais non, méthode Coué : se dire que tout va bien! « Si étant malade, nous nous imaginons que la guérison va se produire, celle-ci se produira si elle est possible. Si elle ne l'est pas, nous obtiendrons le maximum d'améliorations qu'il est possible d'obtenir ». Je ne vais tout de même annuler la journée prévue  dans le Morbihan. Allons, secoue-toi!

10 h 30 : je prends la route. Toujours cette sensation de liberté dans ma voiture, mêlée  d'inquiétude de plus en plus prégnante de vieillir dans la solitude. J'allume la radio pour essayer de ne pas penser, de ne plus penser, de penser à rien; difficile. Aucune station ne m'intéresse (second tour des élections municipales). J'insère un CD. Je regarde mon compteur de vitesse pour ne pas dépasser celle autorisée, ça m'énerve, personne sur la voie express. Liberté, solitude, lassitude, vie, mort..., derrière une caravane je m'imagine appuyer à fond sur le champignon et rentrer dedans mais non, pas envie d'attenter à d'autres vies que la mienne. Je la double, tranquillement.

11 h 45 : arrivée. Mêmes rites que d'habitude avec la chienne. Elle, la maîtresse, est en forme et a bonne mine; elle a retrouvé enfin un visage apaisé. Visite des dernières nouveautés et travaux dans la maison et le jardin. Nous prenons l'apéritif puis nous partons à Saint Goustan déjeuner sur le port. Ça sent le printemps les terrasses sont noires de monde; au soleil il fait bon mais à l'ombre un petit vent encore frisquet nous fait décider de déjeuner à l'intérieur, les places au soleil ayant été prises d'assaut. Une bonne table avec vue sur le port... à marée basse. Elle me donne des nouvelles de tout le monde, ses enfants, petits enfants grands maintenant puisque une de ses petites filles a un amoureux... Les mères, grand-mères ont toujours des choses à raconter, toujours à peu près les mêmes, des histoires auxquelles j'ai du mal à m'intéresser. Que pourrais-je lui raconter de ma vie?  Mon quotidien? Banal : dormir, manger, ménage, golf, médiathèque, lectures, promenades solitaires. Je lui parle des films que j'aie vus, des livres que je lis (c'est une lectrice aussi, notre point commun avec - pour elle aussi maintenant - la solitude).

Déjeuner terminé nous allons prendre le café sur la terrasse, au soleil, quelques places s'étant libérées. Puis, longue promenade sur le port et un sentier menant jusqu'au Bono (assez gadouilleux). Nous passons devant une belle bâtisse : le Manoir de Kerplouz, une chapelle attenante, dans un parc somptueux. La chienne vit sa vie, sans laisse, liberté retrouvée! Après la balade - j'étais crevée - nous remontons la rude rue qui grimpe du port vers le centre ville. J'aperçois un minou, que je photographie... évidemment!






20 heures : de retour "at home".  Résultats des élections.
Tiens, je n'ai pas les résultats du parti des chats. Miaou!

samedi 29 mars 2014

Je vote CHAT

Je suis un peu obsédée par les chats en ce moment et j'ai depuis longtemps (toujours?) pensé que c'est (ce sera) l'erreur de ma vie de n'en avoir pas eu. Manque de courage plus que de motivation. Alors je contemple, j'observe ceux de mes amis et ceux qui croisent mon chemin.

Chat en clair-obscur






Audrey Hepburn par Richard Avedon
(Celui-là n'a malheureusement pas croisé mon chemin)

Après Les chats de Rilke et Mitsou de Balthus voici ceux de Chris Marker : Chats Perchés. Ils ne sont ni de poils ni de peluche mais de graffitis que le cinéaste filme à Paris en les cherchant dans la rue, dans le métro, sur les toits, dans les manifs ou dans l'histoire de l'art.





En cette période d'élections municipales, bien entendu
 je vote pour le parti des chats!
(Captures d'écran)




http://p6.storage.canalblog.com/67/13/254272/61964605.jpg 

Un bonus dans le DVD : un petit bestiaire de Chris Marker et
un conte de François Maspero à lire version papier : Les chats de la liberté.

Début du conte :

"Luc ne pouvait se consoler du départ de Caliban. Comment continuer de vivre sans sa présence attentive, son corps souple et soyeux. ses poses alanguies quand il sentait fixé silencieusement sur lui le regard de ses immenses yeux dorés? Un regard qui était à la fois de sentinelle et de propriétaire : " Rien ne t'arrivera tant que je veillerai sur toi, je ne laisserai rien ni personne te faire du mal. " Comment dormir sans sentir contre lui la chaleur de ce corps abandonné qui semblait dire dans son sommeil : " J'ai confiance en toi, je sais que toi non plus tu ne laisseras rien ni personne me faire du mal "? Luc et Caliban étaient indissolublement l'un à l'autre. Et pourtant.
[...]

Pour ceux qui veulent en savoir plus, cliquer sur le lien ci-dessous :

Guillaume-en-Egypte est le nom d'un chat de Chris Marker, mais c'est aussi celui de son alias, son autre moi, qui tiendra une chronique sur Poptronics jusqu'en 2010.
C'est tout justement dans un numéro spécial de Poptronics du 31 octobre 2009, "Guillaume-en-Egypte au Brésil" que l'on peut prendre connaissance des origines et de la vie de Guillaume-en-Egypte. Les plus curieux cliqueront et liront!

File:Guillaume En-Egypte.png
 Guillaume en Égypte, l'avatar de Chris Marker
 « Chris Marker, c'est un peu le plus célèbre des cinéastes inconnus. »
(Philippe Dubois (dir.), Théorème 6 : Recherches sur Chris Marker, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle,‎ 2006, 196 p.Recueil d'articles sur des aspects du travail de Marker)

jeudi 27 mars 2014

La vie plus un chat


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Balthus, Le roi des chats






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A douze ans, Balthus publie, à Zürich, ses premiers dessins dans un recueil préfacé par Rilke, intitulé Mitsou, nom d'un chat qu'il avait trouvé et ensuite perdu. Cette préface d'un album de quarante dessins par Balthus (Rotapfelverlag, Erlenbach-Zurich, 1920, hors commerce) a été écrite par Rilke directement en français et c'est donc dans son texte original que je le retranscris ici.


CHATS

Qui connaît les chats? Se peut-il, par exemple, que vous prétendiez les connaître? J'avoue que, pour moi, leur existence ne fut jamais qu'une hypothèse passablement risquée.
Les bêtes, n'est-ce pas, pour appartenir à notre monde, il faut qu'elles consentent, tant soit peu, à notre façon de vivre, qu'elles la tolèrent; sinon, elles mesureront, soit hostiles, soit craintives, la distance qui les sépare de nous, et ce sera là leur manière de rapports.
Voyez les chiens : leur rapprochement confidentiel et admiratif est tel que certains d'entre eux semblent avoir renoncé à leurs plus anciennes traditions canines, pour adorer nos habitudes et même nos erreurs. C'est bien cela qui les rend tragiques et sublimes. leur décision de nous admettre les force d'habiter, pour ainsi dire, aux confins de leur nature qu'ils dépassent constamment de leur regard humanisé et de leur museau nostalgique.
Mais quelle est l'attitude des chats? - Les chats sont des chats, tout court, et leur monde est le monde des chats, d'un bout à l'autre. Ils nous regardent direz-vous? Mais a-t-on jamais su si vraiment ils daignent loger un instant au fond de leur rétine notre futile image? Peut-être nous opposent-ils, en nous fixant, tout simplement un magnifique refus de leurs prunelles à jamais complètes? - Il est vrai que certains d'entre nous se laissent influencer par leurs caresses câlines et électriques. Mais que ceux-là se souviennent de l'étrange et brusque distraction avec laquelle leur animal favori mit souvent fin à des épanchements qu'ils eussent crus réciproques. Eux aussi, ces privilégiés admis auprès des chats ont été reniés et désavoués maintes fois, et, tout en pressant encore contre leur poitrine la bête mystérieusement apathique, ils se sentaient arrêtés au seuil de de ce monde qui est celui des chats et que ceux-ci habitent exclusivement, entourés de circonstances que nul de nous ne saurait deviner.
L'homme fut-il jamais leur contemporain? - J'en doute. Et je vous assure que parfois, au crépuscule, le chat du voisin saute à travers mon corps, en m'ignorant, ou pour prouver aux choses ahuries que je n'existe point.
Ai-je tort, dites, de vous mêler à ces réflexions, tout en voulant vous conduire vers l'histoire que mon petit ami Baltusz va vous raconter? Il la dessine, c'est vrai, sans vous parler davantage, mais ses images suffiront largement à votre curiosité. Pourquoi, les répéterais-je sous une autre forme? Je préfère y ajouter ce qu'il ne dit pas encore? Résumons cependant l'histoire :

Baltusz (je crois qu’il avait dix ans cette époque) trouve un chat. Cela se passe au château de Nyon que, sans doute, vous connaissez. On lui permet d’emporter sa petite trouvaille tremblante, et le voilà en voyage avec elle. C’est le bateau, c’est l’arrivée à Genève, au Molard, c’est le tram. Il introduit son nouveau compagnon à la vie domestique, il l’apprivoise, il le gâte, il le chérit. «Mitsou» se prête, joyeusement, aux conditions qu’on lui propose, tout en rompant parfois la monotonie de la maison par quelque improvisation folâtre et ingénue. Trouvez-vous exagéré que son maître, en le promenant, l’attache à cette ficelle gênante ? C’est qu’il se méfie de toutes les fantaisies qui traversent ce cœur de matou, aimant, mais inconnu et aventureux. Cependant, il a tort. Même un déménagement dangereux s’opère sans aucun accident, et la petite bête capricieuse s’adapte au milieu nouveau avec une docilité amusée. Puis, tout à coup, elle disparaît. La maison s’alarme ; mais, Dieu soit loué, ce n’est pas sérieux cette fois : on retrouve Mitsou au milieu du gazon, et Baltusz, loin de réprimander son déserteur, l’installe sur les tuyaux du calorifère bienfaisant. Vous goûterez comme moi, je suppose, l’accalmie, la plénitude qui suit cette angoisse. Hélas ! ce n’est qu’une trêve. Noël parfois se montre par trop séduisant. On mange des gâteaux, un peu sans compter ; on tombe malade. Et pour guérir, on s’endort. Mitsou, ennuyé de votre sommeil trop long, au lieu de vous éveiller, s’évade. Quel effarement ! Heureusement, Baltusz se trouve assez rétabli pour se lancer à la recherche du fugitif. Il commence par ramper sous son lit : rien. Ne vous semble-t-il pas bien courageux, tout seul, à la cave, avec sa bougie qu’en signe de recherche il emporte ensuite partout, au jardin, dans la rue? Rien ! Regardez sa petite figure solitaire? Qui l’a abandonné ? C’est un chat ? - Se consolera-t-il avec le portrait de Mitsou que, dernièrement, son père ébauchait ? Non, il y avait du pressentiment là-dedans ; et la perte commence Dieu sait quand ! C’est définitif, c’est fatal. Il rentre. Il pleure. Il vous montre ses larmes de ses deux mains : Regardez-les bien!

Voilà l’histoire. L’artiste l’a mieux racontée que moi. Que me reste-t-il à dire encore ? Peu. 
Trouver une chose, c’est toujours amusant ; un moment avant, elle n’est pas encore. Mais trouver un chat, c’est inouï ! Car ce chat, convenez-en, n’entre pas tout à fait dans votre vie, comme ferait par exemple un jouet quelconque ; tout en vous appartenant maintenant, il reste un peu en dehors, et cela fait toujours : la vie plus un chat, ce qui donne, je vous assure, une somme énorme. 
Perdre une chose, c’est bien triste. Il est à supposer qu’elle se trouve mal, qu’elle se casse quelque part, qu’elle finit dans la déchéance. Mais perdre un chat? Non ! ce n’est pas permis. Jamais personne n'a perdu un chat. Peut-on perdre un chat,  une chose vivante, un être vivant, une vie? Mais perdre une vie, c'est la mort!
Eh bien, c'est la mort.
Trouver. Perdre. Est-ce que vous avez bien réfléchi à ce que c'est que la perte? Ce n'est pas tout simplement la négation de cet instant généreux qui vint combler une attente que vous-même ne soupçonniez pas. Car entre cet instant et la perte il y a toujours ce qu'on appelle - assez maladroitement, j'en conviens - la possession.
Or la perte, toute cruelle qu’elle soit, ne peut rien contre la possession, elle la termine, si vous voulez ; elle l’affirme ; au fond, ce n’est qu’une seconde acquisition, tout intérieure cette fois et autrement intense.
Vous l'avez senti d’ailleurs, Baltusz, ne voyant plus Mitsou, vous vous êtes mis à le voir davantage.
Vit-il encore? Il survit en vous et sa gaieté de petit chat insouciant, après vous avoir amusé, vous oblige : vous avez dû l'exprimer par les moyens de votre tristesse laborieuse.
Aussi, une année après, je vous ai trouvé grandi et consolé.
Pour ceux cependant qui vous verront toujours éploré au bout de votre ouvrage, j'ai composé la première partie - un peu fantaisiste - de cette préface. Pour pouvoir leur dire à la fin : "Tranquillisez-vous : Je suis. Baltusz existe. Notre monde est bien solide. Il n'y a pas de chats."

Au Château de Berg am Irchel,
en novembre 1920.



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 Rainer Maria Rilke, Baladine und Balthus beim Waldspaziergang in Batenberg, 1922.
Crédit photo

De très belles photos sur Balthus : 


 

lundi 24 mars 2014

Moderne solitude

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Que faire une après-midi de pluie? Rester derrière son écran? Non, aller voir un film sur grand écran!
Quel film? Her! Immersion dans les écrans, smartphones, oreillettes branchées 24h/24,  7j/7, très tendance. Tsss! 
Absolument effrayant, à voir absolument pour rentrer chez soi avec l'envie de jeter son ordi, sa tablette, son smartphone par la fenêtre. Je plaisante (dommage).

Plus sérieusement : je ne l'ai pas vu comme un film de science-fiction. C'est tellement probable qu'à court terme les pauvres paumés solitaires que nous sommes la pauvre pomme solitaire que je suis, tombera amoureuse d'un robot, d'un avatar ou d'un OS (partenaire d'un système d’exploitation, tellement intelligent). Plus besoin de clavier, vous êtes connectés en permanence par une voix. Fascinant oui, exaltant non!  Les critiques sont élogieuses : 
"une love story éthérée, mélancolique et bouleversante"
"Pourquoi aime-t-on instantanément ce héros et donc ce film ? Peut-être parce que personne ne joue mieux la cristallisation amoureuse que Joaquin Phoenix".

Je n'ai pas été bouleversée (j'aime trop la chair (*_~)). J'ai même été un peu déçue mais je ne me suis pas ennuyée. De bons moments de (fausse) légèreté, d'introspection et une réflexion philosophique sur la solitude de l'humain. Je ne refuserais pas d'habiter dans l'appartement de Theodore. Je dis donc : A voir! Plus de pour que de contre dans les critiques.

En vérité, je crois que j'ai bien aimé ce film! Comme me disait mon homéopathe récemment : "vous êtes un paradoxe!".

Lire ici le contre 
et là le pour : "Le tour de force du cinéaste repose d'abord sur le pari risqué de son scénario, centré sur l'histoire d'amour entre un homme de chair et une femme de bits." (Amusante cette trouvaille)
"EN BREF : Pour sa première aventure en solo, comme réalisateur et scénariste, Spike Jonze affirme une sensibilité d'une force inouïe avec ce magnifique film sur la solitude."

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dimanche 23 mars 2014

Jamais l'ombre d'aucun arbre ne fut plus chère, ni plus aimable, ni plus douce!


« Ombra mai fù / di vegetabile / cara ed amabile, / soave più ! »




Kathleen Ferrier (1912-1953)

"Le premier air de Serse, Ombra mai fù, est un chant d'amour de Xerxès pour un arbre (Platane d'Orient) sur l'une des plus belles et célèbres mélodies de Haendel..."

samedi 22 mars 2014

Remuer la poussière



Le jour où je voudrai recommencer d’écrire dans ce cahier des notes vraiment sincères, il me faudra d’abord un tel travail de débrouillamini dans ma cervelle encombrée, que j’attends, pour remuer toute cette poussière.  
André Gide, Journal 1889-1939, novembre 1890. 

 Car si un arbre est coupé, il y a de l'espérance, il repoussera encore et il aura des rejetons. Bien que sa racine soit vieille dans la terre, et que son tronc soit comme mort dans la poussière.
Job, XIV,7-8. Bible.

L'histoire est tout aussi légère que la vie de l'individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une poussière qui s'envole, comme une chose qui va disparaître demain.
Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être.


La mouche s'assit sur l'essieu du chariot et dit: « Quelle poussière je soulève!.. »
Francis Bacon, Essais.


"J'aime mieux le néant que le mal et la poussière que la pourriture."
Gustave Flaubert, Correspondance à Louise Colet,
28 décembre 1853.


lundi 30 avril 2012

Je commence un nouveau journal.
Il n'y aura que des mots. Pas d'images.

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J'ai commencé un nouveau journal intime avec le bandeau ci-dessus, cette phrase de André Gide, ces citations et ces mots, le 30 avril 2012. Je l'ai appelé : Poussière. Ma vie devenait trop pesante pour la dire, intimement, ici dans Je.  Je n'y écris pas régulièrement. Rien de littéraire, d'artistique, d'esthétique, de journalistique, de philosophique dans ce journal; que du concret, du brut, du rude, de l'inracontable, de l'illisible.
Je m'y confie, quand je sens que je coule; il m'aide alors, parfois, à remonter à la surface... c'est ma bouée de sauvetage.
J'ai commencé maintes fois un nouveau journal intime depuis que je ne l'écris plus au stylo dans mes cahiers. J'abandonne rapidement; le clavier et mon écran m'enlèvent la spontanéité de l'écriture manuscrite, j'ai alors l'impression d'écrire à des lecteurs invisibles - même s'ils n'existent pas puisque ce nouveau journal n'est pas ouvert au public - cette idée m'empêche d'être totalement sincère. J'imagine Babar en hacker espion! Avec le stylo et mon cahier je savais que personne ne lirait ce que j'écrivais; je ne m'appliquais pas, je ne cherchais pas à améliorer le style, je levais le nez de mon cahier pour regarder le ciel par la fenêtre que j'ouvrais pour respirer, pour regarder l'oiseau posé sur le bord et j'y notais aussi les instants heureux. Un fois un oiseau s'est assommé sur ma fenêtre fermée, je suis sortie affolée, il était par terre, je l'ai pris dans ma main, il était chaud si léger, il bougeait, je tremblais, lui aussi, je l'ai posé sur mon banc, je suis allée chercher du coton pour que ce soit plus douillet; je suis revenue, il n'était plus là; j'étais contente. Je suis rentré dans la maison et j'ai écrit cela dans mon cahier. Avec le clavier et l'écran, je ne lève jamais les yeux pour regarder ailleurs; je m'enferme. Pourtant il m'arrive encore d'être visitée... par un oiseau, c'est le même banc mais il n'est plus à la campagne.
Je me leurre en disant que je n’écris que pour moi. Si cela était vrai pourquoi aurais-je besoin d’écrire ici. Ce besoin d’écrire est mû par des sentiments, d’amitié ou d’intérêt pour autrui, d'amour c'était il y a... pfff... la dernière fois que je fus amoureuse, en vrai,... euh, il y a sept ans. J’écris toujours pour quelqu’un, quelqu’un qui m’ « anime », connu ou inconnu, mort ou vivant. Étrange d’écrire pour quelqu’un de mort puisqu’il (elle) ne me lira pas et je ne crois pas que l’âme subsiste après la mort. Paradoxalement, je crois que les morts continuent d’exister, tant qu’on parle d’eux.
Je suis submergée et aspirée par le vide dès que je ne suis plus  « animée », dès que mon esprit ne l'est plus.

Le vide se creuse, mes mots n’ont plus de chair, je suis in-a(n)imée.

Animer :  
"Du latin animare (« donner de la vie »), de anima (« souffle, vie »)."
" Qui est-ce qui anime les corps ? La Fable dit que Prométhée anima la statue d’argile qu’il venait de former."
"Cette femme est belle, mais c’est une beauté qui n’est point animée : (Figuré) Il lui manque de la vivacité, de l’expression."

C'est le Salon du Livre ce week-end. 
Un bel article à lire ici, sur l'écriture, les livres, les lecteurs, les non-lecteurs.



mercredi 19 mars 2014

Je ne sais pas...


... pourquoi j'avais envie ce matin 
d'entendre parler de Fautrier.



 

Extrait du film, pour voir le film complet : achat ici.

"S'appuyant sur un texte de Jean PAULHAN, "Fautrier l'enragé", Philippe BARADUC nous propose avec ce film un aperçu de l'oeuvre et de la personnalité de ce peintre de l'"Art informel". Juxtaposant des toiles et des images d'éléments naturels (eau, feuillages, sable, etc...), il montre comment sa peinture, plutôt qu'une représentation du concret est une tentative, à limite de l'abstraction, d'en suggérer la profondeur. A Jean PAULHAN, FAUTRIER définit ce qu'est "l'art informel", explique sa technique, déclare s'ennuyer lorsqu'il fait de l'art et ne point aimer la peinture hormis la sienne. On le voit le couteau et la truelle à la main, étaler ses pâtes colorées sur la toile vierge, la façonner, la saupoudrer, y tracer des lignes profondes jusqu'à son état définitif.



Jean Fautrier, L'Encrier (de Jean Paulhan)

Huile sur papier marouflé sur toile, 1948.




"Je suis enchanté de cet encrier parce qu'il ressemble beaucoup à une locomotive. Personne n'avait remarqué qu'il y a des rapports entre l'encrier et la locomotive [...] Aujourd'hui* on se sert d'un stylo pour écrire mais pour l'écrivain d'il y a trente ou quarante ans, il s’agissait d'avoir autant d’énergie pour manier son encrier que pour diriger une locomotive."
Jean Paulhan

* 1962 date de l'entretien.

"Pierre DUMAYET interviewe Jean PAULHAN à propos de deux livres "L'art informel (éloge)" et "Fautrier l'enragé". Jean PAULHAN se définit comme informel, cite des noms d'écrivains fameux qu'il a publiés dans la nouvelle NRF et de quelques peintres qu'il a découverts. Il parle de la ressemblance en peinture, des rapports de la peinture avec la réalité, avec l'essence divine, avec les mystiques. L'écrivain parle aussi des rapports de l'art informel avec Dieu, avec le mysticisme et le néant, évoquant les stylites, l'art de Fautrier."


mardi 18 mars 2014

C'est quoi le sujet?

Lundi 17 mars 2013.

J'entre dans son cabinet les joues en feu. Je suis stressée. J'ai noté sur un papier tout ce dont je voulais lui parler, pour ne pas oublier.
Derrière son bureau, après un bref bonjour, elle consulte son ordinateur, ne me pose aucune question, attend que je parle. Par où commencer? Mes vertiges bien sûr. Elle écoute, ne dit rien, n'est pas concernée. Juste trois mots : on n'a pas de traitement efficace, il faut vivre avec. Mon angoisse? Elle s'en fout. Lexomil? Elle m'en prescrit (je ne le prends pas). Stilnox? Elle m'en prescrit (je ne le prends pas). (Je les garde... en réserve...).
Pas une question, pas un conseil, pas une suggestion, aucune empathie, aucune compassion, la froideur totale. Je pourrais lui demander n'importe quel médicament sans qu'elle moufte? J'aurai dû lui demander du chlorure de potassium (0_0), ça l'aurait un peu secouée!
Elle ne me regardait pas, ne quittait pas son écran, imprimait les ordonnances.
Je n'avais pas eu besoin de lire ce que j'avais écrit sur mon papier, je savais ce dont je voulais lui parler mais je sentais tellement d'indifférence que je ne lui ai pas dit le dixième de ce que j'avais prévu. 
Elle me tend les prescriptions.
Je vous fais un chèque de combien? 
23 euros.
A ma dernière visite, il y a trois mois, elle n'avait pas pris ma tension. Je lui dis : vous ne prenez pas ma tension? (Je m'en fichais, mais je trouvais anormal qu'elle ne la prenne pas même si je savais qu'elle était normale, je la prends de temps en temps). Elle me répond : ce n'est pas le sujet aujourd'hui mais venez je vais la prendre! J'étais éberluée : il faut quel sujet pour prendre la tension quand on va chez le toubib? Mon visage congestionné par le stress n'était pas un "sujet" suffisant?
Elle était correcte, ma tension. Pas elle.
Je vais changer de généraliste. Je l'avais choisie au hasard, parce qu'elle n'était pas loin de chez moi, après que la mienne - merveilleuse, attentive, nous parlions de tout, de la vie - ait déménagée dans une autre ville, il y a trois ans.

Dans le miroir de l’ascenseur je regarde mon visage : joues écarlates, yeux brillants, rouges, je n'ai pourtant pas pleuré. Je tire la langue, comme un pied de nez, à moi? à elle?

lundi 17 mars 2014

WKW FOR EVER




Vu hier soir Happy Together de Wong Kar-wai. Un film de 1997 aux nombreuses récompenses, avec le magnifique Tony Leung Chiu Wai, Leslie Cheung, Chang Chen. Un beau film sur l'amour, la passion amoureuse, sa violence mais aussi sa douceur. Relations humaines avec ses exigences, ses déchirements.

"Deux hommes, deux amants, quittent leur pays, Hong Kong et s'exilent en Argentine. Ils voyagent avec un seul but : voir les chutes d'eau d'Iguazu.
Ils se sépareront dans cette errance en terre étrangère. L'un survivra en trouvant des petits jobs. Histoire de garder une certaine stabilité. Il tentera de nouvelles approches. Obsédé par Hong Kong.
L'autre aura une vie plus mouvementée, gigolo, et sans attache. Perdu. Ils se retrouveront. Et tenteront de refaire leur vie ensemble. De chercher le bonheur ensemble. Encore faut-il être heureux."

Captures d'écran







Happy Together n'est pas d'un film sur l'homosexualité, ce thème n'est traité ni sous un point de vue critique, ni sous une forme moraliste. Les deux héros sont gays, un point c'est tout. Ce détail n'a finalement que peu d'importance :
 
"Ce film n'est pas seulement sur deux hommes mais sur la relation humaine, la communication humaine et les moyens de la maintenir ; ce sont deux hommes mais ça pourrait être n'importe quel autre couple. A Hong Kong, certains films avaient déjà traité de l'homosexualité mais sous l'angle de la comédie. Je ne voulais pas faire une comédie, je ne voulais pas faire rire le spectateur. Pour moi l'homosexualité c'est comme l'Argentine, c'est de l'autre côté de la planète, mais ce sont deux sujets intéressants."(Dixit Wong Kar-wai)
. Lire ici la suite.

Également une vidéo Ina à regarder : Wong Kar-wai parle du film et du passage du noir et blanc à la couleur qui explique ce passage du rêve à la réalité. Il n'y a pas de référence au Temps dans ce film. Dans La Pensée chinoise, le Temps n'existe pas, du moins pas à la manière de notre esprit occidental. En tout cas, je n'ai pas vu passer le temps en regardant Happy Together.


dimanche 16 mars 2014

De, l'écriture durassienne


 
Marguerite Duras (1914-1996), en 1955.
Photo : Roger Viollet



« Je cherche une phrase, ivre un peu oui, à ma table. Je cherche une phrase qui ne vient pas. La phrase planait hier, fragmentée en moi, elle ne se reconstruit plus. Elle était longue, animée d’un balancement de chanson, de rengaine, elle ressemblait à une plainte scandée, régulière, des mots dont je me souviens y étaient pris : vase, mort, ventilateur, oiseau effarouché, voleur ; je cherche la phrase. Quelle douleur adorable de ne pas la trouver ce soir. Elle me reviendra demain, comme une chienne vers son maître après la chasse, inavouable, de la nuit. »

Extrait de : Marguerite Duras, les silences et les ombres. L’humeur vagabonde, de Charles Sigel.



« Quand on écrit on est souvent dans un état difficile à décrire, pas clair. C'est pratiquement impossible à expliquer. Je crois qu'on écrit vraiment que lorsqu'on croit ne plus écrire, ne plus être tout à fait maître de ce qu'on fait. En général tout le début est jeté. C'est quand je me laisse aller qu'il se passe quelque chose. Il y a à ce moment-là une sorte de désespoir de l'écrivain, d'abdication même : l'écrit arrive seul, dirait-on, fait. »


mardi 11 mars 2014

Promenade urbaine et métropolitaine






21 février 1992, Paris

Quand j’émerge au grand jour par l’escalator ou les escaliers du métro – et parfois j’en suis pris de vertige -, la ville m’entoure de toute part : le large trottoir, les bonnes grisailles, l’éventaire du fleuriste, le fronton vitré des terrasses, la foule, la feuille morte qui tombe doucement, le soupçon de ciel, la lumière aux tons urbains, les rues qui se déploient à tous les vents comme des bannières, sans jamais un hiatus ou un vide, et le grondement, le vrombissement, le tourbillonnement de la circulation. En haut des escaliers, le vendeur de marrons chauds – tiens donc, ce commerce est maintenant aux mains des malins Pakistanais, bons garçons et travailleurs. Il faut voir celui-là sortir les marrons du feu ou les retourner avec les doigts, un par un. Examinée de plus près, la grille s’avère être un fond de tonneau percé de trous et le fourneau, un baril d’huile coupé en deux, le tout monté sur un caddie de supermarché ; la petite porte du four est en carton. Bonne qualité, les marrons. L’équipement, digne du tiers-monde.
    Du magasin de fleurs sort péniblement un berger belge, très très vieux, la tête de travers et au moins une patte paralysée. Ce n’est pas qu’il soit boiteux, il a la goutte. Il se déplace comme ces grands animaux de tissu qui, sous leur faux pelage, sont actionnés par une foule d’acrobates, ces mille-pattes comiques des spectacles pour enfants ; sauf qu’ici ce ne sont pas des comédiens mais ses membres chargés d’ans qui traînent son pelage. Une pauvre vieille bête qu’on garde par pitié.
    Vient de passer un homme qui chancelle bizarrement au bras d’une dame encore jeune, il doit avoir un parkinson ou quelque autre maladie neurologique, quelque autre fléau qui l’oblige à ces agaçants sautillements, courbettes et ronds de jambe. Pour faire oublier son infirmité, ou pour ne pas y penser, il harangue avec véhémence sa compagne qui a visiblement du mal à retenir son pas. Ils sont bien habillés tous les deux. La dame affiche une mine imperturbable.
    Et puis, au milieu du trottoir, des gens qui se disent au revoir. Assez jeunes, débordants d’entrain, ils s’embrassent sur la joue avec affectation, et au moment où, arrivé à leur hauteur, j’ose un regard, je vois la bouche laquée de la dame flotter dans l’air froid, comme découpée avec des ciseaux - bouche embrasseuse, à emporter.

    Rouler en métro, dans les quartiers où il est aérien. L’agréable ronronnement, les vues changeantes, tout ce que capte l’œil est inespéré, le mouvement  est amorti. En ce moment je prends beaucoup de métro sans but, comme si je pouvais ainsi mettre en branle l’écriture, comme si, par cette stimulation, j’allais arriver à quelque chose, ou plutôt courir après, jusqu’à ce que mes yeux se dessillent. Je pense à la marche de ma prose, avec ses virages et ses crochets, sa scansion sous-jacente ; à l’inouï qui peut surgir de l’absence d’événements. Une sorte d’air tiède qui nous envelopperait, moi et le lecteur, au lieu de se contenter de soulever des jupes.

    Je ne cesse de penser à la sinistre cage d’escalier de mon enfance et à sa tristesse qui happe le jeune garçon dès son arrivée. Les pitoyables échantillons de vie empilés en étages, les portes d’appartement au regard mauvais, le petit délai accordé pendant qu’on gravit les marches, la désolation qui peu à peu vous imprègne, comme un lavage de cerveau. Ce cul-de-sac vertical. C’est sur cet arrière-plan qu’il faut voir mes promenades, mon effort pour rendre tout intéressant. Comme le semeur, je jetais au passage les graines de ma fantaisie et laissais le germe lever. Et pourtant, il regorge d’existences, ce boyau malodorant des escaliers. Des moellons solidement fixés, qu’il s’agit d’ouvrir.

Paul Nizon, in Les carnets du coursier, Journal 1990-1999, éditions Actes Sud 2011.

lundi 10 mars 2014

La belette a mis son nez à la fenêtre

A l'heure de mon petit café de 11 heures j'entendis un camion débouler dans la rue puis aussitôt un bruit de moteur tonitruant. J'aperçus alors par la fenêtre ce monstre! Je vis un "technicien soulever la dalle d'une-bouche-de-je-ne-sais-quoi. Aucune mauvaise odeur ne s'en échappait, Dieu soit loué. 
Le Combi invitant à Aller surfer et prendre l'Air Tahiti faisait incongru à côté de cet engin Assainissement Vidange Hydrocurage.

L'installation faite, les ouvriers sont partis et tout cela est resté en plan.




Je pressentais une après-midi de travaux, de bruit; il faisait beau, j'étais encore vertigineuse, je me décidais tout de même à aller au golf pour profiter du soleil.
Au retour que vois-je? Le gros camion avec les citernes avait disparu, peut-être avait-il vidangé la bouche-de-je-ne-sais-quoi? Il était remplacé par une camionnette. Des tubes en ferraille étaient plantés dans le trou qui fumait maintenant et le tube central laissait échapper une grande fumée blanche vers le ciel. Un nouveau pape allait-il sortir du trou? Hi! Il n'y avait toujours aucune mauvaise odeur, la fumée ne piquait pas les yeux et d'ailleurs elle n'avait pas coupé l'appétit du technicien qui était en train de manger un sandwich!




J'aurai dû m'informer auprès de lui pour connaître l'objet de cette intervention et lui demander si  l'écoulement de mon évier allait être amélioré car je continue de pomper avec ma ventouse (0_0) l'eau qui stagne (j'ai la flemme d'appeler un plombier, j'attends... la catastrophe!). Cependant j'imagine que leur "enfumage" n'a rien à voir avec mon évacuation.

Ah! ça se termine? Hum! Il est 19 heures. Il y a un ouvrier dans le trou!



Il est 19 h 30, ils sont toujours là et un moteur ronronne. La belette met son nez à la fenêtre : un technicien l'aperçoit, elle lui fait un grand sourire, il lui répond par un bonsoir et un sourire. Ben voilà c'est mon sourire de la journée, il me donne faim, je vais aller réchauffer ma ratatouille et cuire du riz! La nuit est tombée. J'ai vraiment rien à faire. Pfff!


Un sourire, un ronron de moteur comme une présence... solitude-mon-amour...

21 h, ils sont partis... la bouche-de-je-ne-sais-quoi est refermée. Il était temps, ils doivent avoir la dalle* à cette heure-là!


* Au XIVème siècle, le mot dalle illustrait la bouche, par laquelle passent les aliments, d'où l'expression "avoir la dalle" qui signifie avoir très faim".