mercredi 29 mai 2013

Prendre la route...


Crédit Photo : Fayçal A. Bentahar

"J'ai pris le volant un jour d'été, à treize heures trente. J'avais une bonne voiture et assez d'essence pour atteindre la rase campagne. C'est après que les questions se sont posées. Après le plein, j'entends. En même temps, c'était assez simple. Comme j'avais pris la direction du sud, je me suis contenté de poursuivre. Je voulais juste éviter Lyon, de sorte que je me suis perdu quelque part dans le Massif Central.
Perdu n'est pas le mot. J'avais échoué à Riom. Je ne sais pas si c'est une ville triste. Le temps était maussade. Aux environs de vingt et une heures, j'ai dû chercher un hôtel. Une fois dans la chambre, je l'ai quittée pour trouver le sommeil. Riom vers vingt-deux heures, donc. Par chance, j'avais dîné tôt d'un sandwich sur la route. Il y avait un café ouvert, je me suis assis dehors. La terrasse était déserte, il s'est mis à pleuvoir. Le peu de gens qui passaient ont pressé l'allure. Ils ont disparu. Personne ne les a remplacés. J'ai regardé la pluie exploser sur le trottoir. La température avait changé, je n'y avais pas prêté attention. C'était une pluie d'orage, il faisait anormalement chaud, et tout de suite après, il y a eu des éclairs. D'abord quelques-uns, isolés, suivis de roulements encore lointains, puis le ciel s'est illuminé, parcouru d'arcs électriques. On avait le temps de les voir, comme imprimés, leurs lignes brisées se détachant sur le fond noir, puis plus tellement noir, plus tellement le temps de virer au noir, les zébrures se succédant bientôt au point de se superposer et se figeant dans ce qui était devenu une blancheur. La pluie a grossi, elle tombait en gouttes laiteuses, qui s'écrasaient en laissant de l'écume. Je l'entendais, aussi, frapper la banne à l'abri de laquelle je me tenais encore, son crépitement gras dominait les roulements, et je me suis dit que la vie devenait violente, j'ai rentré légèrement la tête dans les épaules.
Je suis resté là à attendre que ça passe, mais ça ne passait pas, la banne s'incurvait sous l'averse et commençait à dégoutter au-dessus de moi, j'ai senti de l'eau me couler dans le dos, j'ai déplacé ma chaise. Puis j'ai préféré rentrer. Je suis arrivé à l'hôtel trempé. Dans la chambre, j'ai enlevé mes vêtements, je les ai essorés et je les ai mis à sécher sur des cintres. J'étais entièrement nu, il faisait toujours très lourd, et j'ai déplié sur le lit la carte routière que j'avais rapportée de la voiture."

Christian Oster, in Rouler, éditions de l'Olivier 2011, collection Points 2012.

Premières pages de cet ouvrage, l'un de ceux que j'emporte avec moi dans ma valise. Départ dans trois jours. Mon premier jour de route ne sera pas un remake de ce que décrit l'auteur, je ne prends que les autoroutes, par peur de me perdre. Mon inquiétude est de rouler sous la pluie... comme l'année dernière. La vidéo, c'était il y a deux ans, sous le soleil.
Christian Oster est le romancier que j'ai découvert depuis peu. 

Rouler
Sur un coup de tête, Jean s'en va. Il prend la route. Le sud de la France lui apparaît comme une promesse, ou peut-être pas. Il choisit des itinéraires peu fréquentés, ne croise que des silhouettes. Il veut atteindre la mer, Marseille peut-être. Rouler. partir en cavale, fuir une vie monotone. Vivre au hasard des rencontres et attendre, attendre de voir de quoi demain sera fait.
4e de couverture.

"Avec ce livre rempli d'échos et de réverbérations, de craquements et de soupirs retenus, Christian Oster poursuit en finesse sa quête du vide."
Télérama.

Je n'ai pas besoin de lire les (bonnes) critiques, je sais que je ne serai pas déçue.

samedi 25 mai 2013

Nom d'oiseau




RUSSIE. Des photos d’espèces en voie de disparition, comme cette chouette polaire, sont exposées à Saint-Pétersbourg. La Russie va évacuer d’urgence l’une de ses stations polaires installée sur une banquise au pôle Nord, en raison de la fonte anormale des glaces. (Alexander Demianchuk/Reuters).

Ce matin, dans Répliques, sujet du jour : L'esprit Canal (+), (rien à voir avec la photo... quoi que... voir plus loin) 
Alain Finkielkraut se désolait (et cette fois il a raison) de la pauvreté de la culture à la télévision et du manque de connaissances de certains journalistes et là, j'ai éclaté de rire (sauf que, il aurait pu citer d'autres journalistes/animateurs) en l'entendant dire :

"Hegel, dans la bouche de Harry Roselmack, devient un nom d'oiseau"!

Et pour rebondir sur Hegel et les noms d'oiseaux :
Je me suis souvenue d'avoir un jour entendu parler de L'oiseau de Minerve - qui, selon Hegel "ne prend toujours son envol qu'au crépuscule" -, dans une émission de philosophie (Grand Public cela va sans dire puisque je l'écoutais) et, une petite recherche m'a fait découvrir ce texte  très amusant, tiré du Manuel de survie dans les dîners en ville de Michel Eltchaninoff :

 

Pour ceux qui s'intéressent vraiment, et plus sérieusement, à la philosophie et... à la chouette,  très beaux documents, lien ci-dessus,
et pour Hegel, voir ici.
"Hegel fait au séminaire la connaissance du poète Hölderlin et du philosophe Schelling, dont il partage la chambre. Tous trois discutent de Platon, de Kant et de Spinoza."
Cette phrase suffit à me faire rêver, pour la journée!
"Ils éprouvent une grande passion pour la Grèce antique et s'enthousiasment pour la Révolution française. Ils auraient alors planté un arbre de la liberté dans une prairie proche de Tübingen."

Arbre de la Liberté
Aquarelle de Goethe

jeudi 23 mai 2013

Les Faux-Monnayeurs ou l'Art de la fugue

L'Art de la fugue BWV 1080 Die Kunst der Fuge


 
Johann Sébastian Bach
de 1740 à 1750 environ

- Eh bien! je voudrais un roman qui serait à la fois aussi vrai, et aussi éloigné de la réalité, aussi particulier et aussi général à la fois, aussi humain et aussi fictif qu'Athalie, que Tartuffe ou que Cinna.
- Et... le sujet de ce roman?
- Il n'y en a pas, repartit Edouard brusquement; et c'est là ce qu'il y a de plus étonnant peut-être. Mon roman n'a pas de sujet. Oui, je sais bien; ça a l'air stupide ce que je dis là. Mettons si vous préférez qu'il n'y aura pas un sujet... "Une tranche de vie", disait l'école naturaliste. Le grand défaut de cette école, c'est de couper sa tranche toujours dans le même sens; dans le sens du temps, en longueur. Pourquoi pas en largeur? ou en profondeur? Pour moi, je voudrais ne pas couper du tout. Comprenez-moi : je voudrais tout y faire entrer, dans ce roman. Pas de coup de ciseaux pour arrêter, ici plutôt que là, sa substance. Depuis plus d'un an que j'y travaille, il ne m'arrive rien que je n'y verse, et que je n'y veuille y faire entrer : ce que je vois, ce que je sais, tout ce que m'apprend la vie des autres et la mienne...
[...]
- Mon pauvre ami, vous ferez mourir d'ennui vos lecteurs, dit Laura [...]
- Pas du tout. Pour obtenir cet effet, suivez-moi, j'invente un personnage de romancier, que je pose en figure centrale; et le sujet du livre, si vous voulez, c'est précisément la lutte entre ce que lui offre la réalité et ce que, lui, prétend en faire.
- Si, si; j'entrevois", dit poliment Sophroniska [...]. "Ce pourrait être assez curieux. Mais, vous savez, dans les romans, c'est toujours dangereux de présenter des intellectuels. Ils assomment le public; on ne parvient à leur faire dire que des âneries, et, à tout ce qui les touche, ils communiquent un air abstrait.
- Et puis je vois très bien ce qui va arriver, s'écria Laura : dans ce romancier, vous ne pourrez faire autrement que de vous peindre."
[...]
- Et le plan de ce livre est fait? demanda Sophroniska, en tâchant de reprendre son sérieux.
- Naturellement pas. [...]
Vous devriez comprendre qu'un plan, pour un livre de ce genre, est essentiellement inadmissible. Tout y serait faussé si j'y décidais rien par avance. J'attends que la réalité me le dicte.
- Mais je croyais que vous vouliez vous écarter de la réalité.
- Mon romancier voudra s'en écarter; mais moi je l'y ramènerai sans cesse. A vrai dire, ce sera là le sujet : la lutte entre les faits proposés par la réalité, et la réalité idéale."
[...]
"Et c'est avancé? demanda poliment Sophroniska.
- Cela dépend de ce que vous entendez par là. A vrai dire, du livre même, je n'ai pas encore écrit une ligne. Mais j'y ai déjà beaucoup travaillé. J'y pense chaque jour et sans cesse. J'y travaille d'une façon très curieuse , que je m'en vais vous dire : sur un carnet, je note au jour le jour l'état de ce roman dans mon esprit; oui, c'est une sorte de journal que je tiens, comme on ferait celui d'un enfant... C'est à dire qu'au lieu de me contenter de résoudre, à mesure qu'elle se propose, chaque difficulté (et toute œuvre d'art n'est que la somme ou le produit des solutions d'une quantité de menues difficultés successives), chacune de ces difficultés, je l'expose, je l'étudie. Si vous voulez, ce carnet contient la critique de mon roman; ou mieux : du roman en général. [...]
[...]
"Mon pauvre ami, dit Laura avec un accent de tristesse; ce roman, je vois bien que jamais vous ne l'écrirez.
- Eh bien! je vais vous dire une chose, s'écria dans un élan impétueux Edouard : ça m'est égal. Oui, si je ne parviens pas à l'écrire, ce livre, c'est que l'histoire du livre m'aura plus intéressé que le livre lui-même; qu'elle aura pris sa place; et ce sera tant mieux.
- Ne craignez-vous pas, en quittant la réalité, de vous égarer dans des régions mortellement abstraites et de faire un roman, non d'êtres vivants, mais d'idées? demanda Sophroniska craintivement.
- Et quand cela serait! cria Edouard avec un redoublement de vigueur. A cause de maladroits qui s'y sont fourvoyés, devons-nous condamner le roman d'idées? En guise de roman d'idées, on ne nous a servi jusqu'à présent que d'exécrables romans à thèses. Mais il ne s'agit pas de cela, vous pensez bien. Les idées..., les idées, je vous l'avoue, m'intéressent plus que les hommes; m'intéressent par-dessus tout. Elles vivent; elles combattent; elles agonisent comme les hommes. [...]
[...]
Bernard avait écouté tout cela avec une attention soutenue; [...]
[...]
Cependant Edouard continuait :
"Ce que je voudrais faire, comprenez-moi, c'est quelque chose comme l'Art de la fugue. Et je ne vois pas pourquoi ce qui fut possible en musique serait impossible en littérature..."
[...]
La discussion se perdait en arguties. Bernard, qui jusqu'à ce moment avait gardé le silence, mais qui commençait à s'impatienter sur sa chaise, à la fin n'y tint plus; avec une déférence extrême, exagérée même, comme chaque fois qu'il adressait la parole à Edouard, mais avec cette sorte d'enjouement qui semblait faire de cette déférence un jeu :
"Pardonnez-moi, Monsieur, dit-il, de connaître le titre de votre livre, puisque c'est par une indiscrétion, mais sur laquelle vous avez bien voulu, je crois, passer l'éponge. Ce titre pourtant semblait annoncer une histoire...?
- Oh! dites-nous ce titre, dit Laura
- Ma chère amie, si vous voulez... Mais je vous avertis qu'il est possible que j'en change. Je crains qu'il ne soit un peu trompeur... Tenez, dites-le-leur, Bernard.
- Vous permettez?... Les Faux-Monnayeurs, dit Bernard. Mais maintenant, à votre tour, dites-nous : ces faux-monnayeurs... qui sont-ils?
- Eh bien! je n'en sais rien", dit Edouard.
 
Pages 204 à 208.
 
André Gide, in Les Faux-Monnayeurs, Gallimard, collection folioplus classiques, 2008.

(Le changement de caractères  et les phrases en gras sont de mon fait).
 
Ah! que j'aime les romans... qui n'en sont pas.
 
 

mardi 21 mai 2013

Sans titre

Dans les ruelles du vieux Quimper aujourd'hui, sous un ciel gris...



 

 

 
Les temps sont durs, très durs...
 

 
 Ce tag m'a rappelé ce questionnement... suivi de celui-ci...
 

 
For ever or never?
 

 

 
Là, un visage,  j'ai eu une pensée pour Jean Cocteau... voir ici...
 

 
Mmm!... Ce qui m'est venu à l'esprit? Pfff!
 

 


Tags de la nature...

lundi 20 mai 2013

"Déraisonner en conscience, voilà la grande affaire de la vie" *

Plaisir du samedi : écouter Charles Sigel... dans L'humeur vagabonde.

*Alfred de Musset (1810-1857)


"Mélange étrange de féminité secrète et de virilité arrogante"

"Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Ce vers, le plus célèbre peut-être d’Alfred de Musset, pourrait résumer l’histoire de sa vie, une existence brillante et terne à la fois où ivresse rime constamment avec jeunesse, comme jouissance avec déchéance.

L’Enfant du siècle fut un enfant terrible, vivant ses passions jusqu’aux limites de la folie, jusqu’à les vider de sens. Sa célèbre (trop célèbre !) liaison avec George Sand, ses amours contrariées avec d’autres femmes, en qui il ne voyait que des mamans ou des putains, révèlent la fragilité de son être : c’est lui l’ambigu Lorenzaccio, déchiré entre corruption et pureté.
Génie adolescent comme Rimbaud, Musset ne croit pas que "je est un autre" : pour lui, au contraire, la littérature ne vaut que si elle est le prolongement de la vie, dans l’alliance instable du pathétique et du futile.
Par cette fragilité extrême, Musset reste aujourd’hui vivant, grâce surtout à son théâtre. Fantasio, Marianne, Rosette, Perdican, Camille, Cœlio forment une ronde où le texte s’incarne, le temps d’une ronde éphémère."

Charles Sigel, je l'ai déjà dit est un conteur formidable, aucune lassitude à l'écouter sur les sujets qui pourraient sembler ennuyeux. Il alimente ses textes de références, d'anecdotes exaltantes. Et les amours, la vie d'Alfred de Musset n'en manquent pas.

Il nous parle aussi de Rachel qu'il rencontre, le 29 mai 1839, à la sortie du Théâtre-Français, Rachel,  et avec laquelle il a une brève liaison en juin.
Un soir après une représentation du Tancrède de Voltaire, ils se retrouvent chez elle; ils se mettent à lire Phèdre, à deux voix, puis s'arrêtant, Musset s'interroge et confesse :

"Je ne vaux plus rien. Je ne suis plus fou en amour et si on ne l'est plus, qu'est-ce qui reste? Déraisonner en conscience, voilà la grande affaire de la vie".

"Je ne vis que quand un coeur bat sur le mien".

Que lui reste-t-il alors après sa rupture avec Rachel ? L'absinthe, le jeu, les filles; il sort, tout plutôt que rester face à lui-même.  

"Être bien tranquille chez soi, est le plus atroce de tous les supplices. Comment Dante n'a-t-il pas pensé à nous montrer un homme en robe de chambre, au quatrième ou cinquième cercle de son Enfer, assis au coin du feu dans son fauteuil, les pieds dans ses pantoufles? C'eût été le dernier degré de l'horreur." 

Flaubert dira de lui à Louise Colet qui lui racontait les progrès de Musset (elle s'intéresse alors à Musset; elle s'était fait une spécialité des hommes de lettres et, après Vigny, elle hésitait entre Flaubert et Musset) :

"En somme c'est un malheureux garçon, on ne vit pas sans religion (religion de l'art chère à Flaubert). [...] Musset n'a jamais séparé la poésie des sensations qu'elle complète; quand on veut mettre ainsi le soleil dans sa culotte, on brûle sa culotte."

Et Flaubert terminera par ce théorème archi-flaubertien (dixit Charles Sigel):

"Moins on sent une chose et plus on est apte à l'exprimer comme elle est, comme elle est toujours."

Deux heures de récit passionnant, difficile à résumer.

A propos de Rolla (oeuvre que je découvre) :

"Rolla, long poème de 784 vers, obtint un succès considérable. Musset y conte l'histoire de Jacques Rolla, le plus grand débauché de Paris, ville du monde «où le libertinage est à meilleur marché».[...] 
À travers Rolla, Musset tente, non sans une certaine grandiloquence, le portrait d'une génération empêtrée dans ses contradictions et qui finit par croire que, le bonheur devenu impossible, il ne reste que l'ivresse ou le suicide."



Aquarelle d'Eugène Lami pour Rolla, poème d'Alfred de Musset. (Musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, Rueil-Malmaison.)
Ph. Jeanbor © Archives Larbor

Extrait de Rolla :

Marie en souriant regarda son miroir.
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu’elle en resta muette et plus pâle que lui.
« Ah ! dit-elle, en tremblant, qu’avez-vous aujourd’hui ?"
- Ce que j’ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir ?
C’est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
- Vous avez donc joué ? - Non, je suis ruiné.
- Ruiné ? » dit Marie. Et, comme une statue,
Elle fixait à terre un grand oeil étonné.
« Ruiné ? ruiné ? vous n’avez pas de mère ?
Pas d’amis ? de parents ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer ? pourquoi vous tuez-vous ? »
Elle se retourna sur le bord de sa couche.
Jamais son doux regard n’avait été si doux.
Deux ou trois questions flottèrent sur sa bouche ;
Mais, n’osant pas les faire, elle s’en vint poser
Sa tête sur la sienne et lui prit un baiser.
« Je voudrais pourtant bien te faire une demande,
Murmura-t-elle enfin : moi je n’ai pas d’argent,
Et, sitôt que j’en ai, ma mère me le prend.
Mais j’ai mon collier d’or, veux-tu que je le vende ?
Tu prendras ce qu’il vaut, et tu l’iras jouer. »

Rolla lui répondit par un léger sourire.

Il prit un flacon noir qu’il vida sans rien dire ;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n’était déjà plus qu’un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.



Gervex Henri, Rolla, 1878, présenté au salon de 1878, retiré sous prétexte d'immoralité.
Portail des Collections des Musées de France.

Le poète est inhumé à Paris, au cimetière du Père Lachaise, où son monument funéraire se dresse avenue principale.



Sur la pierre sont gravés les six octosyllabes de son élégie " Lucie ":

Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
J’aime son feuillage éploré ;
La pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
À la terre où je dormirai.

et sur la face arrière, le poème " Rappelle-toi ":

Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon coeur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s'ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Écoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi.



samedi 18 mai 2013

***

Cet après-midi en ville :

De nombreux touristes.
Un mariage. Les cloches de la cathédrale retentissaient dans l'allégresse et attiraient les badauds.

Dans les ruelles,

 ... entendu une femme au téléphone : 
- Je suis devant la pharmacie.
- Non il n'y était pas.
- Je vais voir si je le trouve à la librairie.
- Ouiiiiiiiiiii, je ramènerai une baguette.

... croisé deux "dames", l'une dit :
- On va prendre un café, on ira aux cabinets (0_0).

Emprunté à la médiathèque deux DVD dont un double, de Kijû Yoshida :
- Passion ardente et Amours dans la neige

"Les chants désespérés sont les chants les plus beaux"

Souvenir

J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
O la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !

Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu'une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?

Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m'enlaçait.

Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
A bercé mes beaux jours.

Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m'attendiez-vous pas ?

Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un coeur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !

[...]

Alfred de Musset, extrait.






vendredi 17 mai 2013

jeudi 16 mai 2013

Vertigineux

Les dizaines de millions coulent pour Jackson Pollock

Jackson Pollock s’est arraché à cette vente record de Christie’s. (AFP)

Jackson Pollock s’est arraché à cette vente record de Christie’s. (AFP)
Une vente aux enchères d’une série d’œuvres d’art contemporain, dont un tableau de l’Américain Jackson Pollock, a franchi un record mondial historique mercredi soir chez Christie’s à New York, avec la somme fabuleuse de près d’un demi-milliard de dollars (quelque 388 millions d’euros), a annoncé la célèbre société britannique.
«C’est la vente aux enchères la plus élevée de l’histoire» dans le domaine de l’art, s’est enthousiasmé Brett Gorvy, le chef du département de l’art d’après-guerre et contemporain chez Christie’s, estimant que ce record illustre l’entrée dans une «nouvelle ère sur le marché de l’art, où les collectionneurs chevronnés et les nouveaux enchérisseurs rivalisent au plus haut niveau, dans le cadre d’un marché mondial».
En deuxième position derrière le tableau de Jackson Pollock, une œuvre de Jean-Michel Basquiat a été vendue à 48,8 millions de dollars.

Number 19, 1948, de Jackson Pollock,
58 millions de dollars!



est caractéristique de la technique dite du dripping que l’artiste a beaucoup employée et qui consiste à faire s’écouler la peinture sur la toile depuis un récipient percé.
Estimée entre 25 et 35 millions de dollars, la toile a finalement été cédée à un nouveau prix record pour l’artiste dans une vente aux enchères, même si certaines de ses toiles sont réputées avoir été échangées à des prix encore plus élevés dans des transactions privées.

Dustheads, (1982) de Jean-Michel Basquiat, 
49 millions de dollars!


a quant à elle trouvé preneur à la somme record de 48,8 millions de dollars, là encore bien au-delà de l’estimation de 25 à 35 millions.
Ces ventes record chez Christie’s surviennent au lendemain d’une vente record chez son rival Sotheby’s, qui a vu attribuer une œuvre du peintre américain Barnett Newman, Onement VI, pour 43,84 millions de dollars, et une autre de Gerhard Richter pour 37,1 millions – le plus haut prix jamais attribué pour une œuvre d’un artiste vivant.


Barnett Newman, Onement VI 1953
44 millions de dollars!


"Barnett Newman ne remporta pas un grand succès comme artiste pendant la plus grande partie de sa vie, étant éclipsé par des personnages hauts en couleurs comme Jackson Pollock. L'influent critique Clement Greenberg écrivit sur lui des papiers enthousiastes, mais ce n'est pas avant la fin de sa vie qu'on commença à le considérer sérieusement. Il influença néanmoins de nombreux jeunes peintres.
Newman est mort à New York d'une crise cardiaque en 1970."
(Il avait 65 ans)
Source Wikipédia.



mercredi 15 mai 2013

Mercredi 15 mai.

10 h. J'écoute Alain Vestein en podcast, invité : Nicolas Grimaldi, Les théorèmes du moi.
11h. Dépoussiérage, balayage. j'écoute Fidelio de Beethoven. Je rajeunis de 30? de 40? ans en revenant à mes premières amours musicales. Allégresse.

J'ai toujours assez de force pour t'envoyer au paradis

Vu hier soir :

PROMESSE (DVD) de Kijû Yoshida, 1986.

Yoshio Morimoto vit dans les nouveaux quartiers  de Tamashi, dans la banlieue de Tokyo, avec ses parents, sa femme et ses deux enfants. Un matin, le corps de sa mère, Tatsu, est retrouvé sans vie. Lorsque l'inspecteur en charge de l'enquête en vient à se demander s'il ne s'agit pas d'un meurtre, Ryôsaku, le mari de Tatsu, se désigne comme coupable...





"En faisant ce film sur l'euthanasie des personnes âgées dans une société vieillissante, je n'avais pas pour objectif d'en questionner le bien-fondé. L'image récurrente de l'eau, cette eau sans cesse changeante, entendait ainsi refléter la petite existence ignorante des hommes, incapables de connaître même leur propre mort."
Kijû Yoshida













 Captures d'écran

Ce film date de 1986. Le thème de l'euthanasie était alors un sujet bien plus tabou qu'aujourd'hui et Kijû Yoshida l'aborde de façon très crue(lle) du moins dans son geste final. L'euthanasie aujourd'hui peut être abordée de manière plus "douce" si j'ose dire. Oui, j'ose le dire, de plus c'est la définition même du mot euthanasie : mort douce. Or ici, le geste est violent. D'où pour moi, l'importance de légaliser l'euthanasie pour ne pas laisser la personne se suicider, avec des moyens barbares.  Un film beau et fort... pour âme forte et, aguerrie.

"Lorsque le plus bergmanien des cinéastes japonais aborde le thème de la vieillesse et de la disparition, il le fait avec un tel aplomb qu’il offre l’un des portraits les plus saisissants de la "mort au travail". Crument. Sans artifice. La découverte de la mort de Tatsu Morimoto par la police, soupçonnant son mari Ryosaku d’avoir mis fin à ses jours, nous conduit quelques années en arrière dans la vie d’un vieux couple que le temps a rongé lentement et que la sénilité atteint progressivement. Certes, Yoshida n’a jamais brillé par un optimisme béat, mais, à l’opposé de Kurosawa qui dans ses dernières œuvres abordait la mort avec sérénité, sa vision reflète la peur et le désespoir, l’horreur de la fin de vie. Troublante coïncidence, ce sera cette même Sachiko Murase, la Tatsu de Promesse qui incarnera la magnifique vieille dame de Rhapsodie en Août cinq ans après. Ici, pas de recueillement, pas d’acceptation stoïque, mais un sentiment de panique croissant, de l'appréhension individuelle au cauchemar des chambres d’hôpital hantées par des séniles se chamaillant, ou répétant en riant à l’envi des « je veux mourir ». Le couple Morimoto vit ses dernières années d’amour fou dans une douleur intense, faite d’escarres, d’incontinence et de maladie d’Alzheimer. Ils retournent tous deux en enfance, perdent la mémoire, mais conservent intacts jusqu’au bout leurs sentiments sublimes et déchirants. Toute certitude s’évanouit dans l’angoisse de la dislocation. 

Le moi disparaît dans un brouillard ou la conscience de l’autre et de soi menace de s’éteindre d’un instant à l’autre, s’efface du monde, non pas dans une forme de sérénité, mais dans l’horrible conscience de sa dislocation. Tout n’est que souvenir pour les Morimoto. La vie est derrière eux. « Laisse moi mourir, je t’en prie » supplie Tatsu à son mari. Promesse aborde frontalement la dégradation des corps, le sentiment de dégénérescence inéluctable. Yoshida rend ouvertement hommage aux horloges sans aiguilles des Fraises Sauvages - autre grande œuvre sur le vieillissement, mais c’est plus encore de Cris et Chuchotements qu’on pourrait rapprocher Promesse. Il s’attache pareillement à observer la lenteur d’une agonie contaminant progressivement tout l’entourage, bouleversant son fonctionnement quotidien et mettant en évidence toutes les failles morales, les non-dits, le dysfonctionnement familial."

Olivier Rossignot, Culturopoing.com

Lire la suite ici (une belle et complète analyse)

dimanche 12 mai 2013

"... arriver un beau jour à l'extase du non effort"


Jacques Plassan, sans titre.




[...]

[...] ça devient plus ou moins
une représentation une expression
de mon propre mythe
de ma mythologie existentielle
incluant la pensée consciente et l'inconscient
et tous les moyens du bord pour activer
l'intuition et l'imagination
et l'inspiration si chère si rare
quand la volonté par chance est là où alors
la forcer à coups de bâton à coups de fouet s'il le faut
afin d'arriver un beau jour à l'extase du non effort
car la page blanche comme le néant
non ! cela ne doit pas exister !

samedi 11 mai 2013

Faire crédit à l'imagination du lecteur : Ô oui!



Lutte de Jacob avec l’Ange (détail), Eugène Delacroix, 1855 -1861. 
Peinture à l’huile et cire sur enduit, Paris, Eglise Saint Sulpice.

"Édouard somnole; ses pensées insensiblement prennent un autre cours. Il se demande s'il aurait deviné, à la seule lecture de la lettre de Laura, qu'elle a les cheveux noirs? Il se dit que les romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages, gênent plutôt l'imagination qu'ils ne la servent et qu'ils devraient laisser chaque lecteur se représenter chacun de ceux-ci comme il lui plaît. Il songe au roman qu'il prépare, qui ne doit ressembler à rien de ce qu'il a écrit jusqu'alors. Il n'est pas assuré que Les Faux-Monnayeurs soit un bon titre. Il a eu tort de l'annoncer. Absurde, cette coutume d'indiquer les "en préparation" afin d'allécher les lecteurs. Cela n'allèche personne et cela vous lie... Il n'est pas assuré non plus que le sujet soit très bon. Il y pense sans cesse et depuis longtemps mais il n'en a pas écrit encore une ligne. Par contre, il transcrit sur un carnet ses notes et ses réflexions.
Il sort de sa valise ce carnet. De sa poche, il sort un stylo. Il écrit :

"Dépouiller le roman de tous les éléments qui n'appartiennent pas spécifiquement au roman. De même que la photographie, naguère, débarrassa la peinture du souci de certaines exactitudes, le photographe nettoiera sans doute demain le roman de ses dialogues rapportés, dont le réaliste souvent se fait gloire. Les événements extérieurs, les accidents, les traumatismes, appartiennent au cinéma; il sied que le roman les lui laisse. Même la description des personnages ne me paraît point appartenir proprement au genre. Oui, vraiment, il ne me paraît pas que le roman pur (et en art, comme partout, la pureté seule m'importe) ait à s'en occuper. Non plus que le fait le drame. Et qu'on ne vienne point dire que le dramaturge ne décrit pas ses personnages parce que le spectateur est appelé à les voir portés tout vivants sur la scène; car combien de fois n'avons-nous pas été gênés au théâtre, par l'acteur, et souffert de ce qu'il ressemblât si mal à celui que, sans lui, nous nous représentions si bien. - Le romancier, d'ordinaire, ne fait point suffisamment crédit à l'imagination du lecteur.""

André Gide, in Les Faux-Monnayeurs, éditions Gallimard, collection Folioplus classiques, 2008.

"Dans Folioplus classiques, le texte intégral, enrichi d'une lecture d'image, écho pictural de l'oeuvre (ici La lutte de Jacob avec l'ange), est suivi de sa mise en perspective organisée en six points :

. Mouvement littéraire : La crise du roman
. Genre et registre : Le roman à l'épreuve du miroir
. L'écrivain à sa table de travail : Un roman carrefour
. Groupement de textes : La mise en abyme
. Chronologie : André Gide et son temps
. Fiche : Des pistes pour rendre compte de sa lecture"

4e de couverture

Comme je l'écrivais précédemment, je n'ai pas l'impression de lire un roman mais un essai autobiographique et c'est pour cela qu'il me passionne. Pourtant Gide réfute toute identification avec ce personnage (Édouard) et il écrit dans son Journal, le 20 octobre 1929 :

"Je n'ai jamais pu inventer." C'est par une telle phrase du journal d’Édouard que je pensais le mieux me séparer d’Édouard, le distinguer... Et c'est de cette phrase au contraire que l'on se sert pour prouver que, "incapable d'invention" c'est moi que j'ai peint dans Édouard et que je ne suis pas romancier."

(Mais il précise) :

"Il entre, dans chacune de ses réflexions ce léger biais qui fait que c'est Édouard qui la pense, et non moi. A mon avis, je dirai même que l'indice de réfraction m'importe plus que la chose réfractée. Et je ne puis imaginer un individu sans biais; mais ce qui me gêne (et me sert) c'est que tour à tour, ou simultanément, je les ai tous. Allez donc faire comprendre et admettre cela aux critiques!!"

François Mauriac dans son propre Journal en 1939 écrivait :

"Nul doute que ne soit très grande dans ce "roman" la part du journal authentique. [...] Tout ce que Gide m'a avoué, je le retrouve ici, à peine transposé. Ce sont les mêmes termes, bien souvent, que ceux entendus de sa bouche..."

vendredi 10 mai 2013

jeudi 9 mai 2013

"Il y a l'amour, l'amour et encore l'amour"

Prétendantes :
Les vrais prétendants font défaut, les prétendantes ne m’enchantent guère. Je n’écoute pas les chansons de Carla Bruni, les critiques littéraires de Valérie Trierweiler, dans Match, me semblent très grises, les chichis bourgeois de NKM me débranchent, Dati me paraît datée, Pécresse rabâche, Duflot me crispe, Batho m’endort, Bachelot ne me fait pas rire, Taubira grossit, Filippetti m’ennuie, Hidalgo m’assoupit. Marine Le Pen est peut-être une bonne cuisinière (son compagnon a l’air bien nourri), mais son commissaire politique aux lèvres minces, Florian Philippot, est blême à faire peur. Pas de doute, c’est un Jacobin, il rétablirait la guillotine. Pourvu que le bon vieux Juppé, le meilleur de tous, soit réélu à Bordeaux ! C’est toujours à Bordeaux qu’il faut aller quand la France dérape.

Amour :
Christiane Taubira parle d’amour comme personne. Elle est transportée, transportante, transvasante. Enfin une femme politique qui ne craint pas de faire sans arrêt des citations poétiques et philosophiques ! Vous me direz que ses références sont disparates, mais ça n’a aucune importance. Il y a l’amour, l’amour, et encore l’amour. Elle annonce le temps des cerises, le retour des gais rossignols et des merles moqueurs. Je la serre dans mes bras reconnaissants, je sens que je pourrais vivre avec elle d’amour et d’eau fraîche.

Philippe Sollers,  Chroniques du Point.

Jeudi de l'Ascension! Où vais-je grimper aujourd'hui? Aux rideaux? Tsss! Sur mon escabeau? Pfff!


L'autre jour je lisais un passage du Journal d’Édouard dans Les Faux-Monnayeurs : quelques réflexions sur le "roman". Passionnant ce livre de André Gide, que je considère plutôt comme un Essai autobiographique que comme un roman.
Zut, on sonne à ma porte...

Bon, pas le temps de transcrire ce passage... A suivre.