vendredi 31 janvier 2014

Je me fous de tout... ou pas

JOURNAL

Lundi.

En consultation : nous ne plaisantons plus. Il a l'air débordé. C'est plutôt moi maintenant qui prends le sujet au sérieux. Lui ai parlé du Professeur C. Il m'a regardé avec étonnement. 
- Vous en avez entendu parler? me dit-il. 
- Oui, dans une émission qui traitait du sujet, à fond.
J'ai eu l'impression à ce moment-là qu'il m'écoutait plus sérieusement. Merci France Culture!

Mardi.

Longue coupure de courant l'après-midi. Lecture, L'Institut Benjamenta de Robert Walser :
«Nous apprenons très peu ici, on manque de personnel enseignant, et nous autres, garçons de l'Institut Benjamenta, nous n'arriverons à rien, c'est-à-dire que nous serons plus tard des gens très humbles et subalternes.»
A 17 heures courant rétabli; je décide d'aller à la médiathèque pour voir la projection prévue à 18 heures : Lettres d’amour en Somalie de F. Mitterrand. Sur place une affiche  : "fermeture exceptionnelle, coupure de courant, panne informatique." Zut!

Mercredi.

Rien ou presque-rien. Joué au golf, croisé quelques personnes à qui j'ai accordé un sourire, sans retour. Étrange et minable suffisance. Je m'en fous. Terrain gras.
Soirée : vu beau reportage sur la Savoie et Haute-Savoie. Paysages grandioses. Si j'avais eu des ailes je m'y serais transportée sur le champ.


Jeudi.

Prévisions météo : soleil et averses aujourd'hui, pluie et vent demain. Donc, golf de bonne heure. Au départ du 1, un joueur me demande s'il peut m'accompagner. Bienvenu! Nous avons pu faire 8 trous sans averses. Pluie au départ du 9. Mon partenaire perd sa balle. Je la cherche avec lui sous la pluie. Nous avons cinq minutes pour la retrouver (temps autorisé par le règlement). Il s'obstine, je l'abandonne au bout des cinq minutes, le laissant sous son parapluie (je n'en ai pas) chercher sa balle. Il comprend. A bientôt me dit-il. Je ne termine pas le trou, je suis trempée. Youpi!

Soirée télé : réjouissant le "je me fous de tout" de Clément Rosset invité de La Grande Librairie pour parler de son essai Faits divers.

http://issue21.files.wordpress.com/2011/03/clement-rosset.jpg 

"Ce qui se passe dans le monde? L'actualité ne m'intéresse pas, les médias me navrent. Je me fous de tout."
En fait, c'est François Busnel qui lance cette formule : "dit de manière plus brutale : Clément Rosset, vous vous foutez de tout!". Clément Rosset ne dément pas et explicite son indifférence à l'actualité du monde et de la société avec des arguments qui fâchent  Robert Mizrahi, également présent sur le plateau.
Un bon moment. Clément Rosset avale la moitié des mots, il faut tendre l'oreille pour ne rien perdre de ce qu'il dit, je pense qu'il vaut mieux le lire.

"Gilles Deleuze, les vampires, Emil Cioran, Samuel Beckett, le dandysme, Friedrich Nietzsche, Raymond Roussel, Casanova, Arthur Schopenhauer, Jean-Luc Godard, Goscinny & Uderzo, Jean-Paul Sartre, Hugo von Hofmannsthal. Le réel, le double, l’illusion, le tragique, la joie, la musique, la philosophie, la politique, le péché, l’enseignement. Faits divers sont les miscellanées de Clément Rosset : le répertoire désordonné et jubilatoire de ses passions et de ses dégoûts, de ses intérêts et de ses bâillements, de ses tocades et de ses coups de sang – ainsi que de la prodigieuse liberté de ton et de pensée avec laquelle il les exprime et les pense."

Au lit avec Walser. 
Je m'en veux ce soir. Je ne devrais pas répondre si vite à mes mails, surtout quand j'accorde de l'importance au destinataire. Je suis trop impulsive et pas assez indifférente aux choses, aux êtres; à l'actualité oui. Mais donc je ne me fous pas de tout.

Vendredi.

Pluie. Ne pas rester enfermée. Écouter les NCC, toute la semaine fut intéressante; des débats enregistrés le samedi 25 janvier 2014 en public depuis le grand amphithéâtre de la Sorbonne sur le thème de : L'année 2013 vue par la philosophie. Et ce matin... rrrrroulements de tambour : Suicide assisté, la loi peut-elle s'affranchir de la morale? Sujet d'actualité dont je ne me fous pas. Quoi que... je commence à trouver ces débats de plus en plus confus et je crains  qu'ils ne mettent pas plus de lumière dans nos lanternes, dans la mienne en tout cas. Mais pas besoin d'augmenter les watts chez moi, je sais ce que je souhaite et je fais partie des 2%!!! oui seulement 2% de la population française qui a écrit ses directives anticipées et nommé une personne de confiance "okazou"! alors que - paraît-il - 92% des Français sont favorables à l'euthanasie. Encore un paradoxe Français? Hum! Bon, on en parle, c'est mieux que d'occulter le sujet, on avance, à pas comptés.
Fin de l'émission.

Midi approche mais pas mon heure (l'ultime, pas tout de suite), j'ai faim. Il fait trop gris pour rester chez soi. Petit restau pour observer les travailleurs (ceux qui ne déjeunent pas dans leur bureau). Je tente le Steinway, on en parle, je n'y suis jamais allée. 12 h 45, je pousse la porte, plusieurs tables de libres, un petit moustachu vient vers moi, je lui demande en souriant si je peux déjeuner, eh bien non! Vous êtes seule? Oui mon capitaine! Pas possible j'ai des réservations. Je n'ai vu aucun carton sur les tables. Je m'en fous, je pars, je ne retournerai jamais dans cet endroit. Je voulais innover, là il pleut des hallebardes, je vais aller au Petit Gaveau, c'est à deux pas (un Gaveau c'est bien plus sympa qu'un Steinway. Tsss!). La patronne m'accueille avec le sourire, le restau est plein, chaude ambiance, elle me trouve une table bien placée au milieu de la foule. Mon plat est succulent, le pain ô le pain, d'habitude je n'en mange pas mais là j'ai fini la sauce de mes médaillons de lotte avec le pain, piqué dans ma fourchette, je sais me tenir; mon verre de vin se laisse déguster, ainsi que le macaron offert avec le café, je devrais venir plus souvent ici. A côté de moi un jeune couple avec une petite fille dans sa poussette; il n'y a pas que des travailleurs. La bambina joue à cache-cache avec moi, s'enfonçant dans sa poussette jusqu'à disparaître de ma vue et se redressant vivement en me souriant. Je ne l'ai pas laissé jouer seule; j'ai fait pareil, avec ma serviette. Non mais!

Il fait trop mauvais pour flâner en ville en sortant du restaurant. 
Je rentre. L'Odet est jaune, une boue liquide, fort coefficient, risque de débordements sur les berges ce soir.

Fin de semaine!



mercredi 29 janvier 2014

***

Faire du balayage une œuvre d'art!




Block of dust



Ce qui compte dans le concept d'oeuvre d'art, c'est d'en être le créateur, d'en avoir eu l'idée première. Copier n'est pas créer.

"L’œuvre d'art se caractérise par son caractère unique, original et exemplaire" 

"Barnett Newman (école de New York) écrit en 1948 : « Le mobile de l’art moderne a été de détruire la beauté… en niant complètement que l’art ait quoi que ce soit à voir avec le problème de la beauté ».
Il s’ensuit qu’on nous demande de séparer radicalement la démarche artistique de la démarche esthétique. L’œuvre d’art ne relève plus de ce que Kant appelait le jugement esthétique ou jugement de goût.

La soumettre à ce jugement revient à accepter que l’art n’ait pas d’autonomie, que son évaluation relève d’une instance extérieure à la création elle-même. Or, la tendance lourde de l’art contemporain est de revendiquer l’autonomie du geste artistique, d’affirmer la souveraineté de l’artiste, maître des règles du jeu* qu’il soumet à un spectateur.
On ne se demande plus, comme c’était le cas à l’époque où on admettait la qualité esthétique de l’œuvre d’art : « Qu’est-ce que l’œuvre belle ou le chef-d’œuvre ? Mais qu’est que l’art ? ».

Si hier, l’artiste tenait son statut d’artiste de la nature de l’objet qu’il produisait, l’œuvre d’art tient aujourd’hui son propre statut d’un auto décret de l’artiste lui-même ou de l’institution qui le cautionne."
(Source PhiloLog) 

Une chose est sûre, cette exposition de Charlie Jeffery visitée en 2011 a marqué mon esprit puisque aujourd'hui j'y pense encore. Si je me suis amusée ce matin à "façonner" mes "moutons" mêlés de cheveux (pouah), il n'est pas question - pour le moment - que je détruise mon ordinateur et son clavier à coup de hache.

* Visiter les expositions au Centre d'Art Contemporain est en fait devenu un jeu. C'est très ludique. Cependant je reste encore perplexe sur cette notion d'art. Rien à voir avec Miró dont je trouve l’œuvre ludique, poétique, esthétique.


lundi 27 janvier 2014

"Si tu ne veux pas que les choucas t'assiègent de leurs cris, ne sois pas la boule d'un clocher" (Goethe)




 Konrad Lorenz.

Il reçoit en 1973, conjointement avec Karl von Frisch et Nikolaas Tinbergen, le prix Nobel de physiologie ou médecine pour leurs découvertes concernant « l'organisation et la mise en évidence des modes de comportement individuel et social » ; il s'agit du seul prix Nobel jamais remis à des spécialistes du comportement. Leurs travaux constituent les fondements d'une nouvelle discipline de la biologie : l'éthologie.

J'écoutais hier matin l'émission de Charles Sigel sur Konrad Lorenz.
Je me suis régalée.

"Lorenz, homme multiple : amateur d’animaux d’abord, observateur, vulgarisateur surdoué… Et théoricien d’une science nouvelle. Scientifique chaleureux et séduisant, mais avec sa part d’ombre."

Je tendis l'oreille lorsque Sigel parlât de l'amour de Lorenz pour les choucas. Je repensais aussitôt avec tendresse à mon jeune choucas blessé. J'entendais encore son cri. Je revoyais ses battements d'ailes quand il commença à reprendre des forces. Ferais-je de l'éthologie sans le savoir en observant "mes" oiseaux, "mes" escargots et autres animaux et insectes qui squattent ma terrasse? Mmm! (Ethologue légèrement débile tout de même).

Tchok le choucas :

"Vingt-quatre ans ont passé depuis que le premier choucas volait ainsi autour du toit d’Altenberg, depuis que ces oiseaux aux yeux d’argent ont pris possession de mon cœur. Et comme il en va souvent des grandes amours de notre vie, je ne me doutais de rien le jour où je fis la connaissance de mon premier jeune choucas. Il habitait une cage assez sombre dans la boutique d’animaux de Rosalia Bongar dont je suis le client fidèle depuis plus de quarante ans et, moyennant quatre schillings, il fut à moi. Je ne l’achetai pas a des fins scientifiques mais uniquement parce que l’envie me prit de remplir de bonne nourriture le grand bec rouge bordé de jaune que l’oiselet ouvrait tout grand. Quand il serait devenu capable de se débrouiller tout seul, je lui rendrais sa liberté. C’est ce que je fis, bien entendu, mais la conséquence inespérée de ce lointain achat fut qu’aujourd’hui encore les choucas couvent sous notre toit. Jamais un mouvement de pitié envers un animal ne m’avait rapporté une telle récompense.

Il est peu d’oiseaux, peu d’animaux supérieurs en tout cas (les insectes bâtisseurs de cités sont une autre histoire), qui aient une vie familiale et sociale aussi développée que le choucas. Il s’ensuit qu’il y a peu de petits animaux aussi incapables de se tirer d’affaire tout seuls, aussi touchants dans leur dépendance de celui qui les soigne, que les jeunes choucas. 

Quand les tuyaux de ses grandes plumes furent cornés et mon choucas capable de voler, il témoigna d’un attachement absolument filial à ma personne. Il volait derrière moi de pièce en pièce à travers la maison et, s’il m’arrivait parfois de le laisser seul, il me poursuivait désespérément de son cri : « Tchok ». Cet appel devint son nom et, de là, naquit la tradition de baptiser chaque oiselé élevé seul, d’après son cri.

Un petit choucas qui porte à son éleveur toute sa juvénile affection est évidemment d’un grand intérêt scientifique. On peut sortir avec lui, on peut étudier son vol, ses façons de se nourrir, bref, tout son comportement, dans un milieu totalement naturel, sans la contrainte de la cage, et cependant de tout près. Je ne crois pas avoir jamais appris d’un oiseau autant de choses et aussi essentielles que j’en ai appris de Tchok pendant l’été 1926.

C’est à cause de mon imitation de l’appel des choucas que Tchok me préféra très vite à tous les autres humains. Il m’accompagnait en volant dans de longues promenades et même des randonnées à bicyclette, avec la fidélité d’un chien. Bien que, sans aucun doute, il me connût personnellement et que je fusse le seul objet de son attachement, l’élément instinctif, l’espèce de réflexe qui caractérisait sa façon de me suivre, se manifestait souvent de façon très bizarre : lorsque quelqu’un, marchant d’un pas beaucoup plus rapide que moi à ce moment, me dépassait, le choucas me quittait régulièrement pour accompagner l’inconnu. Il s’apercevait toutefois bientôt de son erreur et revenait à moi ; à mesure qu’il grandissait, la correction devenait de plus en plus rapide. Cependant un petit élan, un geste exprimait l’intention de suivre celui qui marchait le plus vite se produisirent encore fréquemment par la suite."

Konrad Lorenz, in Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons.

(Cliquer pour lire le texte)

samedi 25 janvier 2014

"Nous qui travaillons dur personne ne nous applaudit"

Quand un documentaire remplace avantageusement une fiction, pourquoi s'en priver! Je découvre des pépites au rayon documentaires de la médiathèque. Après Robert Kramer la semaine dernière, vu :

. Place de la République de Louis Malle

et,

. OUARZAZATE MOVIE de Ali Essafi sur lequel je vais m'attarder ici.

 

De nombreux films sont tournés dans cette ville marocaine et ses habitants se bousculent pour les castings. La population tout entière est candidate à la figuration pour des films qu'elle ne verra jamais.
Dans ce documentaire on rentre dans les coulisses des tournages. Les sentiments du peuple marocain sont partagés entre rêve et humiliation.
"Sans quitter l'humour et la dérision, le film dresse le constat grinçant d'un cinéma mondial qui impose ses images et ses façons de voir."

En parlant ici de ce documentaire c'est à moi que je fais plaisir. Pendant que je recadrais les images capturées sur mon écran je retrouvais la chaleur, la générosité de ce Marocain qui semblait sinon le vétéran des figurants du moins le plus expérimenté. Il allait pouvoir consolider le plafond de sa maison grâce à ses rémunérations. Et lorsqu'il évoque les tournages avec  Pasolini  c'est avec tant  d'admiration et de respect. Mais aussi, cet autre figurant qui a réussi à travailler six jours sur le tournage et qui plaisante avec ses amis de son rôle de ministre. C'est un beau documentaire à voir et à entendre, les images que j'ai capturées ne sont que des extraits silencieux; on peut voir les scènes de casting et le film complet ici. Humour et dérision, des regards pétillants, chaleureux, fiers, défiants l'humiliation. Oui, je me fais plaisir en revoyant ces images du  peuple marocain, filmé avec humanité par Ali Essafi.


"Le documentaire représente pour Ali Essafi, le réceptacle de la mémoire. C’est pour cette raison qu’il faudrait le valoriser. C’est un style d’utilité publique puisqu’il met en scène la réalité d’un peuple, d’une société. « Le documentaire c’est le réel », déclare Ali. Mais de ce réel naît une fiction. Ali Essafi est clair. Le travail d’un cinéaste qui fait un documentaire n’a rien à voir avec celui du reporter et du journaliste. « Réalité, ne veut pas dire vérité », explique ce réalisateur. En effet, les faits qui sont filmés, ne sont pas pris au dépourvu. Il y a tout un travail qui est fait en amont. Comme la fiction, le documentaire nécessite entre-autre une écriture du scénario et un repérage. Tout cela pour filmer le réel. Mais qu’est-ce que le réel selon Ali Essafi. «Le réel, ça peut être filmer un bout de dialogue entre ma mère et ma voisine ».
Ali prend au sérieux son travail, il y met du cœur. Ceci étant, il déclare que le cinéma c’est pas sa vie. Cela peut être son dada, mais pas toute sa vie. « La vie est plus importante que le cinéma » Mais cette conception qu’il se fait du cinéma ne l’a pas empêché de produire des documentaires intéressants et qui ont été représentés dans plusieurs festivals, dont celui de Namur en 2001. Son film Ouarzazate movie réalisé en 2001 figure dans la programmation du festival de la 6ème Biennale des cinémas arabes à Paris en 2002. Avant Ouarzazate movie, Ali Essafi a réalisé en 1997 un film sur les anciens combattants et intitulé : « Général, nous voilà » et en 1998, «Le silence de betteraves ». Le dernier en date est celui du «Le blues des chikhates». Mais le documentaire qui est considéré comme le plus important pour Ali Essafi  est celui d’« Al Jazira, des voix arabes». Ali Essafi s’est immiscé dans les coulisses de la télévision quatarie « Al Jazira».
Ce film a eu beaucoup de succès et 2M l’a même acheté. Cependant, le documentaire n’a pas encore été diffusé. Ali Essafi se demande si c’est une question de programmation. En tout cas, le réalisateur continuera à faire du documentaire, le reflet d’une société, d’un quotidien, d’une vie. C’est selon lui le seul moyen de faire du grand cinéma."
(Source : Essafi portrait)

Quelques recherches sur Ali Essafi :

Je n'ai pas la date de l'article ci-dessous mais Ahmed Bouanani est décédé en 2011. Donc il doit dater de 2009.


Six ans après Le Blues des Chikhate, Ali Essafi prépare un portrait de Ahmed Bouanani, artiste culte tombé dans l’oubli.

Il a fallu grimper jusqu’à Aït Oumrar, au-dessus de Demnate, pour le retrouver. “Bouanani s’y est retranché il y a cinq ans, depuis que son appartement à Rabat a brûlé, avec une partie de ses archives”, explique Ali Essafi. Autant dire un pan de l’histoire visuelle et écrite du Maroc

indépendant. Pilier de la première génération de cinéastes formés à la prestigieuse Idhec (actuelle Femis) à Paris, réalisateur de courts-métrages et docus pour le Centre cinématographique marocain, Ahmed Bouanani, aujourd’hui 71 ans, est d’abord “le premier monteur professionnel du pays, doublé d’un écrivain et d’un poète”. Membre du collectif Sigma 3 à l’origine du film culte Wechma (1970), du comité de rédaction de la revue Souffles, scénariste des premiers films de Daoud Aoulad Syad (Cheval de vent et Adieu Forain) avec lequel il a co-publié un livre de poèmes et photographies - Territoires de l'instant (2000) -, l’artiste multiple, mais méconnu, est, trente ans après son long-métrage Mirage (1980), “une mémoire en train de s’éteindre”, s’inquiète Ali Essafi. De Général, nous voilà ! à Ouarzazate Movie, lui filme “les héros oubliés des Marocains”. Produit par Cinemaat, ce documentaire est préparé “en collaboration avec la fille de Bouanani, Touda”, précise Ali Essafi, qui déplore ne pas avoir encore trouvé de coproduction. (Cerise Maréchaud)
 

Un projet documentaire en cours sur «les années de plomb» au Maroc.

jeudi 23 janvier 2014

***




Les principaux syndicats de gardiens de la paix ont organisé mercredi des rassemblements en France, comme ici à Nice, afin de dénoncer un «manque de moyens». (AFP PHOTO/VALERY HACHE)

(Source Le Temps.ch)

mardi 21 janvier 2014

... la soie du silence

Dimanche 19 janvier 2013.

Elle ne vient pas souvent me voir. Elle préfère que j'aille la voir. Elle trouve que l'essence est trop chère. Elle doit faire très attention à son budget depuis qu'il n'est plus là : l'essence, le chauffage au minimum, attendre que la pluie arrose son jardin et ses plantes, croiser les doigts pour que rien ne tombe en panne, tout ce que j'ai fait, craint, pendant des années mais aujourd'hui je n'ai plus besoin de compter chaque sou et je peux réaliser mes envies. Le problème c'est que je n'en ai plus, d'envies!

Elle est arrivée à midi, avec sa chienne qui, comme d"habitude, ne voulait pas monter l'escalier pour arriver à mon appartement. C'est bizarre, il y a pourtant des escaliers chez elle, qu'elle monte et descend sans problème. Il faut porter la miss. Tsss!

Apéritif, des bulles pour fêter sa venue. Pendant que nous sirotons et dégustons nos amuses-bouches, je mets au four les coquilles saint-jacques maison qu'elle a apportées, cuisinées avec la recette de ma mère. Ben oui, il a fallu qu'elle apprenne à les faire puisque lui (mon frère) ne jurait que par la cuisine divine de sa mère. Il faut dire que cette recette de coquilles est savoureuse. Bref, déjeuner, café, il fallait profiter du soleil pour une balade, après tous ces jours pluvieux!

Je connaissais ses pensées silencieuses. Elle ne prononce pas une phrase qui ne parle de lui. Ça lui fait du bien et à moi aussi.



Le silence

Écoute, bien-aimée : je lève la main -
Écoute ce bruit...
Quel est le geste des solitaires
que ne guettassent tant de choses?
Écoute, bien-aimée : je ferme les paupières,
et c'est aussi un bruit qui va vers toi.
Écoute, bien-aimée : je lève les paupières...
... mais pourquoi donc n'es-tu pas là?

Le moindre de mes mouvements
reste imprimé sur la soie du silence;
la moindre émotion reste, impérissable,
imprimée sur le rideau des horizons.
Sur mon souffle s'élèvent et s'abaissent
les étoiles.
Les parfums à ma lèvre s'abreuvent
et je reconnais les poignets
d'anges lointains.
Seule toi à qui je pense :
tu n'es pas là.

Rainer Maria Rilke, Le livre d'images, extrait.


samedi 18 janvier 2014

J'essaye d'écrire une saleté de livre






Chapitre 1 

Case départ 

Je suis un type du Sud-Ouest. Autant vous le dire tout de suite, je n’ai rien à cacher. Mais vous avez de la chance : moi, j’ai mis quarante ans avant de le savoir ! Une paille. Est-ce que vous pouvez imaginer ça ? – quarante longues et douloureuses années pour comprendre que je suis un type du Sud-Ouest, et vous, vlan ! du premier coup, vous êtes au parfum !

D’être du Sud-Ouest, me direz-vous, qu’est-ce que ça change ? A vrai dire, rien ; et pourtant ça change tout. Mais ce serait trop long à expliquer. J’espère tout de même que je ne vais pas me lancer dans le récit de toutes ces salades, toutes ces années qu’on passe comme ça, à chercher. A chercher quoi, je vous le demande. On cherche les années et ce qu’elles recouvrent, ce qui n’est pas toujours très beau à voir. Ni très propre non plus. Au bout du compte, s’apercevoir qu’on est un type du Sud-Ouest, en soi, ce n’est pas le plus grave. Au contraire, ça fait rudement plaisir de comprendre qu’on est de quelque part, comme tout le monde. Bien content que j’étais que je m’en suis aperçu. Rassuré en un mot, avec mon Sud-Ouest sur les bras.

Bien sûr, le Sud-Ouest, si on y réfléchit, ce n’est pas terrible, mais pour un début, soyons honnête : n’est déjà pas si mal. On a vu pire. J’ai tellement essayé d’être d’ailleurs que je sais de quoi je parle. Sur ce plan-là, faites-moi confiance. Après tout, le Sud-Ouest ou ailleurs, quelle différence ? C’est justement ce que je pensais en revenant m’installer au pays, comme on dit. Bon dieu (me disais-je), ça fait du bien d’être de retour à la case départ, même si c'est dans ce fichu Sud-Ouest que j’avais tant cru pouvoir fuir et rayer de ma mémoire pendant toutes ces années ! Voilà que j’y étais de nouveau : à point nommé et avec, je dois l’avouer, la ferme intention de tenir au moins, disons, un chapitre ou deux, puisque je comptais me remettre à mon bouquin. Que je vous dise quand même : j’essaye d’écrire une saleté de livre. Le mien, tant qu’à faire. Du reste, si j’ai bon souvenir, je n’en avais jamais écrit la première ligne de ce fichu bouquin. Pour être tout à fait franc, je n’y avais même jamais pensé ; mais maintenant que je revenais comme un traînard du jeu de l’oie, il allait falloir que ça change.

[...]
Chapitre 6 

Le petit Nabokov 

Je me sentais rudement abandonné quand je revins m’installer dans ce maudit Sud-Ouest. Ma mère aurait pu m’aider mais, sur ce plan-là, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne se montrait pas trop coopérative. Il faudrait que je lui en retouche un mot un de ces jours. Prématuré, elle avait bien dit prématuré ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? La connaissant agile et volage, elle avait dû faire ça en quatrième vitesse sur la banquette d’une bagnole à Rapid-City, alors forcément, à l’autre bout du rouleau, le prématuré c’était moi. Mais je n’étais pas responsable. D’ailleurs, je me fichais pas mal d’être un prématuré, du moment que toute cette histoire eût pour cadre un idyllique Sud-Ouest ! Le reste me laissait assez indifférent. J’imaginais une chouette maternité landaise ou périgourdine au milieu d’un beau parc avec les petits oiseaux du printemps pour saluer mon arrivée.

Pourtant, ça me trottait dans la tête, il y avait quelque chose qui me chiffonnait : si j’étais un prématuré, comment avais-je fait mon compte pour être toujours en retard à l’école ? Si j’avais été ce prématuré radical, comment expliquer que, quarante ans plus tard, je me retrouvais, pour ainsi dire, aussi immature ? Je n’expliquais rien. Je pouvais mettre ça sur le dos des mystères de la vie. Trois livres ? Elle avait bien dit trois livres ? Pour un type qui voulait devenir écrivain, ça n’allait pas chercher loin. Bébé Hemingway devait faire dans les sept livres, le petit Nabokov dans les huit livres et ce sale gosse de Sartre, autant que je sache, devait friser carrément les neuf livres, si on compte l’excédent philosophique que constituent les couches-culottes. Toute l’avance qu’ils ont prise, les salauds ! sur un type prématuré en plus, c’est vraiment dégueulasse. Trois livres, me répétais-je, c’est plus que je n’en écrirai. De toute façon, je ne devais pas penser aux autres. Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire, que leur âme repose en paix ! Maintenant, c’était à mon tour, n’est-ce pas ? de passer aux choses sérieuses. Ça n’allait pas traîner. Le temps de dénicher une maison, de quoi vivre et une femme pour s’occuper des menus détails de la vie courante, et le tour serait joué. L’essentiel, c’était de savoir où j’allais. A ce sujet, aucune hésitation, ce serait le Sud-Ouest – ou rien. Je dis bien : ou rien.

[...]

Chapitre 30 

Une robe du dix-septième 

J’avais bien fait de m’acheter cette Remington chez ce vieux brocanteur. Il m’avait dit qu’elle appartenait à Henry Miller pendant son séjour du côté de la place Clichy. « Si vous n’arrivez pas à écrire avec, peut-être bien qu’elle vous fera bander », avait-il ajouté, ce vieux dégueulasse. Qu’est-ce que tu vas écrire avec ça ? m’étais-je demandé pendant tout le chemin du retour en revenant à ma piaule. Je n’en avais pas la moindre idée. J’ai posé la machine sur le lit, et je l’ai regardée : l’édredon autour d’elle lui faisait une chouette robe du dix-septième. Certainement, Miller aurait jeté un œil là-dessous, mais pas moi, vous pensez bien ? Moi, je n’osais même pas taper sur les touches. Elle m’intimidait cette machine, peut-être parce que c’était celle de ce bon vieux roi Henry. Je n’en savais trop rien à vrai dire, pourquoi elle m’intimidait tellement. Ce soir-là je ne travaillais pas et j’ai passé une partie de la nuit à regarder cette foutue bécane. J’aurais fait la même chose si ç’avait été Peggy. La regarder. Pour vous dire la drôle de princesse qu’elle était pour moi. Alors j’ai pensé qu’avec la machine je pouvais rejoindre Peggy. Je ne savais pas très bien comment, mais j’imaginais avec ma cervelle d’oiseau que c’était peut-être possible. Le lendemain j’ai rangé la Remington dans la malle de la Volvo, j’ai posé mon saxophone sur la banquette arrière et je suis parti. Direction le Sud-Ouest.

Il suffisait de descendre en obliquant vers la droite. C’est à partir de là que j’ai commencé si stupidement à compter tous ces malheureux kilomètres, les uns après les autres, comme si ça pouvait changer quoi que ce soit. En même temps que je comptais, je me trouvais passablement ridicule, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Est-ce que je ne fuyais pas Peggy par hasard ? Non, alors pourquoi compterais-je tous ces kilomètres puisque je n’avais aucune raison de les compter ? En les comptant, c’était elle surtout que je comptais oublier. Il y avait un détail pourtant dans cette histoire : Peggy, c’était bien ce genre de fille qu’on n’oublie pas. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, mais vous ne les oubliez jamais. La preuve, elle n’avait pas attendu des années pour venir faire du vélo dans mes rêves. En petite robe bleue, presque transparente en plus – elle devait le faire exprès. C’était pour m’embêter. Elle me prenait en traître, vous pensez : pendant que je dormais. 

Jean-Paul Chabrier, in Sud-Ouest, éditions L’Escampette, 1998. 

Un vrai moment de détente, d'éclats de rire. Une pincée d'humour, de dérision, de mélancolie vite enfouie. A conseiller en cette période grise, morose!
 
"C’est en soixante-dix-neuf très courts chapitres, une course épuisante à l’estime de soi, à la grâce qui se refuse, à l’idée magistrale que le surmoi d’un rêveur se fait de son moi, un salut d’apprenti à l’œuvre imaginée qui fout le camp dans la bousculade des jours.
C’est du Montaigne caustique, qui était de la région et explora lui aussi les étranges langueurs du métier."

Jean-Louis Ezine, Le Nouvel Observateur, 1998.


mardi 14 janvier 2014

Un cinéaste militant


Robert Kramer (1939 - 1999)

"Robert Kramer est né en 1939 à New York. Auteur de plus de trente films et de nombreuses vidéos, il fonde sa société, Alpha 60, et coproduit avec Blue Van ses premiers films : In the Country en 1966 et The Edge en 1967. Il réalise ensuite, parmi les films les plus connus, Ice en 1969, Milestones en 1975 et Route one USA en 1989. Robert Kramer compte parmi les metteurs en scène les plus originaux du cinéma indépendant américain et français. Robert Kramer est décédé le 10 novembre 1999."

Je suis tombée par hasard sur ce DVD à la médiathèque. Bonne pioche! Je ne savais rien de ce cinéaste pourtant de ma génération. Un beau document avec des entretiens, d'un cinéaste militant, rebelle, utopique (donc) attachant.

"Un jour où l'autre, tous les films que je fais formeront un unique et long film. Une histoire en continuel devenir, le compte rendu détaillé d'une conscience qui se déplace à travers les lieux et les époques, essayant de survivre, de comprendre, de trouver une maison adéquate, et, au long de tout ce chemin vivant avec les images, la forme-film, comme une unique pratique qui unifie ce projet."  Robert Kramer.

 

Robert Kramer, cinéaste qui resta toute sa vie un franc-tireur inclassable : Américain devenu Parisien, documentariste plongé dans la fiction, militant d’extrême gauche indépendant de toute organisation. 
"Empruntant à Robert Kramer l'image de la route et des bornes, le film propose un itinéraire chronologique en quelques chapitres : "Amérique", "Viêt-nam", "Mythologies"... et pour finir, "Le Métier de vivre". Né en 1939 près de New York, Kramer commence à filmer dans les années 1960, années d’insurrection contre l’exploitation, l’État, la famille traditionnelle, la consommation et surtout la guerre du Viêt-nam. Ses films arpentent l’Amérique, "chantier permanent où s’est inventé le XXe siècle", en explorant de nouvelles formes. Il vit alors en communauté, gagne sa vie comme camionneur, exalte toutes les révoltes. Lorsqu’il s’installe en France, sa vie prend un tour plus classique, mais l’utopie ne la quitte pas.  


Ses chemins croisent ceux de Serge Daney et de Guy Debord. En expérimentant la "lettre vidéo", Kramer s’exerce à "parler et filmer en même temps". Son art, sans être autobiographique, abolit les limites entre vie et œuvre, au risque de faire sentir le vide et les trébuchements."

Ci-dessous des extraits vidéos capturés sur mon ordinateur.











Pour en savoir plus sur Robert Kramer
et sur Heiner Müller



samedi 11 janvier 2014

Cheminer avec persévérance vers la bonne pensée. (Sénèque)

Balade du jour pour colorer les idées noires.

Je jouais avec les algues


J'écrivais sur le sable et je ne sais pourquoi
je pensais à Jackson Pollock, enfin si, je sais...


J'aurais aimé avoir quelqu'un (de vivant) à aimer pour écrire : 
JE L'AIME et IL M'AIME
(pensées de midinette) 


Je remontais sur le sentier pédestre de la dune.
Je croisais cette veille femme, seule, avec son déambulateur 
et mes pensées positives en prenaient un coup.


Il ne fallait pas se laisser abattre mais 
 "cheminer avec persévérance vers la bonne pensée".
J'étais libre comme ces oiseaux et je marchais, de quoi me plaindrais-je?


Et puis, cette lumière en contre-jour était divine.
Et toutes ces photos ont été prises à quelques minutes d'intervalle.
Comment ne pas savourer cette palette de couleurs que nous offre la nature.


Je faisais demi-tour, retournais vers le port et cette fois
c'est à Mark Rothko que je pensais.



Ce soir, regardé Rashömon de Kurosawa que j'avais enregistré. Magnifique conte philosophique sur les sentiments humains.

En somme, ce fut une belle journée.

vendredi 10 janvier 2014

Coup de gueule, clap enième

Quand je lis ça, j'ai des envies de meurtre sur l'humain!

Ces chiens qui meurent pour nous

ENQUÊTE - Beagles, golden retrievers, briards… Chaque année, 3.000 chiens servent de cobayes dans les laboratoires français. Certains sont même programmés pour naître myopathes. Jusqu'où la science peut-elle aller? 
[...]
 "Dans cet élevage caché au fond des bois, on élève des chiens, en majorité des beagles, pour les envoyer en laboratoire, à l'âge de 5 mois, dénonce Michèle Scharapan, membre du collectif. Ces chiens, privés de tendresse, voient très peu la lumière du jour. On les prépare à la vivisection."
[...]
"Les beagles sont une race ni trop grande, ni trop petite, et qui viendra vous lécher la main quoi que vous fassiez, explique le vétérinaire André Ménache, directeur d'Antidote Europe, un collectif qui milite pour une science responsable. La majorité des beagles sert à tester des médicaments. On leur en fait avaler deux ou trois fois par jour, en leur mettant une sonde dans l'estomac, sans analgésique, ni anesthésie."
[...]
"Dans le cadre d'un mémoire en philosophie éthique sur l'expérimentation animale, Audrey Jougla s'est rendue dans un labo où étaient menées des recherches sur la maladie de Duchenne financées par l'AFM Téléthon. "Les chiens ne pouvaient plus s'alimenter, témoigne-t-elle. Ils étaient nourris par sonde, ils avaient des difficultés respiratoires et motrices très lourdes. Certains chiots ressemblaient déjà à des robots. J'ai demandé à un praticien s'ils souffraient, il m'a répondu sur le ton de l'humour qu'il n'aimerait pas être à leur place."
[...]
 "En théorie, la directive sur l'expérimentation animale interdit tout test impliquant une douleur aiguë et prolongée. En faisant naître, à dessein, des animaux atteints de myopathie, on entraîne forcément ce type de souffrance,"

La France, leader des expérimentations animales.

"Selon un rapport de la Commission européenne, plus de 2 millions d'animaux servent de cobayes dans l'Hexagone. Un record en Europe."

 Chien heureux
Crédit photo avec l'accord du maître (reproduction interdite)

jeudi 9 janvier 2014

"Dire d'elle ce qui jamais ne fut dit d'aucune" (Dante)




"Marie atteignait d’instinct la dimension cosmique de l’existence, même si elle semblait parfois dédaigner complètement sa dimension sociale, et elle se comportait avec la même simplicité naturelle avec toutes les personnes avec qui elle était en relation, ignorant l’âge et le protocole, la préséance et l’étiquette, et déployant avec chacun, les mêmes gentillesses attentionnées, les mêmes grâces de finesse et de bienveillance, les charmes de son sourire et de sa silhouette, que ce soit un ambassadeur qui la recevait à dîner dans sa résidence en marge d’une exposition, la femme de ménage avec qui elle était devenue copine ou le dernier stagiaire engagé dans la maison de couture Allons-y Allons-o, ne voyant en chacun d’eux que l’être humain qu’ils étaient sans s’intéresser le moins du monde à leur rang, comme si, sous les atours de l’adulte qu’elle était devenue, et sa prestance d’artiste mondialement reconnue, c’était l’enfant qu’elle avait été qui subsistait, avec son fond inaltérable de bonté innocente. Il y avait pour elle comme une abstraction radicale, une abrasion, un décapage de la réalité sociale des choses [...]"

Page 39.

"Je n’avais relevé la tête qu’un instant, mais lorsque je me penchai de nouveau au-dessus du hublot, la salle d’exposition, que j’avais perçue jusqu’à maintenant comme un spectacle abstrait hanté par une foule irréelle, m’apparut plus familier et je reconnus en dessous de moi une foule habituelle de vernissage, avec plusieurs dizaines de personnes vivantes qui se pressaient autour des œuvres dans un brouhaha permanent de rires et de conversations. Et, si la scène m’apparut avec autant de netteté, si elle s’imposa alors à moi  avec un effet de réel aussi saisissant, c’est que Marie était là. Marie était là, je l’avais sous les yeux maintenant, je l’apercevais dans la foule, et il émanait d’elle quelque chose de lumineux, une grâce, une élégance, une évidence. Elle portait un chemisier blanc à col lavallière, et elle ne disait rien, mais sans rien dire, sans rien faire, sans bouger, sans un mot, sans un battement de cil, elle saturait l’espace de sa présence immobile, pas précisément froide, mais distante, lointaine, non concernée, comme égarée dans cette exposition qui ne semblait pas être la sienne, et qui paraissait supporter, avec quelque chose de résigné et de foncièrement mélancolique, les frivolités de ces soirées de vernissage, la superficialité des conversations, toute cette écume frissonnante qui ne l’éclaboussait même pas, qui ne l’atteignait pas, comme si sa peau était blindée, son enveloppe cuirassée, et que son âme était simplement étrangère à la médiocrité, étanche à toute forme de vulgarité.

[…]

[…] Je retenais ma respiration dans la nuit sur le toit du musée et je continuais de la regarder à travers le hublot. Accroupi dans l’ombre, je ne pouvais détacher mes yeux de sa bouche. Avec une appréhension croissante, le cœur serré, je fixais le mouvement de ses lèvres et je craignais, en l’observant ainsi à son insu, de surprendre soudain quelque révélation bouleversante, un secret, une information privée qui se fût rapportée à notre amour ou aux circonstances douloureuse de notre rupture, mais la seule phrase que je pus lire ce soir-là sur ses lèvres, la seule phrase complète et intelligible que je surpris durant  les deux ou trois heures pendant lesquelles j’étais resté sur le toit à l’observer ainsi à travers le hublot (avant de quitter les lieux, de descendre du toit et de rentrer à l’hôtel), l’unique phrase en somme, que Marie avait dite ce soir-là en ma présence, avec la franchise enjouée et souveraine qui la caractérise, dans une sorte d’élan spontané qui me fit retrouver, d’un coup, comme par magie, l’essence même de sa personnalité, ce fut : «  Moi, quand je suis déprimée, je me fais un œuf à la coque »."

Pages 79 – 80 – 82

Jean-Philippe Toussaint, in Nue, éditions de Minuit, 2013.

 


 

Shinagawa-ku Tokyo Japan, designed by Jin Watanabe in 1938.

(Il y a plusieurs musées d'Art Contemporain à Tokyo mais il semblerait que celui du roman soit ce dernier)

A propos du lieu, Jean-Philippe Toussaint dans une interview pour Le Figaro :
  
"Le vernissage de son exposition au Contemporary Art Space de Shinagawa. J’ai projeté sur elle (Marie) un goût personnel. J’ai une passion pour l’art contemporain et une certaine pratique : j’ai fait des expositions à Toulouse, Canton, Bruxelles et surtout au Louvre (en 2012), où il s’agissait d’évoquer le livre sans passer par l’écrit, avec des photographies, des films, des installations… Un hommage purement visuel qui a son pendant littéraire – l’ouvrage L’Urgence et la Patience – et qui trouve son origine dans une scène de Fuir où Marie erre dans le musée." 

"Nue est le quatrième et dernier volet de l’ensemble romanesque Marie Madeleine Marguerite de Montalte, qui retrace quatre saisons de la vie de Marie, créatrice de haute couture et compagne du narrateur : Faire l’amour, hiver (2002) ; Fuir, été (2005) ; La Vérité sur Marie, printemps-été (2009) ; Nue, automne-hiver (2013)."

Si l’écriture m’a – comme toujours – enthousiasmée, j’étais pour une fois contente que ce quatrième volet  fût le dernier. J’ai eu le sentiment parfois (je voulais l’occulter) qu’il revenait trop souvent sur le passé mais sans doute était-ce moi qui m'essoufflais avec Marie. Je n'avais rien oublié de ces différentes "saisons" et, l'’automne-hiver 2013 de Marie me donne sacrément envie d’un retour sur l’hiver 2002

Conclusion : j'attendrai patiemment, avec impatience, un prochain livre de Jean-Philippe Toussaint, débarrassé de Marie, pour une plongée en apnée dans son écriture qui ne laisse de me griser.
   
"Dans l’idéal, Nue devrait autant donner envie de lire que de relire ses prédécesseurs. Et vice versa."(Dixit l'auteur).