lundi 31 janvier 2011

Badinage et ratage

Hier soir j'ai revu le film Le déclin de l'empire américain qui nous donne une vision d'un milieu bourgeois intellectuel; il a à peine vieilli (1986) avec son regard sur les relations hommes-femmes.

"Les hommes cuisinent et s’épanchent sur leurs multiples relations sexuelles pendant que les femmes se livrent à des conversations débridées dans leur club de gym. Tous sont allés au bout d’expériences en tout genre... Après le grand déballage et la sacralisation de la liberté sexuelle, c’est l’échec de ces gens qui basaient leurs relations affectives sur le mensonge. Fin du rêve."

Je me suis dit en revoyant ce film : On ne badine pas avec l'amour! Je venais de voir la pièce de Alfred de Musset deux jours avant au théâtre, et n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement non point sur le plan sexuel mais sur celui des sentiments. On ne joue pas avec l'amour, même si l'on peut - l'on doit - inventer des jeux de l'amour.

Perdican (Emmanuel Vérité) fut magistral dans ce passage, il rattrapait le jeu de Pierre Ascaride que j'ai trouvé très ennuyeux :

"Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice crée par mon orgueil et mon ennui."
Acte 2, scène V.

dimanche 30 janvier 2011

Histoires de chiens

Quand les souvenirs ressurgissent, vagabondent mes pensées désordonnées... samedi en écoutant : Répliques

Niki, l'histoire d'un chien de Tibo Déry aux éditions Circé, 2010.
 


"L'histoire de Niki, une chienne ordinaire, et des Ancsa, un couple non moins ordinaire, est une parabole extraordinairement émouvante, - sans jamais donner dans la sensiblerie -, sur l'attention, la gentillesse et la résistance de l'amour. "- 4° de couverture

Les textes lus par Alain Finkielkraut m’auraient presque donné envie d’avoir un chien !
Il a - entre autres beaux extraits - lu la fin de l’histoire; je trouve tout de même cela dommage.

Il s’agit d’un fox-terrier et le souvenir de Diabolo, le chien de ma sœur que j’ai souvent gardé, m’est revenu. Il me donnait à chaque fois ce même sentiment dont on parlait dans l'émission : le silence du chien, qui était pour moi parfois insoutenable tant j’avais envie qu’il me parle. Tout le monde me disait "prends un chien tu te sentiras moins seule" mais à chaque fois que je gardais Diabolo, cette solitude se faisait encore plus invasive, plus vive, puisque nous ne pouvions lui et moi que nous regarder en silence et ce que j’avais envie de partager c’était bien autre chose; le langage de ses yeux ne me suffisaient pas. Le poids de ce silence et de ma solitude était à son summum lorsque je me mettais à table et qu'il me regardait. Pourtant je l’aimais, je jouais avec lui à la "ba-balle" et il s’accrochait si fermement à celle-ci quand il l'avait dans la gueule que je pouvais le soulever d’une main sans qu’il ne la lâchât. Je sentais avec acuité sa dépendance à l’homme et cela, au lieu de m'emplir de joie, me faisait penser à un fol amour que je ne pourrais lui rendre d’une façon égale, ou plutôt, je craignais terriblement de le lui rendre et de devenir si aimante avec lui qu’une séparation serait un drame.

Je me souvins aussi de la passion de Madeleine Chapsal pour son fox-terrier, elle la conta souvent dans ses romans :
"Avant de nous coucher, le rite était de promener une dernière fois Bonhomme. Il nous le rappelait, si nous avions envie de l’oublier – les jours d’averse, par exemple ! -, en s’allongeant queue contre la porte d’entrée, tête entre ses pattes tendues, surveillant nos gestes de l’œil rond et mobile qu’il tient de sa race. "Allez, on y va !" Bonhomme se dressait d’un bond, "secouait" sa peau, et se retournait, nez, cette fois, contre la porte…
J’avais pris l’habitude de laisser une serviette-éponge dans notre petite entrée carrelée pour lui essuyer soigneusement les quatre pattes au retour. Au début, surpris par ce rite, Bonhomme finit par s’y plier, comme à tout ce qui venait de nous."


Je faisais de même avec Diabolo lorsqu’il m’était confié, je vivais alors à la campagne et le soir, pour la dernière promenade, en hiver il faisait nuit, j’étais obligée de prendre une lampe avec moi ; pas un éclairage dans le hameau, ni même une lumière aux fenêtres des maison, les volets étaient déjà clos. Mon jardin, vaste, n'était pas clôturé et je ne prenais pas le risque de l'y laisser, ses instincts de chasseur auraient vite fait de l'éloigner de la maison. Je le tenais en laisse craignant qu’il ne s’échappe. Près de la chapelle l’herbe était humide et les chemins légèrement boueux. En rentrant, je faisais comme pour "Bonhomme", Diabolo se laissait essuyer et sécher les pattes sans plaisir mais sans rechigner, puis trottinait rapidement vers le salon où il s’ébrouait, s’allongeait sur le dos sur mon beau tapis et se frottait vigoureusement le dos, les pattes en l’air, avec une jouissance telle que je lui pardonnais. Il perdait ses poils et j’étais bonne pour passer une fois de plus l’aspirateur ! Puis, il grimpait sur le vieux canapé recouvert d’un plaid près de la cheminée. Il fermait les yeux et je regardais le feu ; j’attendais que les braises s’éteignent, pour aller me coucher.

"En bateau j’ai peur […] Je garde les yeux fixés sur Bernard qui tient le gouvernail de notre bateau. […]
[…]
Je tiens fermement le chien par le collier, j’ai peur qu’il décanille… Mais, habitué par son maître à la navigation, il est aux anges ! Il aboie à chaque cormoran, chaque mouette. Cherche à se jeter à l’eau, où il nage comme un phoque. Bernard accoste sur un îlot rocheux. Bonhomme aussitôt à terre, bondit faire le tour du tas de pierres. Soudain, un essaim d’oiseaux tournoie et se rapproche de nous comme un essaim de guêpes. Leur cri est un cri de guerre. Bonhomme, à notre insu […] est en train de croquer des oisillons au nid ! Nous rembarquons en catastrophe, sous l’œil noir des grands voltigeurs qui nous giflent de leurs ailes. Ils ont raison. Bonhomme est morigéné. Il s’en fiche. Quand la mer est calme, il guette les longs poissons, des bars, qui nagent à la surface, prêt à plonger à leur poursuite.


Madeleine Chapsal, in La Maison de jade, éditions Grasset, 1986.




Photos de Diabolo 1995.

Diabolo venait de la SPA, il était doux et craintif, il n'aboyait jamais. Sans doute avait-il été traumatisé par les maîtres qui l'avaient abandonné. Diabolo était le nom qui lui avait été attribué quand ma soeur l'a adopté, elle ne l'a pas changé. C'était un adorable petit chien, pas diabolique du tout. Il est mort en juin 2005. C'était la première fois que je pleurais, pour un chien.


Un autre livre que j’ai dans mes projets de lecture, Flush de Virginia Woolf, réédité en mars 2010, éditions Le bruit du temps.



"Dans son récit, l'auteur expérimente avec perspicacité la verbalisation d’émotion et de considération philosophiques par le cocker Flush. Il s'établit entre la poétesse et l'animal un lien émotionnel et spirituel qui leur permet de se comprendre mutuellement malgré la barrière linguistique qui les sépare. Pour Flush la pensée poétique se résume au sens de l’odorat, tandis que pour Elizabeth, la poésie ne peut se passer des mots. Ainsi, dans Flush V. Woolf s'intéresse aux barrières que le langage crée entre l'homme et l'animal mais qui peuvent être dépassées par des actes symboliques."
Wikipédia.

Je n’ai jamais eu d’animal, je serais devenue gaga avec un chien ou un chat et si j’avais dû en adopter un c’eût été certainement un chat (quoique c'est le chat qui adopte son maître), dont j’aime l’indépendance et la grâce.


vendredi 28 janvier 2011

La Chine, immersion


Hier soir.

Vu La couleur du mensonge tiré du roman de Philip Roth, La tache.

"Avec La tache, qui débute en pleine affaire Lewinsky, Philip Roth dresse une satire féroce des moeurs américaines. Un roman ébouriffant. Il n'y a que deux sortes de lecteurs de Philip Roth: ceux qui l'adorent et ceux qui ne l'ont pas lu. La Tache est un roman qui ravira les premiers et ouvrira aux seconds les portes de la littérature. Philip Roth confirme ce que l'on supposait: il est un écrivain hors norme, plus puissant, plus libre, plus proche de la vie à chacun de ses livres." L’Express, 2002.

Pas déçue et Anthony Hopkins était à la hauteur du rôle et complètement crédible en sexagénaire amoureux d’une jeune femme, Nicole Kidman, troublante. Pas repoussant DU TOUT le sexagénaire, je le redis : " pieds et poings liés"…
J’avais eu un peu de mal à lire le livre, beaucoup de personnages, de sujets importants (le racisme, la sexualité de l’homme vieillissant) mais en voyant le film je me le suis remémorée et j’ai aimé l’interprétation de tous les acteurs.
J’aime beaucoup les romans de Philip Roth et je me sens proche de ses questionnements existentiels.

J’ai poursuivi ma soirée avec La pensée chinoise. J’y arrive, tout doucement, à lire cet ouvrage (je zappe quelques chapitres pour y revenir plus tard) même si je ne sais toujours pas le bénéfice que j’en tirerai.

"Le Taö, dont on peut dire qu’il est à la fois Nature et Raison ([…]), est un principe d’universelle intelligibilité. La formule "vomis ton intelligence" n’exprime pas le mépris de l’activité de l’esprit, mais, simplement, le dédain de la science discursive, des jeux de la dialectique, de toute espèce de réalisme abstrait.
Les Maîtres taoïstes ne font aucune difficulté pour utiliser (ni d’ailleurs, semble-t-il aucun effort pour perfectionner) le système de classifications dont leurs contemporains se servent pour ordonner la pensée. Ils admettent que le vulgaire est dominé par 6 Appétits (ceux des honneurs et des richesses, des distinctions et du prestige, de la renommée et de la Fortune), 6 Entraves (celles qu’imposent le maintien et le comportement, la sensualité et le raisonnement, le tempérament et la réflexion), 6 (Sentiments qui font) obstacle au Taö (haine et désir, joie et colère, peine et plaisir), 6 (Attitudes qui font) obstacle au Taö (celles qui consistent à éviter ou à aller au-devant, à prendre ou à donner, à acquérir des connaissances ou à exercer des talents) : il faut réprimer ces 24 dispositions pour obtenir la rectitude et la quiétude, l’illumination et la vacuité. Il faut encore, sous peine de "perdre l’essence qui vous est propre (sing)," éviter les 5 perversions qui résultent d’un usage civilisé des sens : peinture, musique, parfums, cuisine, prédilections du cœur corrompent la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le jugement. En lui-même, déjà, l’usage naturel des sens peut être pernicieux, si l’on ne s’applique à défendre, contre la multiplicité des apparences, la simplicité originelle (p’ou) de l’être. La vision, l’audition, l’odorat, le goût, la connaissance ne méritent d’être qualifiés de tche (qui pénètre tout, qui s’étend à tout) que si aucun objet particulier ne les arrête.
[…]
"Le véritable sage entend avec ses yeux et voit avec ses oreilles". Ce n’est pas qu’il ait, déjà, trouvé le secret de l’audition paracoustique ou de la vision paroptique. […] Il sait seulement "unir son corps à son cœur, son cœur à son k’i (souffle), son k’i à son chen (puissance vitale) et le tout au wou (c’est-à-dire non pas au "néant", mais au Total indéterminé…).
[…]
Toute sensation partielle est épuisante et corruptrice. […] Il (en bon taoïste) se garde de vouloir connaître par le détail : "Vivre a des bornes et il n’y a point de bornes au connaître ! C’est un péril pour ce qui est limité de poursuivre ce qui ne l’est pas !" Nul, dans l’ancienne Chine, n’ignore que toute image résulte d’un contact…"


Marcel Granet, in La pensée chinoise. Pages 434-435.

Je crains vraiment de n’arriver jamais à "réprimer les 24 dispositions pour obtenir la rectitude et la quiétude, l'illumination et la vacuité". Je ne suis pas prête pour une béatification.

Après avoir refermé mon livre, avant d’éteindre la lumière pour dormir, j’ai allumé la radio et je suis tombée sur l’émission d’Alain Veinstein ! Incroyable, il recevait le sinologue Jean Lévi pour parler de son essai, La Chine est un cheval et l’Univers une idée. Quelques réflexions sur Robert Musil qui a inspiré l’auteur, méditation sur le langage, des citations de Tchouang Tseu… et me voilà bercée par cet entretien, qui m’a tenue éveillée au lieu de m’assoupir :

"La Chine est un cheval et l'univers une idée " est une citation de Zhuangzi (350-275 av.J.-C.) dans laquelle il tourne en ridicule les paradoxes sophistes, et en particulier le plus célèbre d'entre eux, le fameux "un cheval blanc n'est pas un cheval " de Gongsun Long. À travers le pastiche de l'argumentation sophiste, c'est le langage humain en tant que tel que le philosophe entend disqualifier. Tout jugement, dans la mesure où il est jugement, est l'expression d'une subjectivité qui opère un découpage arbitraire dans le réel".

Beaucoup de mal à m'endormir ensuite!

Ce vendredi matin.

Je vous le donne en mille - non je n'ai pas rêvé de Pégase.
Je me lève, tardivement, j’allume la radio toujours branchée sur France Culture et, quentends-je (je me demande si je suis bien réveillée)? :
Le journaliste lit un poème chinois (traduit), de l’époque Han, tiré d’un livre de Jean-Pierre Dieny, paru aux éditions Les Belles Lettres : Les dix-neuf poèmes anciens.

Un réveil en douceur ! Epatant.

Maintenant je n’ai plus qu’à regarder Le plateau tibétain, enregistré ce matin de cette série magnifique La Chine Sauvage, et l’immersion sera totale. Une inquiétude soudain, ou plutôt un rêve : mes yeux ne sont-ils pas en train de se "brider", mes cheveux se raidir (enfin !). Un coup d’œil dans le miroir : non, pas de "brides" mais que des rides. Pfff ! Pourtant il ne serait pas impossible que j’eusse les yeux bridés avec mes origines (arrière arrière grand'mère). Non non pas mongoles, mais bigoudènes !




Tibétaines, capture d'écran du Plateau Tibétain

Mythe :
"Selon certains ethnologistes du XIXe les bigoudens auraient été les descendants des aborigènes occupant la Bretagne avant les premières invasions celtes, selon d'autres, se basant sur des "ressemblances physiologiques" (pommettes hautes des bigoudenes, yeux légèrement bridés, etc.), les Bigoudens descendraient d'une tribu mongole. Il n'en est absolument rien, une vaste étude menée à partir de 1983 par le professeur Youinou, généticien et immunologue de l'INSERM, a montré que la population bigoudène n'a absolument aucune parenté avec les populations asiatiques, et qu'au contraire elle avait plus d'affinités génétiques avec les populations des pays celtiques insulaires que la moyenne de la population finistérienne." Wikipédia.


Bon, tant pis, mais ma chère tante avait néanmoins les yeux bridés des mongoles.

Pub Blogger/Google! à mon intention :
"Editez un livre vous même
Fabriquez votre propre livre et Publiez votre livre mondialement".
Tsss! Sont fous... Je ris, je pense à toi, combien de fois m'as-tu dit : tu devrais écrire des romans.
Impossible, la fiction c'est trop dur, j'ai un sacré imaginaire mais aucune imagination, seul mon Je m'inspire quelques mots et maux...

jeudi 27 janvier 2011

Censure levée


Loi Evin : Nora Berra obtient le retrait de l'amendement socialiste !

Monsieur Hulot (Jacques Tati) va enfin retrouver sa pipe



Alain Delon (qui ne s'arrange pas en vieillissant et,
je ne parle pas de son physique mais de son ego surdimensionné)


André Malraux



... vont tous trois retrouver leur cigarette!

Un cibiche ça n'engage à rien et même si je ne fume plus, je trouve cette censure insupportable!




Lucky Luke, la cigarette avait été remplacée par un brin d'herbe!


mardi 25 janvier 2011

Jacques Derrida


NCC : semaine consacrée à Jacques Derrida. Je suis capable d’en entendre parler, voire de l’entendre parler, mais le lire est trop pointu pour moi. Heureusement, Raphaël Enthoven parvient à le mettre à notre portée, du moins à la mienne, le temps de l’émission.
En introduction il présente Jackie Derrida (de son vrai nom) comme un "cas"; cela me rassure sur mon hermétisme à son sujet.
"Il ne s'est jamais senti tout-à-fait légitime, tout-à-fait du sérail, même quand il sera devenu un philosophe éminent, il aura toujours le sentiment d'être le petit gamin d'Alger qu'on a un jour rejeté". (Benoît Peeters).
Ici, Rhapaël Enthoven rebondit avec drôlerie :
- Au fond, il y a deux "sérails". Je ne sais pas si on dit deux sérails, d'ailleurs je n'ai jamais entendu dire deux "séraux"? Les auditeurs corrigeront!
(Il est 10 h 15 et j'éclate de rire en l'écoutant dire cela de sa voix si charmeuse. J'adore quand il fait le niais!).
1) Le sérail universitaire (il est normalien, agrégé...)
2) Le sérail médiatique.
Il m’est arrivé de feuilleter quelques pages des ouvrages de Derrida chez mon libraire mais j’ai vite abandonné l’idée d’aller plus loin. On dit de lui que c’est le philosophe de la déconstruction et de la différance (différer).


Au cours de l’émission d’hier j’ai tout de même retenu et apprécié quelques moments, celui où Benoît Peeters (l’invité de l’émission et auteur d'une biographie de Jacques Derrida) relate l’entretien/débat du philosophe avec Bernard-Henri Lévy et celui où il nous parle de ses correspondances (la lettre ci-dessous a été lue au cours de l’émission, on me pardonnera la ponctuation qui est de mon fait ainsi que le nom du restaurant que j’ai retranscrit phonétiquement, mais sans certitude que ce soit ce nom-là). C’est une lettre sur la mémoire qui ramène à la question de la mort et à la question du deuil. Lettre qui ne m'est pas hermétique et d'autant moins qu'elle est lue par le comédien Jean-Louis Jacopin. C'est toujours étonnant de constater que les êtres les plus compliqués peuvent devenir clairs, simples, dans leur correspondance :

Harvard, Le 27 février 1957.

Il m’arrive très souvent d’être abattu comme par une mauvaise fièvre inconnue, quand je me remets pieds et poings liés à la mémoire. C’est une chose terrible, tellement plus grande et plus forte que nous, qui joue avec notre petite vie du moment. Jamais je ne me sens exister que quand je me rappelle et jamais je ne me sens mourir autant. Et toi je t’aime un peu comme le frère de lait, nourri de cette mémoire, et nourri de cette même mort. Nous mourrons ensemble n’est-ce pas, à tout ce que nous avons aimé ensemble, ou ensemble maintenant, à ce qui n’est que le lendemain.

Je ne veux pas commencer à dire ce que je me rappelle car j’aurais l’air d’avoir oublié le reste et je n’oublie rien. Mais il y a quand même des images qui me sautent au cœur, comme un refrain pour enchaîner les autres :

un soir, après le restaurant l’Easy Mac (Lisimac ?), une lumière et des blues, et un plancher sale dans la turne de musique,
une promenade sur le boulevard Saint Michel avec à la main le Van Gogh que je n’avais pas encore ouvert et qui, maintenant, après la méditerranée a traversé l’océan,
le métro Europe et moi t’attendant devant le lycée Chaptal, en bas, dans l’obscurité, avant d’aller voir Le dialogue des carmélites,
les escaliers noirs du lycée, ceux de la rue Lagrange,
les petits mots sur les portes, toute ces déceptions ;
une promenade sous les arcades de la rue de Rivoli près de la Concorde le jour où je rentrais d’Algérie,
les hésitations au carrefour, and so on and so force, et les poètes anglais.

Tout cela comme les petits signes d’une vie qui les presse, toute entière, toute présente ; tout cela comme un filet dans la mer. Quand je me rappelle de tout cela, j’ai mal, mal. D’abord parce que je me le rappelle tout simplement, ensuite en pensant combien nous sommes séparés et combien nous l’appréhendions.

Lettre de Jacques Derrida à Michel Monory.
Je découvre avec étonnement qu’on peut revoir Le dialogue des carmélites ici.

"Je pense qu'il est impossible aujourd'hui d'être un bon philosophe, sans avoir été déniaisé par Derrida".
Denis Kambouchner.

Bon, pour le déniaisement, je m'en "remets pieds et poings liés" à Anthony Hopkins , je l'ai juste sous les yeux dans Rencontre avec Joe Black!
Un oeil sur le film, un oeil ici, les doigts sur le clavier, l'oreille sur une réécoute des NCC : il n'y a pas que les ados qui peuvent faire plusieurs choses à la fois. Non mais!

lundi 24 janvier 2011

Matrix


C'est dément!!! J'ai regardé Matrix!!!

On est loin de Rohmer mais je sais maintenant ce qu'est la "matrice" : l'image intérieure résiduelle! Pfff! La matrice est si difficile à décoder qu'il vaut mieux la regarder cryptée. J'avoue avoir été bluffée par certaines scènes. La confrontation entre les humains et les machines, on est en plein dedans, un vrai sujet de philo, ça vaut bien une émission des NCC!?!

Maintenant je ne dirai plus que je m'en vais rêver dans les bras de Morphe(us)e.

De, l'euthanasie énième

Et voilà! Mon coeur bat, de rage, quand j'entends ces dernières informations!

Fillon opposé à une légalisation de l'euthanasie.

"M. Fillon assure aussi que les recommandations du député Jean Leonetti, auteur de la loi de 2005 sur la fin de vie, dans son rapport de décembre 2008 sont mises en oeuvre, notamment la modification du "code de déontologie médicale" et la mise en place en mars 2010 d'une "allocation d'accompagnement d'une personne en fin de vie".
(Cela n'empêchera pas des fins de vie indignes).

"Notre stratégie est donc claire: c'est celle du développement résolu des soins palliatifs et du refus de l'acharnement thérapeutique!", explique M. Fillon, qui confie n'avoir "jamais été confronté personnellement à l'épreuve terrible de devoir accompagner la fin de vie d'un être aimé".
(Je vous souhaite Monsieur Fillon d'être RAPIDEMENT confronté à cette TERRIBLE EPREUVE).

Les soins palliatifs? Une goutte d'eau dans un océan de merde. Combien peuvent en bénéficier, à part quelques patients atteints d'un cancer arrivés en phase terminale? Et seulement pour ceux qui vivent dans une région où ces soins existent et ils ne sont pas légion.
Marie de Hennezel me donne de l'urticaire (en ce moment sur France Culture).

Notre vie nous appartient, pour la vivre pleinement, nous ne devrions pas avoir peur de mourir. La mort devrait être un moment salvateur, mais pas une délivrance parce que nous serions devenus déments, grabataires.

Nota bene.- Médecine et fin de vie :
Les étudiants en médecine ont deux heures de cours sur la mort, la fin de vie, sur dix ans d'études!!!
80 % des médecins ne connaissent pas la teneur de la loi Léonetti. Celle-ci n'est pas la panacée et est bien insuffisante sur l'euthanasie et les droits du médecin à arrêter un traitement, mais au moins elle existe. Cela signifie que 80 % des médecins se désintéressent du sujet!!!

Sans commentaires.

dimanche 23 janvier 2011

Ombre et lumière, clair-obscur 2


J'ai une fascination récurrente pour la lumière qui pénètre dans mes pièces.
J'ai photographié aujourd'hui cette lumière naturelle, au même endroit,
à midi : ombre et lumière,
à dix sept heures : clair-obscur.




Le clair-obscur est plus esthétique que la chaude lumière du midi, plus neutre.
Il faut être un vrai photographe et travailler "en manuel" pour faire de beaux clairs-obscurs.
Ce qui n'est pas mon cas, avec mon petit compact tout automatique!
Le Caravage est le maître du clair-obscur en peinture, et du "ténébrisme".

Ombre et lumière, clair-obscur, tout un programme, comme notre vie.

samedi 22 janvier 2011

Un écrivain suisse, Ramuz

"J'ai mis tout l'enjeu de ma vie sur une seule carte qui n'a pas de chance de sortir. Mais, si elle sort, ce sera beau. En attendant, il faut faire souffrir."
C.F. Ramuz, Journal, 1er novembre 1916.

(Extrait des Beaux Sentiments de Jacques-Etienne Bovard).

J'aime qu'un écrivain me fasse découvrir un auteur et me donne envie de le lire. Je ne connaissais pas Charles Ferdinand Ramuz. (24 septembre 1878 - 23 mai 1947), écrivain et poète suisse né à Lausanne et mort à Lausanne , dans le canton de Vaud, en Suisse.
J'apprends pourtant que Michel Soutter, Claude Goretta, des cinéastes suisses que j'aime* ont fait des films tirés de ses oeuvres et que la nouvelle médiathèque d'Evian* porte son nom!

* Les liens "personnels" c'est pour les nouveaux lecteurs... s'il y en a! Ils mettent parfois un peu de légèreté dans mes billets trop mélancoliques. Je m'étonne parfois à les relire, dans des moments de spleen; je me dis alors que je ne suis pas tout le temps triste.

Il faut que crève le mur du silence



Il y a trois jours flottait dans l’air une odeur printanière. Les terrasses étaient aménagées, les parasols prêts à s’ouvrir !
Et tous ces pauvres gens qui croient dur comme fer qu’en Bretagne il ne fait jamais beau. Ces photos je les ai prises en fin d’après-midi le 18 janvier 2011.

Je me décidais enfin à aller jeter un coup d’œil sur les téléphones mobiles et autres smartphones. Je n’ai pas fait exprès de leur faire de la pub sur ma photo. C’est pur hasard que cette enseigne fut dans ma ligne de mire, nonobstant mon objectif premier : faire un petit tour d’horizon de leurs produits afin de pouvoir éliminer ceux qui ne me conviendront pas.

Le "conseiller technique" je dois l’avouer fut très charmant ; il a dû penser qu’il avait affaire à une femme bien informée des dernières technologies (un peu de prétention ne nuit pas, oui, il m’arrive parfois de tromper mes interlocuteurs, d’autant plus que le sujet abordé m’est hermétique) ; je lui posais des questions précises – j’avais déjà bien potassé les diverses propositions sur Internet – et il put répondre à toutes mes interrogations. Je n’ai rien décidé sur le champ ; besoin de réfléchir encore un peu. Il était 17 heures, il avait tout de même passé une bonne demi heure avec moi; il me restait trente cinq minutes au parcmètre, je décidais d’aller boire un chocolat au XXI, à l’intérieur (leur terrasse est celle des photos).
En quittant le café je pris celle-ci, sur le parvis de la cathédrale, à la lumière déclinante.


Puis je rentrais en voiture.

Le lendemain, avant-hier donc, soleil aussi généreux mais température beaucoup plus frisquette. J’allais me réchauffer au golf, je vais finir par croire que ce petit golf m’appartient, j’y suis souvent la seule joueuse.

Ce soir lecture, non pas Le temps retrouvé ; j’ai préféré poursuivre le livre en cours, Les Beaux Sentiments, une très belle réflexion sur le mal-être des adolescents, le suicide, roman de Jacques-Etienne Bovard de 1998. Le sujet est d’actualité si l’on s’en tient aux informations de ces derniers jours. Réflexion également sur le "passage à vide" des professeurs. Celui-ci (le narrateur) qui s’interroge, extrait :

"Pas la moindre envie non plus de parler aux amis, qui ne sont à vrai dire que des copains eux aussi parfaits pour les beaux jours. Tous voudront bien l’écouter […] ; mais lequel d’entre eux, passé les "t’as qu’à" et le troisième verre, sera assez subtil pour lui épargner les rituelles facéties sur les privilèges de fonctionnaire, de "planqué" en perpétuelles vacances, avant de retomber à leurs propres soucis, beaucoup plus légitimes que les siens, de surmenés, de séparés, de faillis ?
Le pire dans ce désert, est de retomber sans cesse sur les traces de Flaubert, de Céline, de Ionesco, de tous les grands lucides qui ont laissé leur cendre en lui : farce absurde en effet, grotesque, sinistre que la vie, et à nouveau lui reviennent les élancements d’une migraine, les citations incontestables.
[…]
Lui Aubort, infirme, dérisoire, persiste à dire que le génie qui se borne à constater la défaite n’est pas moins idiot que l’imbécile qui rêve au bonheur, surtout pas moins inconsistant. Et ce n’est pas une citation. Car le sous-con prétend à l’existence, il ose même s’ébrouer dans la revendication de son droit à l’erreur, au recommencement et à la liberté de penser ce qu’il veut !
Et ce qu’il pense, Aubort, en attendant de découvrir la réponse définitive au sens de la vie, c’est que vingt élèves en plein marasme attendent qu’on leur parle, et qu’il a envie de leur parler, quitte à ne rien pouvoir leur dire, quitte à parler seulement pour les écouter… Parce qu’une chose au moins est sûre, c’est qu’on ne protégera personne en se dérobant aux questions que le suicide de Bertrand Fiaugères a posées.
Consignes dictatoriales ou pas, il faut que crève le mur du silence.
Ou de l’hypocrisie… "


Jacques-Etienne Bovard, in Les Beaux Sentiments, pages 92-93.

Une belle découverte que cet auteur. D’autres extraits ici.

J'écris ce que je fais pour me donner l'illusion d'avoir fait quelque chose de mes journées. Mais en fait, il ne se passe rien. Rien qui puisse leur donner un sens.

vendredi 21 janvier 2011

Les disparus

Et le hasard encore ce matin, lors d'une recherche, m'amène ici, une fois de plus.
Décidément, il n'y a pas de hasard, je vais toujours, sans le vouloir, sans le savoir, vers des êtres dont je me sens proche et qui me sont pourtant des inconnus.

jeudi 20 janvier 2011

Le temps perdu

J'ai acheté ce livre hier matin, au Piano Livre.
Je suis "à la recherche" d'un apaisement qui fasse pansement.
Si on a "retrouvé le temps", cela voudrait dire qu'on avait "perdu son temps" avant?

mardi 18 janvier 2011

Neige bleue comme une orange


Hier soir j'avais besoin de grands espaces, d'une lumière qui serait éblouissante - voire aveuglante - de douceur teintée de cruauté, et j'ai regardé sur Arte le film de Zacharias Kunuk : Atanarjuat, La légende de l'homme rapide. J'ai eu les grands espaces, la lumière éblouissante, la douceur et la cruauté pendant 2 h 50. Belles photos du film ici.


Puis, j'ai ressorti de ma bibliothèque ce livre, mince, mais si épais de sentiments; il me bouleverse à chaque fois que je le lis.


"...Ne croyez pas que m'offrir l'amitié pour remplacer l'amour puisse m'être un baume ; c'en sera peut-être un quand je n'aurai plus mal. Mais j'ai mal ; et, quand j'ai mal, je m'éloigne sans retourner la tête. Ne me demandez pas de vous regarder par-dessus l'épaule et ne m'accompagnez pas de loin. Laissez-moi."

Marcelle Sauvageot, in Laissez-moi, éditions Phébus, page 84.

C'est un récit magnifique sur la genèse et la fin d'un amour. Je l'ai lu d'une traite.
J'ai éteint la lumière à deux heures ce matin, les yeux brûlés par les immenses étendues de neige bleue tant elle était blanche (ne dit-on pas de la pureté d'un diamant qu'il est blanc/bleu? A tes amis tu disais cela de moi mon aimé, devant moi : "xxxxxxx, c'est du blanc/bleu"; je te faisais des gros yeux ou j'écrasais ton pied, de honte et de rage, sous la table) et le cœur consumé par la force des mots de Marcelle Sauvageot.

Je me suis endormie en rêvant des "monts bleutés du Sichuan".


Emei Shan 峨眉山

"La terre est bleue comme comme une orange".
Paul Eluard, L'amour la poésie.

***

Il semblerait que quelques lecteurs aient reçu une "invitation" à visiter mon blog!
Ne pas en tenir compte.
Je suis désolée, je n'ai jamais eu l'intention de faire de ce blog une opération marketing!
Loin s'en faut.

dimanche 16 janvier 2011

Quand la Chine m'éveille

Samedi, j'ai fui les rues commerçantes du centre ville,
prises d'assaut par les badauds en ce premier week-end de soldes.




Aubaine, je découvre des venelles que je ne connaissais pas, loin de l'agitation.







En levant les yeux vers le ciel, les branches de cet arbre dénudé me font penser à une photo découverte sur un blog. Elle était si belle, qu'elle ressemblait à une estampe chinoise. Je prends une photo de cette "Encre de Chine dans le ciel" mais impossible de rivaliser avec la beauté de celle qui est dans mon souvenir.


Poursuivant ma balade, dans le calme et un silence étonnant (la lumière décline en cette fin d'après-midi), je découvre cette vitrine d'une galerie très ancienne de la ville, comme un miracle, pour faire suite à mon "estampe dans le ciel".
Il n'y a pas de hasard, mes pensées sont chinoises en ce moment
et cette vitrine tombe du ciel (=_=).
Un aperçu aux couleurs flamboyantes,
de fournitures pour artistes que l'on trouve dans cette galerie.
Je ne savais pas en prenant mes photos que je trouverais celles-ci sur leur site, les miennes prises à travers la vitre sont biens fades du coup.
Tant pis, je les laisse.




J'écoute en ce moment David Fray sur Arte qui interprète Mozart.
Une découverte heureuse pour moi
et un week-end qui se termine divinement.
Je crois que j'ai le coeur à l'envers.



samedi 15 janvier 2011

Les Beaux Sentiments

Gourmandise mélancolique du jour : Tout va bien.

Hier, vendredi (suite).

20 heures.
Et bien sûr, comme une évidence, ce livre que j’ai choisi à la bibliothèque


me ramène dès les premières pages vers cette mélancolie qui est chez moi comme une deuxième peau ; il n’y a donc pas de hasard dans le choix de mes lectures. Je lis peu de romans et celui que je viens de commencer, d’entrée, me parle d’un suicide, celui d’un élève. Extraits : c’est la rentrée scolaire au "Gymnase*" (le narrateur enseigne le français dans cet établissement suisse et Bertrand était un de ses élèves l’année précédente) :

Premier chapitre.

[…]
Demi-heure d’avance, mais beaucoup de collègues déjà, pressés autour des armoires, des ordinateurs, de la photocopieuse qui tourne sans discontinuer… Facile, dans cette effervescence, d’aller inaperçu jusqu’aux tables du fond poser sa serviette et de vérifier que rien n’y manque : agenda, bloc-notes, Tartuffe, Le Horla, En attendant Godot, relus et annotés encore pendant les vacances, sur lesquels il pourrait sur-le-champ repasser sa licence…
[…]
Confiance qui revient, et a bien raison de revenir : bon prof, Aubort, la rigueur, la méthode, l’abstraction, l’ironie, le paradoxe déstabilisateur et fécond – personnalité bien trouvée de puriste nimbé d’humour, de faux pète-sec dans sa tour d’ivoire ouverte aux quatre vents, et de quoi donc le remercie-t-on aux cérémonies de promotions, sinon d’avoir enseigné à "approfondir" à "argumenter" sans "sortir du sujet".
[…]
Les "circonstances", comme dit Glarner, il les apprend dans l’ascenseur, en montant avec eux à la salle de conférences.
Elles le laissent, sur le moment, quasi indifférent. Seul un "pourquoi" criard, informe, commence à émerger ; le "comment" n’a pas d’importance, et dégage à la fois trop d’effroi.
Mais plus tard, il aura le temps, oui, tout le temps de scruter jusqu’à la nausée le visage, les gestes d’un garçon de dix-huit ans qui, par un beau soir d’été, monte sur sa petite moto , passe à côté d’une terrasse où sont assis les copains et copines […] leur adresse un signe de la main, continue, bifurque cent mètres plus loin, s’engage sur un débarcadère, et va pleins gaz se jeter au lac.
[…]


Deuxième chapitre.

Le deuxième coup se fond dans le premier.
Debout à son habitude, dominant la salle de sa haute taille, Fillettaz présente ses vœux pour l’année scolaire qui commence, puis annonce, la voix altérée, le "décès tragique" de Bertrand Fiaugères, élève appelé à entrer en 3A, chez qui tout paraissait annoncer à la fois l’excellence et la santé les plus prometteuses".
Quelques réflexions sur la vanité de prétendre juger un geste "qui dépasse l’entendement", puis ça vient en deux ou trois détours, sa tête penchée puis relevée, son regard passant d’un rang à l’autre, cherchant le sien…
- Il va de soi que la vie continue, que les cours reprennent normalement, mais chacun sait le danger de la contagion dans ce genre de situation. Donc j’attends des maîtres de cette classe qu’ils renoncent, du moins dans les premières semaines, à certains sujets de réflexion, surtout sur certaines lectures. A ce propos, monsieur Aubort, vous voudrez bien vous présenter à mon bureau sitôt après votre dernière leçon, à quinze heures trente.
En hommage au disparu, l’assemblée priée de se lever, minute de silence…

Il n’ose relever la tête pour voir si Fillettaz continue de le regarder.
De toute façon, il est transpercé.
Madame Bovary, Les Fleurs du mal, Thérèse Desqueyroux, Voyage au bout de la nuit, La Grande Peur dans la montagne, les voilà, ses "lectures" de l’an passé en 3A…
Ce pays nous ennuie, ô Mort, appareillons !...
"Les êtres nous deviennent supportables dès que nous sommes sûrs de pouvoir les quitter."
"Il faut choisir, mourir ou mentir ."
Ô vers noirs compagnons sans oreilles et sans yeux,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux
;
"Et, croyant qu’il voulait jouer, elle poussa doucement. Il tomba par terre. Il était mort ."
"Le petit Ernest ? – Mort aussi."
"Ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde !"

[…]
Il pourra dire ce qu’il voudra, expliquer qu’il ne s’agit là que de purs "classiques" étudiés d’ailleurs dans toutes les classes de la francophonie, mais le fait est qu’il n’a pas réfléchi une minute aux effets qu’une telle succession d’œuvres noires pouvait produire sur ses élèves au-delà de leurs travaux écrits, dans leur vie, leur âme, leur chair…
Pire : il n’a pas réfléchi, et pourtant la nouvelle ne l’a pas complètement surpris, il fera croire ce qu’il voudra, mais il n’était pas tranquille, il savait, il s’y attendait

Jacques-Etienne Bovard, in Les Beaux Sentiments, édition Bernard Campiche.

* "Le "Gymnase" désigne, dans le canton de Vaud (Suisse), l’institution officielle de l’enseignement secondaire supérieur ; il fait suite au au "Collège", et prépare, en trois ans, à la maturité fédérale (baccalauréat) ou au diplôme de culture générale. Les élèves ont habituellement de seize à dix-neuf ans." (Le Gymnase n'existe pas comme aucun des personnages de ce roman).

Je ne peux dire encore si ce roman va me plaire mais j'aime ces premières pages; je pense qu'il va me permettre de me "poser" un peu, après le dialogue philosophique de Saint-Augustin avec Pétrarque, dans Mon secret de Pétrarque.

On pourrait penser - à me lire - que je suis triste parce que je parle de mélancolie, mais non, parler de la mélancolie est pour moi aussi naturel que parler de la mort, cela fait partie de la vie, de ma vie. Ce sont des sujets que j'aborde vaillamment en famille, avec des éclats de rire, tandis que "tous" me regardent d’un air abasourdi et réprobateur ! Il n’y a qu’avec ma plus jeune sœur que nous philosophons sur ces sujets, sans peur, et nous en ressortons souvent sereines et joyeuses.


20 h 15.
Je regarde Arte, un reportage sur la Baie de Naples, tandis que sur les autres chaînes les informations parlent de la situation en Tunisie. Mais ce vendredi soir, après une journée à serrer les dents pour ne pas pleurer, j’avais le droit de sécher mes larmes - non contenues - avec des images de soleil et de lumières ocres et chaudes, de la chaleur brûlante du Vésuve.
Il y a à Naples un "pétillement" dans l’air, qui serait dû à la joie de vivre des napolitains, comme un "pétillement amoureux". Les napolitains aiment être élégants et trouvent leur bonheur (et leur cravate… à "Neuf plis") chez Marinella.


Futile ? Oui, quand on se bat ailleurs parce que la vie est trop chère, ô que j’aime la futilité… quand tout va mal; c’est la seule chose qui puisse encore me faire rêver, comme la beauté du soleil levant sur la Baie de Naples vu dans ce magnifique reportage. Et qu’y a-t-il de plus important que de rêver ?

vendredi 14 janvier 2011

Journal : m'enfuir, m'enfouir, me fuir

Hier, jeudi.
Passage à la médiathèque pour essayer de trouver des ouvrages de Jacques-Etienne Bovard après avoir lu le billet de Serge Bimpage dans l’excellent blog d’écrivains de "La Tribune de Genève". J’ai trouvé, Les Beaux Sentiments et, Une leçon de flûte avant de mourir, je vais commencer par Les Beaux Sentiments. Bien sûr, La cour des grands qui vient de paraître ne figure pas encore dans les rayonnages.

En sortant de la médiathèque, sous un ciel gris, cet arbre dans la ville a mis de la lumière dans mon regard. Je lui trouvais un petit côté zen dans cet environnement de bâtiments anciens rénovés, avec la médiathèque en toile de fond. Sur le pignon, à regarder de plus près, un graffiti insolite d’un homme sur un tapis volant, près de la plaque : Esplanade Julien Gracq, (qui enseigna à Quimper); une belle appellation pour cet espace de la Médiathèque des Ursulines. J’avais déjà remarqué cet arbre alors qu’il était entouré de travaux en avril 2010.
J'aimerais le même en bonsaï chez moi.



Ce vendredi matin.
Trop d’heures sur mon écran à faire des tests comparatifs de téléphones mobiles : écran tactile, clavier azerty, EDGE, G3, mail, Internet, wi-fi et j’en passe. Ma petite cervelle va exploser. Mes yeux se voilent, j’abandonne. Comme tout ce que j’entreprends en ce moment, et c’est récurrent : je projette, je me lance, je prends des rendez-vous, puis au moment de conclure, j’esquive. Parfois, je voudrais que quelqu’un prenne les décisions pour moi. Parfois je me dis que je suis lasse de tout prendre en main toute seule, je me console en pensant à quelques femmes que je connais qui, elles, rêveraient de pouvoir décider de leurs choix, de leurs achats, de ne dépendre de personne. Parfois je voudrais m’enfuir, m’enfouir, me fuir.

15 heures.
Je décide de déconnecter maintenant et de commencer Les beaux sentiments. Ouvrir un livre, comme un impératif absolu, pour retrouver de l’énergie, du plaisir, donner du sens à cette journée.

A suivre...

mercredi 12 janvier 2011

Journal : faits divers, économie, art

Ce matin, 11 heures.

Encore un rendez-vous qui n’aura pas fait avancer le schmilblick. Depuis le temps que ça traîne tout ça, je commence à désespérer. Bon, pas d’apitoiement, allons boire un café et lire les nouvelles réjouissantes de la presse dans cet endroit qui serait si agréable sans musique, tant pis, le café y est très bon. Peu de monde à l’étage, deux internautes (c’est un cybercafé), et une tablée de trois… retraitées. Habituellement c’est rempli de jeunes filles, elles doivent faire les soldes avec leur mère. Quelle folie ce premier jour des soldes, et les médias qui en rajoutent une bonne couche de débilité.
La vue sur une des flèches de la cathédrale et sur la rivière est charmante (non ce n’est pas la vue du salon de thé cosy de l’autre jour où j’apercevais également une flèche d’église mais ce n’était pas la cathédrale).
Le garçon m’apporte mon café, mousseux, avec un petit carré de leur gâteau au chocolat (les jeunes viennent ici pour les gâteaux, brioches et crumbles succulents). On peut y lire la presse quotidienne et quelques magazines à disposition. Je commence par la dernière page, j’ai toujours lu les journaux à l’envers.
Une quatrième retraitée vient rejoindre les trois autres, je me suis assise à une table près d’elles parce que c’est là que la vue est la plus jolie. Flûte, pourquoi ça se voit qu'elles sont retraitées? Elles ont l'air d'anciennes combattantes de 68. En ai-je l'air aussi? Ça craint, mais je l'ai été. Elles commencent à "jacasser" un peu fort, des bribes me parviennent, j’entends : pain bio – halles.

Je lis la dernière page de Ouest-France, je note sur mon carnet - je vois alors les trois femmes me regarder curieusement - et je me dis : comme je suis bien toute seule, comme je m’ennuierais avec elles ; oui, je suis comme ça, une asociale ? (synonymes : antisocial, bohème, dyssocial, inadapté, marginal, misanthropique), ben oui, c’est tout à fait ça. Parenthèse fermée, je suis donc en train de lire, de rire en douce et de noter :

"Samedi les habitants de Constanta en Roumanie avaient découvert une trentaine d’étourneaux morts sur un terrain vague. Victimes de la grippe aviaire ? D’une trouille bleue due à un feu d’artifice comme d’autres volatiles aux Etats-Unis ? Non ! C’est l’alcool qui les a tués, a révélé l’analyse de leur gésier. Ils avaient ingurgité du marc de raisin. Trop".
(Ce que c'est mal écrit).

Je poursuis, je lis que les Halles vont être rénovées, coût des travaux : 700 000 euros, bof, ça sera sur notre taxe d’habitation l’année prochaine !

Un nouveau pote des retraitées arrive avec une tasse de café. Les voilà cinq maintenant. Et que je te fasse des bises, et que je te monte le son, les rires, la joie de retrouvailles. Cet homme a plus de charme que ses amies. Leur joie se fait discrète soudain, plus un son, on entendrait une mouche voler. Ils n'ont déjà plus rien à se dire?

Je change de canard (tiens ils n’ont pas le Canard Enchaîné ce matin) et prends Libération, dernière page. Je ressors mon petit carnet (les trois femmes me regardent, je le sens, l'homme se retourne aussi, une seule ne se retourne pas) ; est-ce si étrange de voir quelqu’une noter ce qu’elle lit ? En fait, je suis en train de faire ce que j’ai fait pendant dix ans quand je travaillais à l’Agence : la pige du matin ; à l’époque c’était plutôt les pages "Economie" et "Politique" qu’il fallait que je résume à mon boss et j’y pense en lisant cet article. En dernière page donc, mon œil est d’abord attiré par la photo du personnage :
Denis Hennequin, fan de rock, ex patron de McDonald’s Europe prend la direction du Groupe Accor, sûr il doit être plus rock 'n' roll que Gérard Pélisson le fondateur du Groupe, il va donc remplacer Gilles Pélisson. Ça me fait tout drôle de voir ces noms dans la presse : Gérard Pélisson, Serge Weinberg… que de souvenirs… professionnels, je précise.

"Les dîners m’assomment. Quand j’ai débuté chez McDo, on m’a soufflé que le golf et les résultats étaient la recette pour durer. Je me suis concentré sur les résultats".
[…]
"Quand j’ai pris mes fonctions à l’Europe chez MacDo, Jean-Pierre Petit m’a offert un vélo. Je trouvais la tenue ridicule, mais j’ai commencé à m’entraîner et fini par gravir l’Etna. J’en ai bavé".


Bon, ne nous faisons pas d’illusion, Denis Hennequin n’est pas là pour faire du vélo mais pour faire du chiffre, et il en connaît un rayon !

Ça suffit pour aujourd’hui, je vais rentrer, il est midi, le garçon commence à préparer les tables pour le déjeuner… et Dieu soit loué, il n’y a pas encore de McDo au centre ville. J'entends l'une des femmes dire qu'elle a vu Monet à Paris.

Il crachine, il fait doux, je rentre à pieds.

Dernière info : L'atelier de l'artiste chinois Ai Weiwei a été démoli à Shanghaï. Une de ses oeuvres récente célèbre ici.

lundi 10 janvier 2011

Et c'est moi qu'on soulève

Ce jour, 11 h.

Je ne parle plus beaucoup de toi mon Amour.
Je te parle moins souvent dans le silence de mes jours.
T’éloignerais-tu de moi ? Ton étoile dans le ciel pourtant scintille toujours et je te vois encore dans la barbe à papa des nuages quand je lève les yeux vers le ciel.
Serais-je enfin parvenue à ne plus voir que ton âme et ce qu’il reste de toi : tes (é)toiles ?
Il m’arrive de les caresser, d’un geste vif, et j’entends alors le bruit de la brosse quand tu peignais.
Combien faut-il d'années pour que la mort d’un être aimé annihile son corps, sa voix, son rire ? En années je ne sais pas, c'est vrai que j'ai oublié le son de ta voix et de ton rire; cela me semble étrange. Il y trente ans nous n'avions pas de caméra pour nous enregistrer et nous filmer, enfin, cela existait mais nous n'en avions pas. Il y avait bien des magnétophones; je me souviens de t'avoir enregistré mais j'ai perdu les cassettes. Voilà ce qu’il me reste de toi : des bruits, des odeurs, des images dans ma tête, et cette chose inexprimable, immortelle, l’âme.
Ben voilà, j'ai parlé de toi . Tsss!

L'après-midi fut calme, sereine, douillette à regarder la pluie battante sur les vitres.
A échanger quelques mails : des sérieux, des légers, des souriants...
A lire :

"A la longue tes oreilles s'habitueront à entendre la rumeur de la foule avec autant de plaisir que le bruit d'une cascade... car l'âme sereine et tranquille est inaccessible aux nuages extérieurs et sourde à tous les bruits du dehors"
Saint-Augustin à Pétrarque, in Mon secret.

"Je sais, dit Lao tseu, que celui qui est expert à prendre soin de sa vie (che cheng), ne rencontrera dans ses voyages ni rhinocéros, ni tigres et, dans les combats, ne trouverait en lui nul endroit pour enfoncer sa corne! ni un tigre où planter ses griffes! ni une arme où faire pénétrer son tranchant! Et pourquoi donc? Il n'y a point en lui de place pour la mort!".
La pensée chinoise, chapitre L'art de la longue vie, page 415.

18 h.

Je me dis qu'il serait temps que je fasse quelques exercices et, la pluie ayant redoublée, je ne peux mettre le nez dehors. Je prends alors un vieux CD pour me donner un peu d'entrain pour mes étirements et autres abdos, hum! Je mets le CD dans mon lecteur : no disc! Je le ressors, l'essuie, le remets : no disc! J'en prends un autre pour vérifier : il marche. Ça y est mon vieux The good book d'Armstrong a rendu l'âme... une seconde fois, comme si, ce que j'écrivais ce matin avait eu une résonance. Ce disque, à l'époque en vinyl, que tu aimais tant, et que j'avais balancé dans ta palette un jour de colère, pour me jeter dans tes bras trois heures après avec un nouveau disque que j'étais partie acheter. Des années plus tard, tu n'étais plus là, javais gagné un lecteur de CD en compétition, et le premier CD que j'avais acheté c'était celui-là. Je l'ai tellement écouté que ce soir il n'est plus lisible. C'est quelque chose de toi qui part avec*. Soit, je vais mettre Keith Jarrett pour mes étirements.

Ceux-ci exécutés, je m'allonge sur le tapis pour les abdos, quelques mouvements et soudain j'arrête, j'allonge les jambes, je ne bouge plus, j'écoute The Köln Concert et je pleure. Pourquoi? Je devrais être heureuse, je ne sais pas pourquoi je pleure sur ce tapis.

"Je me repais tellement de mes larmes et de mes souffrances, avec un plaisir amer, que c'est malgré moi qu'on m'en arrache".
Pétrarque, in Mon secret, éditions Rivages, 1991.

??? Non, je ne me repais pas de mes larmes; j'ai juste pensé une seconde à ma vie. Faut-il que je sois à ce point sur un fil fragile pour pleurer sur... rien? Allons, souviens-toi de quelque chose de drôle, tiens, facile; et voilà que je pense à Claude Nougaro (qui aimait aussi Armstrong) et je me dis que c'est moi qui suis sur le ring :


Quatre boules de cuir
Et soudain deux qui roulent
Répandant leurs châtaignes
Dans le cri de la foule

La joue sur le tapis
J'aperçois les chaussettes
De l'arbitre, là-haut
4... 5... 6... 7...

Enfant je m'endormais
Sur des K.O. de rêve
Et c'est moi qu'on soutient
Et c'est moi qu'on soulève


et j'éclate de rire... et c'est moi qu'on soulève!

22 h 30
* Je ne le rachèterai pas. Je viens de l'écouter sur Deezer, il ne me parle plus, j'ai évolué (ou régressé?) vers d'autres musiques.