mardi 30 octobre 2012

"Loin de ma table je suis stupide, l'encre est mon élément naturel"




Croisset, mardi, minuit
18 avril 1854.

[...]
J'ai lu, relu (et je les ai là sous les yeux) tes deux dernières pièces de vers, sur lesquelles il y a beaucoup à dire. - Les bons vers abondent. Mais, encore une fois, je ne t'en sais pas gré. Les bons vers ne font pas les bonnes pièces. - Ce qui fait l'excellence d'une oeuvre, c'est sa conception, son intensité. - Et, en vers surtout, qui est l'instrument précis par excellence, il faut que la pensée soit tassée sur elle-même. Or, je trouve la pièce A ma fille lâche de sentiment. C'est là ce que que toutes les mères eussent dit, et à peu près de la même manière, poésie à part, bien entendu. Commençons :
La 1re strophe, sauf le 1er vers, me semble très bonne, surtout le dernier vers qui est excellent. Mais remarque : que de répétitions dans les cinq strophes qui suivent. C'est toujours sur ou sous. La pensée est divisée en petites phrases pareilles. Et c'est sans cesse la même tournure de style.
La 2e strophe, du reste, me plaît assez, quoique moins bonne que l'autre.

Tes cheveux dorés caressent ton front

caressent, expression consacrée.

Sur ta joue il luit

désagréable à l'oreille.
Les deux vers qui suivent, charmants, mais il eût fallu les mieux amener par quelque chose de plus large, à propos des cils, et qui aurait fait un pendant plus exact à "un pli de la nuit" :

Sur ta bouche rose...

Voilà trois strophes qui commencent de même :

Sur ton oreiller...
Sur tes longs cils...
Sur ta bouche...

Ils sont du reste très bons ces deux vers :

Sur ta bouche...
Ton souffle...

Mais, dans les deux qui suivent, l'inversion est trop forte. Sois sûre que la pensée ne gagne rien à ces tournures poétiques.
Quant à la strophe "De ton joli...", je la trouve ATROCE! de toute façon.

De ton joli corps sous ta couverture

est obscène, et hors du sentiment de la pièce. "Couverture" est ignoble de réalité, outre que le mot est laid en soi. Le sentiment était :

Ton visage rit sur la toile blanche,

mais cela est tout bonnement cochon, surtout avec la suite :

Plus souple apparaît le contour charmant;

Et puis, qu'est-ce que vient faire là le Parthénon, l'Antiquité et la "frise pure" si près de la "couverture"? - Et d'abord un enfant n'a pas les formes si saillantes qu'on les voie ainsi sous une couverture, et comme les filles du Parthénon dont les seins font bosse. - Cela est complètement faux de sentiment et d'expression. Il y a ici une chair qui n'est pas du tout à sa place.

Et, pour les rouvrir tu baises mes yeux,

Superbe!

Nous mêlons nos soins, tendre tu m'habilles,

que signifie "mêler des soins"? et cette tournure archi-prétentieuse "tendre, tu m'habilles"? et quelle vulgarité dans ce "tu m'habilles"! Notez que nous avons plus bas "ta tête d'ange".

Et des frais tissus chers aux jeunes filles,

école de Delille. Au reste, il y a beaucoup de rococo dans cette pièce :

Tu t'assieds parfois rêveuse au piano...
Je pose une fleur sur ta tête d'ange.

Nous allons au bal, un ange qui va au bal et qui a un port virginal ("port" comporte par lui-même une idée de maturité). Je trouve toute cette seconde page fort plate :

Auprès du foyer tu brodes, je couds...
Tu danses, tu ris,

est-ce de la poésie cela? à quoi bon faire des vers pour de pareilles trivialités? Les morts qui reviennent sont fort embêtants. Cela n'est pas ému, parce que ça tient trop peu de place dans l'économie de la pièce. Il ne faut pas ménager la sensibilité du lecteur quand on la touche. - Et puis voilà encore des détails de beauté qui reviennent :

Avec ton front poli comme un marbre...
Une jeune fille est comme un arbre...

c'est trop. Si elle a le front comme un marbre, elle ne peut être, elle, "comme un arbre".

[...]

L'orage, pour dire le malheur, a été dit par tout le monde, et puis, le pire de tout cela et ce qui m'irrite, ce qui fait que je ne suis peut-être pas impartial, c'est le sujet. Je hais les pièces de vers à ma fille, à mon père, à ma mère, à ma soeur. Ce sont des prostitutions qui me scandalisent (voir Le Livre posthume). Laissez donc votre coeur et votre famille de côté et ne les détaillez pas au public! - Qu'est-ce que cela dit tout cela? qu'est-ce que ça a de beau, de bon, d'utile et, je dirai même, de vrai? Il faut couper court avec la queue lamartinienne, et faire de l'art impersonnel. Ou bien, quand on fait du lyrisme individuel, il faut qu'il soit étrange, désordonné, tellement intense enfin que cela devienne une création. Mais quant à dire faiblement ce que le monde sent faiblement, non.
Pourquoi donc reviens-tu toujours à toi? Tu te portes malheur. Tu as fait dans ta vie une oeuvre de génie (une oeuvre qui fait pleurer, note-le) parce que tu t'es oubliée, que tu t'es souciée des passions des autres et non des tiennes.
Il faut s'inspirer de l'âme de l'humanité et non de la sienne. C'est comme le sonnet A la gloire. Cela n'est pas lisible et le lecteur s'indignera toujours de la supériorité que l'auteur se reconnaît.

[...]

Si tu as ton prix, travaille ta Servante tranquillement. - Et mets-toi de suite, sans t'inquiéter de rien, à tes autres contes et publie tout en masse. Il faut toujours employer les grosses artilleries. - Il ne faut pas donner ainsi son sang goutte à goutte. Songe à ce que serait la publication de six bons contes en vers, bien différents de forme et de fond, et reliés par une pensée et un titre commun. Cela serait imposant d'aspect, à part la valeur du contenu.
[...]
A toi, je t'embrasse.

Ton G.

Gustave Flaubert, in Lettres à Louise Colet.

dimanche 28 octobre 2012

S.F.C.D.T.

S'arrêter de s'activer. Se poser. Juste écouter Glenn Gould jouer du piano. Essayer de trouver de la légèreté à la solitude pesante. Ne pas la fuir. Ne pas s'imposer de programme pour l'occulter. Apprendre à vivre avec. Apprendre à ne rien faire, dans le silence.
Je sais le faire. J'ai appris.
Mais je me mets à penser. A penser à ceux que j'aime. Je voudrais que jamais ils ne soient seuls, que jamais ils ne subissent la solitude.
L'apprentissage est si long. Ne pas désespérer d'y arriver.

Ces pensées me viennent alors que je prends un bain de pieds avant de me couper les ongles. Eh oui! personne n'échappe à la trivialité du quotidien. De mon canapé, les pieds dans l'eau chaude, j'écoute le Concerto italien de Bach par Glenn Gould. Je regarde la terrasse inondée de soleil, l'ombre des plantes sur le mur, les oiseaux qui se nichent dans les ouvertures du clocher de l'église. Un seul nuage dans le ciel bleu, il avance au rythme des doigts du pianiste sur le clavier.

Puis, les pas de mon voisin du dessus viennent troubler ma rêverie. Il a fait la grasse matinée. Les cloches qui sonnent l'heure de la messe ont dû le réveiller.
J'éponge mes pieds et je vais mettre un autre CD dans le lecteur. Je coupe mes ongles. J'ai mal au dos. Mon voisin passe l'aspirateur, j'augmente le son avec la télécommande. La voix de Callas couvre le bruit. Je ne sais pas pourquoi en cet instant je repense à ces mots entendus hier dans l'émission sur Stendhal que celui-ci écrivit un jour... : "SFCDT : Se Foutre Carrément de Tout".

“NICHT MEHR NEAPEL”.
IMPORTANT EXEMPLAIRE ANNOTE par STENDHAL QUI VOYAIT EN MADAME DE STAEL : “LE PREMIER TALENT DU SIECLE”. SECONDE EDITION.

Stendhal fut l’un des premiers acquéreurs de De l’Allemagne, dix jours avant que l’ouvrage ne soit annoncé dans la Bibliographie de la France. Le 23 mai 1814, il écrit à sa soeur Pauline, alors dans le Dauphiné :

Je t’ai envoyé le troisième volume de Mme de Staël. J’ai eu la bêtise de prêter les deux premiers. Sitôt qu’ils rentreront, tu les auras. C’est bon à lire en province. Malgré une enflure exécrable, il y a des idées, surtout sur les moeurs des dames allemandes ... Rappelle-toi ce que j’écrivis sur ta cheminée en te quittant à Thuellin : M.F.T. [Me Foutre de Tout]. Après avoir lu Mme de Staël, fait la passer à M. Plana à Turin, par la poste ... Ne le garde pas longtemps ... cet exemplaire courra tout Milan.

samedi 27 octobre 2012

Journal

Vu hier soir : Dans la maison, de François Ozon. Excellent. Entre fantasme et réalité, j'ai adoré.






"Un professeur qui aurait aimé être un artiste (Fabrice Luchini) et un lycéen plein d'imagination (Ernst Umhauer)* s'affrontent sur le terrain de la fiction dans cette comédie noire étourdissante."
Le Monde
* (Ernst Umhauer est pressenti pour une nomination au César du meilleur espoir masculin).

Ce matin, petit déjeuner tardif, je suis déjà à l'heure d'hiver. Difficile d'avaler mes toasts en écoutant Alain Badiou dans Répliques. Vite, brisons là et écoutons du Bach pour commencer la journée.
Puis à 10 heures, passer de (l'ennuyeux) Alain Badiou à Stendhal avec Charles Sigel dans L'humeur vagabonde, c'est un enchantement.
"Stendhal, c’est un mouvement. C’est une plume. Qui avance. Nulla dies sine linea. C’est la vivacité incarnée. Le primesaut, l’impromptu."

Déjà midi, je n'ai pas encore pris le temps de regarder le ciel d'un bleu sans tâche, j'ouvre la porte-fenêtre, l'air est vif, sec, la lumière crue, le vent cinglant; enfin un temps frisquet qui me réjouit. Stendhal m'a donné envie d'écouter Don Giovanni. (Je pense à lui...).

jeudi 25 octobre 2012

***

Bonheur du jour.

***

Photos du jour... les années se suivent et se ressemblent à l'automne.



J'avais repéré à la jumelle une colonie de champignons sous un vieux chêne,
des lycoperdons,
ces vesses-de-loup que nous nous amusions à presser comme des poires
pour en faire jaillir un petit nuage de poussière brune.

Michel Tournier, Les Météores.






Il en est des poètes, des peintres et des musiciens,
comme des champignons : 
pour un bon, dix mille mauvais.

Proverbe chinois.

mercredi 24 octobre 2012

***


"Parfois, je prends le bras de cette petite vieille aux cheveux jaunes tirés en chignon, aux dents rares, toute ratatinée et flétrie, enveloppée de noir, extrêmement vacillante, nous faisons quelques pas dans la ville, mais c’est décidément devenu trop pénible, trop périlleux, et bientôt elle me ramène chez moi et me couche dans mon lit."

Eric Chevillard, L'autofictif.

("Penser à" lire ce blog chaque matin quand le vague à l'âme s'installe).







mardi 23 octobre 2012

La mer, ma consolation


(La publicité c'est un viol)
[...]
La mer est ton miroir, tu comtemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
[...]
Baudelaire, Les Fleurs du Mal.

dimanche 21 octobre 2012

Mirages...

Je l'ai croisée hier... nous étions deux, solitaires.






"Ne peut être beau que ce qui est grave."

"Dans tout l’univers ne peut être immuable que l’esprit."

"Lorsqu’on n’a pas de vie véritable,
on la remplace par des mirages."

Anton Tchekhov, La Mouette.

vendredi 19 octobre 2012

Merveilleuse Sagan

L'étranger

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? Ton père, ta mère, ta soeur, ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers déesse et immortelle.
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! Qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

Charles Baudelaire
(Poèmes en prose)

=0=0=0=

Je regardais le ciel rempli de nuages ce matin et il me vint l'idée de relire quelques pages du livre de Françoise Sagan que j'avais dû lire il y a bien trente ans : Les merveilleux nuages.  En exergue de l'ouvrage, ce poème de Baudelaire.

Il faut absolument regarder cette vidéo et écouter sa définition de ce qu'est un livre!



Françoise Sagan à propos de son livre "Les Merveilleux nuages"
Lectures pour tous - 12/07/1961 - 08min55s

"Il faisait un vent affreux qui cassait les branches des arbres, les soulevait une minute, libres, transfigurées, avant de les laisser retomber sur le sol et de les y rouler, dans la poussière, l’herbe ratatinée et finalement la boue où elles s’enlisaient définitivement. Josée, devant la porte, regardait la pelouse, les champs jaunâtres et les marronniers affolés. Une grande branche se détacha brusquement du tronc avec un gémissement aigu, fit un bond en l’air, toutes les feuilles rabattues par le vent, et retomba aux pieds de Josée. « Icare », dit-elle, et elle la ramassa. Il faisait froid. Elle rentra dans la maison, monta jusqu’à sa chambre. C’était une pièce carrelée, sans meubles, sauf une table couverte de journaux et une énorme armoire. Elle posa la branche sur son lit, la racine sur l’oreiller et l’admira une seconde. Elle était froissée, convulsée, jaunie, elle ressemblait à une mouette abattue, à une gerbe de cimetière, elle était l’image même de la désolation.
Depuis quinze jours qu’elle vivait là, dans cette campagne normande, ravagée par un automne violent, elle n’avait rien fait. Dès son arrivée à Paris, elle avait loué à une agence trop contente cette vieille maison isolée, comme elle en aurait loué une en Touraine ou dans le Limousin. Elle n’avait prévenu personne. Elle avait voulu se ressaisir et elle trouvait à présent ce mot piquant. Il n’y avait rien à ressaisir, et surtout pas elle-même. Elle avait dû lire ce verbe dans trop de romans. Ici, il y avait le vent qui saisissait tout et relâchait tout, il y avait l’agrément du feu le soir dans la cheminée, de tous les parfums de la terre et de la solitude. Bref, la campagne. Mais il avait fallu qu’elle fût encore bien jeune, ou bien livresque, pour imaginer si délicieusement dans l’avion du retour une maison de campagne où reconstruire sa vie, se rebâtir. Rien n’était démoli, rien n’avait été perdu, pas même le temps, et il lui fallait bien admettre cette inviolabilité de son esprit, cet équilibre de son corps malgré tous les regrets et toutes les réminiscences déchirantes de sa mémoire. Elle pouvait rester ici longtemps, quitte à s’ennuyer. Ou rentrer à Paris et recommencer. Recommencer à chercher ce fruit dont parlait Alan, ou un certain confort, ou à travailler, ou à s’amuser. Elle pouvait aussi aller se promener dans le vent, ou poser un disque sur le pick-up, ou lire. Elle était libre. Ce n’était pas désagréable, ce n’était pas exaltant. C’était simplement cet optimisme inattaquable qui était le seul élément constant de son caractère.
Elle ne se rappelait pas avoir jamais été désespérée. Simplement déprimée parfois jusqu’à l’abrutissement. Elle se rappelait avoir sangloté sur un chat mort, son vieux siamois, mort du typhus, il devait y avoir quatre ans de cela. Elle se rappelait les secousses violentes de son chagrin, l’espèce de raclement affreux en elle-même qui amenait ses larmes. Elle se rappelait avoir évoqué complaisamment les mimiques du chat, ses sommeils devant le feu, sa confiance. Oui, c’était bien là le pire : la disparition de quelqu’un qui ait entière confiance en vous, qui vous ait remis sa vie. Il ne devait pas être supportable de perdre un enfant. Il devait l’être plus de perdre un mari jaloux. Alan… que faisait-il ? Rôdait-il dans New York de bar en bar ? Ou se rendait-il chez son psychiatre tous les jours, la main dans la main de sa mère ? Ou, plus simplement, dormait-il avec une petite Américaine compatissante ? Rien de tout cela ne la satisfait. Elle aurait voulu savoir.
[…]
Le chien grattait à la porte. C’était le chien de la ferme, il l’aimait et passait des heures la tête sur ses genoux. Malheureusement, il bavait un peu. Elle lui ouvrit et, par la fenêtre du corridor, aperçut le facteur. C’était la première fois qu’il venait.
Le télégramme disait : « T’attends d’urgence Paris. Tendresses. Bernard. » Elle s’assit sur son lit, caressa la branche morte, distraitement, pensa une seconde qu’elle se ferait faire un manteau de la même couleur. Le chien la regardait."

François Sagan, in Les merveilleux nuages, éditions Julliard, 1961.

Après avoir lu ce texte, je cherchais une vidéo qui pourrait refléter l'ambiance, l'état d'âme de la narratrice et je trouvais que celle-ci s'en approchait.
Elle y parle aussi des Merveilleux nuages... presque vingt ans plus tard mais surtout de son amour pour les animaux.


Françoise Sagan : bonjour tendresse
30 millions d'amis - 06/01/1979 - 07min05s

jeudi 18 octobre 2012

JE NE VOUS AIME PAS (2)

"... qui ne médit jamais des femmes ne les aime pas. Parce que pour les comprendre et les aimer il faut avoir souffert par leur faute ; alors, alors seulement, on découvre le bonheur sur les lèvres d’une belle amoureuse.
[...]
C’est quoi un baiser? Pas autre chose que le désir de se perdre dans l’âme de la femme qu’on aime."

Casanova.

C'est quoi aimer? C'est lui dire : JE NE VOUS AIME PAS...



 "de l'importance de mon amitié, qui est devenue mon amour"

(Erreur fatale...)




mardi 16 octobre 2012

***

Il fallait que je profite d'une journée ensoleillée après ces derniers jours pluvieux. Je n'avais pas le courage de finir mes vitres et, j'avais envie de taper dans la balle pour vérifier que mon score de la semaine dernière n'était pas seulement un miracle.
The old lady était là, elle me devançait sur le parcours. Je ralentissais mon jeu pour ne pas la talonner; je sais qu'elle préfère jouer seule. Nombreux sont les golfeurs qui aiment jouer seuls plutôt que d'être accompagnés de partenaires pénibles. Heureusement, ils ne le sont pas tous.
90 ans et les gambettes alertes! La voilà dans le bunker, elle en sortira après trois coups, qu'importe. Elle prend l'air, marche, se fait plaisir, fait travailler ses articulations qui, ma foi, ont l'air bien huilées. Admiration!



The old lady me laisse passer au trou suivant. Tant mieux, ainsi elle marchera selon son rythme qui est tout de même exceptionnel pour son âge. Je sentais qu'elle se pressait pour ne pas me faire attendre. Arrivée à sa hauteur, je lui serre la main et lui demande - par politesse - si elle préfère continuer seule. Je connaissais la réponse. Nous nous souhaitons une bonne partie...
J'ai retrouvé mes sensations pour le petit jeu après des semaines de galère. Le miracle s'est reproduit, tout va bien! 

De retour à la maison je poursuis ma lecture : Flaubert, Lettres à Louise Colet. Quel régal! Je remercie Didier da Silva dont l'extrait dans son blog m'a procuré "une joie profonde et large" et donné l'envie de lire cette correspondance. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à avoir été enthousiasmée, François Matton y est allé de sa plume experte et jubilatoire.

dimanche 14 octobre 2012

L'homme ivre c'est celui qui s'émerveille de ce dont on se fiche

Un ciel sans nuages serait si monotone, je contemple celui-ci, changeant au fil des heures... Ici le vent chasse les nuages rapidement, en quelques secondes le soleil pénètre dans votre maison et l'emplit de sa lumière, de sa chaleur.


Je regardais alors mes vitres crasseuses dans cette lumière. Je me décidais pour le nettoyage, je commencerai par une fenêtre. J'allumais la radio, c'était l'heure du Gai Savoir. Je retrouvais Raphaël Enthoven; en l'écoutant je comprenais pourquoi j'étais moins passionnée par les NCC; parce qu'il n'est plus là. Quel plaisir de l'entendre!  Aujourd'hui,  son "chouchou" Clément Rosset était à l'honneur, pour son ouvrage : Le réel et son double.


"À en croire Clément Rosset, les humains partagent tous le rêve d’un « double » de la réalité, un rival du réel, que les hommes s’inventent, au quotidien, pour survivre dans un monde qui se moque, à vrai dire, de ce qu’ils sont comme de ce qu’ils y font. De sorte que la condition humaine lui semble une tragi-comédie dont les protagonistes ne cessent de fuir ce qui est pour vénérer ce qui n’est pas. C’est en général au philosophe qu’on reproche de voir midi à quatorze heures, de se prendre la tête, ou de dire en plusieurs livres ce qui tient en quelques phrases ; or, ce que montre Clément Rosset, dans des ouvrages brefs, clairs et désopilants, c’est que tout le monde voit double, et qu’il est beaucoup plus facile de se compliquer la vie, que de regarder, simplement, ce qu’on a sous les yeux."

R. Enthoven a le don des exemples concrets pour expliquer les pensées les plus abstraites. Il nous explique pourquoi Rosset est le philosophe de l'ivresse.

"Rosset nous dit que la différence entre l'homme sobre et l'homme ivre c'est que l'homme ivre sait qu'il est ivre. L'homme ivre sait qu'il délire alors que l'homme sobre croit qu'il est raisonnable, croit qu'il parle sérieusement, croit qu'il ne délire pas. Donc entre celui qui sait qu'il délire et celui qui croit qu'il ne délire pas, c'est celui qui délire qui a gagné en lucidité. De sorte que l'ivresse est un gain de lucidité aux yeux de Rosset. Pourquoi? Tout simplement parce que l'homme ivre, l'ivrogne, c'est celui qui s'intéresse à des trucs dont on se fiche complètement vous et moi. L'homme ivre c'est celui qui s'émerveille de ce dont on se fiche."

Un autre moment intéressant de l'émission fut celui évoqué du "premier-dernier baiser", la primultime selon Vladimir Jankélévitch.

"« Primultime », terme peu courant, désigne ce qui est à la fois premier et dernier, autrement dit ce qui n’arrive qu’une fois. Ce mot, créé par le philosophe Vladimir Jankélévitch, caractérise selon lui le temps, la mémoire ou encore la musique, dont il a parlé dans ses cours de Prague et de Paris.

"Etait-ce Prague? écrit-t-il en se penchant sur les pièges de la mémoire. Etait-ce moi ? N'ai-je pas confondu mes souvenirs avec ceux d'un autre? Et il en est ainsi de tout ce qui est advenu une seule fois dans l'éternité, et puis jamais plus. Never more! Le premier-dernier baiser, la primultime rencontre. Un doute éternel enveloppera dans son linceul d'incertitude ce qui jamais ne fut réitéré".

V. Jankélévitch a aussi écrit un ouvrage : Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien." Mais là je déborde du sujet du Gai Savoir de ce jour... et je n'ai pas envie d'avoir la migraine!
"Le Presque-rien n'est pas rien, le Presque-rien est tout."


Mes vitres étaient propres, je n'avais pu faire qu'une fenêtre. Il s'est mis à pleuvoir. Je me suis installée dans mon fauteuil pour écouter Raphaël Enthoven. Il conclut l'émission le Gai Savoir par ces mots :

"Ne jamais oublier que ce qu'on sait n'est qu'une façon supplémentaire de douter.
Une philosophie qui se contenterait du savoir ne mériterait pas une heure de peine".

jeudi 11 octobre 2012

Hop! Pfuit! Tsss!

Je viens de perdre un billet qui était dans mes brouillons. Je voulais le peaufiner, j'étais dessus depuis deux jours et pfuit, une mauvaise manipulation et plus rien. Je n'ai pas le courage de recommencer à zéro. J'avais passé deux heures à la bibliothèque à consulter des livres d'art sur la Chine, à noter, photographier, ce que je trouvais beau, intéressant. J'ai encore les photos bien sûr mais je les commentais et là, je n'ai plus le courage, même de les insérer. Je ne pensais pas que la perte d'un billet en cours me dépiterait à ce point-là. Je ne vais tout de même pas pleurer. C'est la première fois que ça m'arrive en... trois ans.
Je sens qu'il me faut être de plus en plus vigilante, pour tout. Ça m'énerve. Bon tant pis. Je mets une des photos qui me parlait et avec laquelle je me sentais en communion. L'artiste musicien Li Xianting fumant et méditant sur son canapé encombré de feuillets, devant sa table couverte de boîtes à thé et d'un vrai plateau à thé, près de sa bibliothèque dans un désordre exquis dont je devrais m'inspirer. Tout est trop bien rangé chez moi.


Li Xianting est considéré comme le maître du Guqin

 Photo tirée de l'ouvrage : Artistes en Chine


Et puisque j'y suis, deux autres photos, sans commentaire. Je les aime. Tsss!


Hung Tung-lu

Ah oui! Je disais donc dans le billet disparu que
ce bouquet de fleurs était charmant
dans ce fouillis d'objets.

 Et hop, une dernière, tirée d'un autre ouvrage : L'Art chinois.
Je l'aime aussi Tsss, tsss!

Tête de Luohan - Xe XIIe siècle

Et pour poursuivre sur la Chine, le Prix Nobel de Littérature 2012 a été attribué à Mo Yan qui signifie Celui qui ne parle pas. Oui, mais il écrit!

Bref, ce billet n'a rien à voir avec celui qui a disparu... qui - lui - n'était pas nul!

samedi 6 octobre 2012

Résistant ou collabo

Vu un film/documentaire formidable sur Arte de Andrés Jarach : J'arrête.


"C’est décidé, Thomas B., fumeur impénitent, arrête la cigarette.
Le film suit le journal intime déjanté où il consigne ses états d'âme et ses réflexions philosophiques. Nous l'accompagnons dans les consultations tabacologiques où il cherche des conseils pratiques, et dans les labos où l'on teste la dépendance des rats.
En explorant avec un humour décapant ce qui l'attache encore au tabac, Thomas dédramatise l'arrêt et s'adresse à tous ses frères fumeurs encore dépendants..."


"Entretiens face caméra, confidences au dictaphone saisies au réveil et au coucher, confrontations avec amis et enfant, consultations médicales... : le réalisateur accompagne les doutes et les crises du héros en mal de tabac. À partir de ce fil narratif, le film organise une série d'allers-retours avec l'explication des mécanismes de l'addiction par un médecin, habilement mis en scène en laboratoire avec des souris - des séquences dont le ton décalé fait penser aux interventions du biologiste Henri Laborit dans Mon oncle d'Amérique, d'Alain Resnais. Le récit parcourt les différentes épreuves de l'arrêt du tabac dans le quotidien de Thomas ("Je suis très inquiet d'un truc, c'est de pas pouvoir travailler une fois que j'arrête. Si je peux pas travailler, d'ailleurs, j'arrête d'arrêter"), les changements dans ses relations sociales, la difficulté de maintenir un sens positif à cette décision. C'est un parcours subjectif, qui sans jamais prétendre valoir pour chaque histoire de fumeur, fait écho à toutes. Le film aborde sa thématique en conciliant sérieux et dérision, sans donner de leçon. Grâce à son personnage et à sa narration ironique, J'arrête dépasse le strict sujet du tabagisme pour dresser un portrait goguenard et tendre de Thomas. Par sa complicité avec son personnage, et le choix délibéré d'un ton de comédie - jusque dans son usage de procédés de fiction dans la mise en scène et le montage -, Andrés Jarach a réalisé un film réjouissant."

Une comédie documentaire qui montre qu’un film scientifique peut-être à la fois drôle et efficace.
Quelques notes relevées :

- Je suis un fumeur heureux, est-ce que je serai un non-fumeur heureux?

-  Il y a deux sortes de gens, et Sergio Leone l'a bien compris : il y a d'un côté les Mexicains, ceux qui parlent avec leurs mains, marchent pieds nus, font mendier leurs enfants sur des routes désertes et volent des poulets. Et de l'autre côté, il y a Clint Eastwood, un gars qui parle peu, mais quand il parle, c'est efficace. Si ce personnage-là voulait s'arrêter de fumer, il le ferait seul. Une décision à la Clint Eastwood, mais que Clint Eastwood ne prendrait jamais.

- Au restaurant la serveuse lui demande : côté fumeur ou non-fumeur? (Ça fait trois semaines qu'il n'a pas fumé, même  pas tiré une "taffe") et il répond : non-fumeur comme s'il allait passer à la guillotine. Il commente : c'est comme si on me demandait : Résistant ou collabo? Collabo!

- Un autre passage, Thomas lit un extrait de Dom Juan de Molière :

"SGANARELLE, tenant une tabatière : Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac: c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours."

J'avoue que ce film m'a enchantée et que le comédien* (?) est excellent; j'aurai presque envie de me remettre à fumer. Pas question de me retrouver du côté des collabos.
Avant le film, un reportage : La fumée vous dérange?
"... où les clichés contre la cigarette volent en fumée et les dangers, prouvés médicalement, de la cigarette sont intelligemment confrontés à l'obsession grandissante d'une vie toujours plus saine dans une société de plus en plus restrictive."

Aujourd'hui je l'avoue j'ai du mal à supporter la fumée, l'odeur du tabac et pourtant, souvent j'aimerais faire partie de ces fumeurs et fumeuses que je vois sur les pas de portes  des magasins et des bistrots. Je me sens solidaire. Les interdictions, on en a marre.

Dommage, il n'est pas prévu de rediffusion.

* Après vérification, il n'y aucun comédien dans la distribution.  C'est un documentaire ce n'est pas une fiction.


vendredi 5 octobre 2012

Je meurs, pleurez-moi je vous en prie

Vu ce soir Clara s'en va mourir sur Arte.

J'aurais dû lire les critiques de l'Express et du Nouvel Obs avant de perdre mon temps à regarder cette grandiloquente tragédie. Comment peut-on aborder un sujet aussi sérieux avec autant d'impudeur, d'indécence.

Quel pathos. A mourir de rire tant c'était grotesque! Elle s'appelle comment déjà l'actrice, la grande tragédienne? Jeanne Balibar. Pourtant j'adore cette actrice mais le film de Virginie Wagon. Lourd le wagon!

Au secours... sur le sujet, aller voir Quelques heures de printemps avec Hélène Vincent.

Tempête dans le cerveau

Hier soir dans La Grande Librairie :
Patrick Modiano, Jean Echenoz, Pascal Quignard par ordre d'interview.


Aucun ne m'a captivée (mais ce n'est pas un critère pour ne pas avoir envie de lire un auteur), à part Modiano toujours aussi étrange quand il s'exprime avec des phrases chaotiques qui me laissent à penser que ça doit bouillonner dans son cerveau. Je l'ai souvent dit : un écrivain ne devrait pas avoir à expliquer ce qu'il a voulu dire dans ses ouvrages. Je suis fascinée quand j'écoute Modiano, j'aime son incapacité à finir une phrase; l'a-t-il d'ailleurs commencée? J'aime qu'un écrivain ne soit pas un orateur.
Un auteur doit-il savoir parler de son texte? Je dis non! Laissons cela aux cours de littérature et de philosophie.
Je préfère un écrivain qui bafouille à un écrivain qui écrit des bafouilles.

Que Pascal Quignard ne m'ait pas captivée c'est plus étrange, je me sens pourtant proche de ses réflexions existentielles. Je lirai Les Désarçonnés.

Jean Echenoz. Je n'ai rien lu de lui, peut-être une lacune à combler...

mardi 2 octobre 2012

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Suisse.
Dehli, Ceylon et MaPalaj, les éléphants indiens du cirque national Knie, font leur traditionnelle trempette de fin d'été dans le lac Léman à Lausanne.