lundi 29 novembre 2010

Me suffire

1.2.3. Je teste le son.

J'ai l'impression de ne plus écrire pour moi mais pour les autres. Ce n'était pas le but de ce blog/journal. Je veux n'écrire que pour moi (mais alors ferme ton blog me dit la petite voix). Je voulais n'écrire que pour lui mais il ne veut pas. En fait, je voudrais maintenant me suffire à moi-même, sans écrire. Me suffire à moi-même, comme c'est étrange... La solitude devrait m'aider à y parvenir. Je ne sais pas exactement ce que je veux, je ne l'ai jamais su. Je vais lire Tchouang-Tseu même si personne sans doute ne comprendra jamais ses textes, mais il dit qu'il faut vivre sans passion amoureuse, éliminer toute passion de sa vie pour trouver la félicité. Il dit aussi que l'acquisition de la connaissance diminue la longévité. Si j'en étais sûre, je continuerais doublement de parfaire mes connaissances.

"Mort et vie, conservation et destruction, succès et échec, pauvreté et richesse, compétence et incompétence, calomnie et apologie, faim et soif. Ce sont toutes les alternances du Destin. Elles opèrent jour et nuit et on ne peut connaîtrent leurs sources. A quoi bon donc, les laisser troubler notre paix." Tchouang-Tseu.

dimanche 28 novembre 2010

Sagittaire

Profil du signe Sagittaire :
Du 22 Novembre au 22 Décembre.

En rouge
: ce qui ne me correspond pas.
En rouge gras : absolument faux me concernant!
En bleu : ce qui me correspond.
En bleu gras : c'est tout moi!
En noir : c'est selon.
En violet : mes commentaires.

Le sagittaire est le signe de la recherche de la sagesse (Tsss!). C'est un être à la personnalité fougueuse, rebelle, (yès!) tout en restant conformiste. Le Sagittaire attache beaucoup d'importance à la liberté (chérie). Il aime voyager. C'est aussi quelqu'un d'impatient (oui) : quand il commence quelque chose, il risque à chaque fois de ne pas le terminer car il aime entamer plusieurs choses à la fois (jamais de la vie!). Il est assez audacieux mais il garde la tête sur ses épaules. C'est aussi quelqu'un de généreux. Il peut avoir de très grandes ambitions dans ce qu'il fait. Le Sagittaire est très direct, très ouvert et il a la capacité de s'adapter à toutes les situations. Il aime toujours la nouveauté, ce qui fait qu'il opte pour les changements dans la mesure de ses possibilités. Un Sagittaire peut être franc à l'extrême, il n'hésite pas à dire ce qu'il pense même si cela peut être blessant. (Je sais, c'est pas bien).

Le caractère dominant du Sagittaire est son optimisme. Il oublie et pardonne du fond du cœur le mal qu'on lui a fait. Cependant c'est un être insatisfait. Il ne veut pas se contenter de ce qu'il a, ce qui fait qu'il peut être jaloux de ses connaissances quand il se met à se comparer constamment à eux. C'est quelqu'un qui déteste les habitudes bien prises, les routines quotidiennes. Il peut se montrer impulsif et irréfléchi (je suis la reine des paradoxes) : agir d'abord réfléchir après. Du côté de son intelligence, c'est un être orgueilleux qui accepte difficilement les critiques. Sa grande susceptibilité fait de lui un être rebelle et parfois même arrogant. Le Sagittaire manque parfois de tact et a un amour propre qui va au-delà du raisonnable. Il est complexé et n'est pas très stable dans ses amitiés. Mais il n'empêche que c'est quelqu'un de chaleureux. Il a l'humour facile.

A ce titre, au niveau travail, le Sagittaire est à l'aise dans toutes les professions qui impliquent un contact social.

Dans le domaine de le santé, le Sagittaire est une personne imprudente. Il ne sait pas se limiter dans ce qu'il mange. Ce qui fait qu'avec l'âge il a tendance à avoir du ventre. En sus, des problèmes digestifs peuvent se manifester. Il souffre aussi de la moelle épinière, des os et du cerveau (hi hi!) C'est ce qui explique ces moments d'excitation extrêmes mais aussi de grandes dépressions.

En amour le Sagittaire est quelqu'un qui regarde le mariage d'un œil critique et méfiant. Mais parce qu'il n'aime pas la solitude, il se risque quand même dans un engagement en se mariant. Cependant, à la moindre complication, lorsque les tensions s'installent, il préfère rompre. Il a une grande capacité de se défaire de tout ce qu'il a vécu dans le passé et d'essayer de nouveau un autre engagement.

L'élément définitoire du Sagittaire est le feu, ce qui lui donne cette vivacité dans les actions.

Son minéral est le grenat (non c'est l'ambre). Ses chiffres préférés sont le 2 et le 7 (yès).

Le jeudi est son jour faste dans la semaine.

Jupiter est la planète qui régit le signe du Sagittaire.

Ses couleurs sont le rouge, le violet et l'orange.

Le Sagittaire n'est pas du tout en bonne entente avec les Poissons, le Capricorne, le Scorpion, la Vierge (tsss! tu étais Vierge mon Amour), le Cancer et le Taureau. En revanche, il est compatible avec la Balance (vrai, ce fut mon premier amour à 20 ans et peut-être sera-ce le dernier?), le Bélier, le Lion et le Verseau.

Bon, vous n'avez rien compris? Pfff!

samedi 27 novembre 2010

Dédicaces




 (Cliquer pour agrandir l'image)

Il m'est venue une idée étrange ce matin, de rechercher dans ma modeste bibliothèque les livres qui m'ont été dédicacés par leurs auteurs. Chacune de ces dédicaces n’a pas la même importance pour moi mais si j’ai fait la démarche d’aller jusqu’à eux, de les rencontrer, c’est bien évidemment parce que j’aime (j’aimais pour ceux qui sont morts) leur littérature ou ce qu’ils représentent pour moi. Il en est d'autres que j’eusse aimé avoir, surtout pour croiser leur regard parce que le regard d’un auteur que l’on aime c’est très beau de le découvrir, enfin a priori. Je pense à celui de Noëlle Châtelet croisé il y a peu de temps, elle m’a fait une dédicace pour un livre que j’ai offert ; son regard et son sourire étaient si chaleureux, si sincère qu’ils m’ont littéralement éblouie. Je me souviens aussi du regard de Richard Bohringer, venu signer un de ses ouvrages il y a de cela bien longtemps (environ 12 ans). Je n’avais pas les moyens à ce moment-là d’acheter son livre (j’étais dans cette mouise dont j’ai déjà parlé) mais j’avais dans ma bibliothèque C’est beau une ville la nuit que j’avais bien aimé alors j’ai eu envie d’aller à sa rencontre, avec mon livre sous le bras, je pensais qu’il devait être un type épatant. J’ai fait là une erreur : arriver avec un "vieux" livre, il n’a pas apprécié et me l’a fait sentir ; il était là pour vendre son nouveau roman pas pour s’em… à écrire trois mots sur la page du mien qui sentait le renfermé. De sa voix rauque, d’un regard froid, il m’a dit : c’est à quel nom ? C’était terrible. J’étais venue pour lui dire combien son livre m’avait émue et d’un seul coup je me suis sentie gênée mais pas triste non, pas triste du tout. Depuis, quand je le vois à la télévision je zappe, d’ailleurs je n’ai pas retrouvé son livre avec sa dédicace, je l’ai certainement zappé aussi. Il me souhaitait "bonne route" je crois !

Mais revenons à celles qui m’ont fait plaisir parce que leurs auteurs m’ont regardé droit dans les yeux, humainement. Ce serait long de les prendre un par un avec leur dédicace. Tous ceux qui sont sur cette photo m’ont fait une dédicace personnalisée et parfois amicale et touchante. Et s'il en est une, chère à mon coeur (nous étions ensemble mon aimé) c'est celle de Roland Barthes. Mais je dois à deux d’entre eux mes plus belles dédicaces : Michel Rousseau, artiste peintre, sculpteur qui s’est commis à écrire un livre; il m’a fait cadeau du manuscrit original accompagné d'une lettre bouleversante (je dois dire qu'avec son épouse, sa muse, ce sont mes plus chers amis) et, Pascal Bonafoux qui mérite que je raconte un peu cette belle histoire.

Je ne l’ai jamais rencontré et il ne s’agit pas d’une dédicace mais d’une lettre. Tu venais de mourir mon aimé et sept mois plus tard, début janvier 1987 je lis un article dans un magazine sur un livre qui vient de sortir de cet auteur, dont je n’avais jamais entendu parler : Blessé grave. C'est ce que j'étais à ce moment-là. Non ce n’est pas un chef d’œuvre mais un témoignage poignant ; c’était le livre dont j’avais besoin, pour survivre. Introduction du livre :

Collision sur la R.N.10 entre une voiture et un camion : un mort, un blessé grave.
Un très grave accident de la route a eu lieu […] De cette amas de tôles informes les sapeurs-pompiers devaient dégager les corps de M. Pascal Bonafoux, très grièvement blessé, et celui de son épouse tuée sur le coup.

Cela se passe en 1977 et le livre sort en janvier 1987, l’auteur y raconte ce qu’il a vécu pendant des mois durant lesquels il prenait des notes, ce qui était sa manière à lui de lutter contre la souffrance et la peur.
Je l’achetai donc, le lus; sa souffrance était la mienne – la perte de l’être aimé – et pour lui la souffrance physique en sus, pire que la mienne puisque moi j’étais saine et sauve (enfin, pas si sûr). Mais le lire me fit tant de bien, m’aida tellement à vouloir continuer de vivre pour être digne de toi, que je voulus absolument le dire à l’auteur. Je cherchai sur le Minitel (nous étions en 1987) par hasard une adresse et je la trouvai, il n’y avait qu’un Pascal Bonafoux, une chance; je lui écrivis, une longue lettre. Le 21 janvier 1987 – je trouvais cette date d’une incroyable coïncidence, nous nous sommes rencontrés le 21 janvier 1977 mon Amour - il me répondit, je n'en revenais pas. J'ouvris  fébrilement l'enveloppe, son nom était au dos.

Après j’ai acheté tous ses romans, il y en a peu à vrai dire et des livres d’art avec ses textes, très documentés, dans la belle édition SKIRA : Les Impressionnistes, Portraits et Confidences ; VAN GOGH par VINCENT ; REMBRANDT, AUTOPORTRAIT un magnifique ouvrage épuisé chez l’éditeur mais que l’on peut trouver d’occasion. Pascal Bonafoux est historien d'art.





Ces impressionnistes font très dandys,
seul Pissaro est très original dans son costume


J'ai rajouté à ces livres dédicacés un autre livre - qui m’a été offert par un ami, je l’avais déjà lu (évidemment puisqu'il s'agit de Jean-Philippe Toussaint), il m’avait beaucoup plu, ce cadeau en était d’autant plus précieux, plus émouvant que l'ami ne le savait pas. À l’intérieur il n’y a pas de dédicace de l’auteur mais la sienne avec des mots d’une tendresse infinie sur une carte postale romaine. A vrai dire je pourrais rajouter aux livres dédicacés, les livres qu'un autre ami très cher m'a offerts; il ne s'est jamais trompé dans ses choix, il m'a révélé des auteurs que je ne connaissais pas et qui m'ont enthousiasmée. Je considère ses choix comme une dédicace personnelle; d'ailleurs chaque livre est accompagné d'une magnifique lettre.

Je ne cours pas après les signatures, je serais incapable de faire la queue pour en obtenir, j’aurais plutôt besoin de croire que l’auteur n’est là que pour moi, comme cette impression d’intimité que j’aie en tenant un livre dans mes mains, de prendre ces mots, adressés à moi seule.

"On ne peut être content de soi
que lorsqu’on se rappelle ces instants où,
selon un mot japonais, on a perçu le ah ! des choses."

Cioran, Ecartèlements.

(Cette phrase figure en exergue de Blessé grave).



vendredi 26 novembre 2010

Théâtre, d'après Henrik Ibsen

D'après Une Maison de Poupée
Henrik Ibsen/ Daniel Véronèse

Vu avant-hier soir cette pièce de théâtre, d’après Une maison de poupée de Ibsen adaptée par le metteur en scène argentin Daniel Véronèse. J’y suis allée à reculons. J’aime les films en V.O. mais l’idée d’aller voir une pièce de théâtre dans une langue étrangère (espagnol) et surtitrée me rebutait un peu. Au début j’étais un peu perturbée, je m’attardais trop sur le surtitrage et n’arrivais pas à regarder les acteurs en même temps puis au bout d’une dizaine de minutes mon cerveau s’est mis au diapason et très rapidement je n’ai plus eu aucun effort à faire, j’étais rentrée dans la pièce à fond et je pus savourer le texte et le jeu des comédiens, excellents. Le couple Jorge et Nora est remarquable.
"Ils ont des corps tout droit sortis de la "vraie" vie et sont d'une criante vérité humaine".
Le Monde.
"Ce qui frappe dans ce dispositif proche parfois de la sitcom, c'est la rapidité du rythme, à l'opposé du développement progressif de l'original. [...] l'incommunicabilité est à son comble. [...] Dense, subtil, drôle et remarquablement articulé. [...] Daniel Véronèse dépoussière radicalement le mythe Ibsen, entre ironie légère et tension impitoyable. Il taille au scalpel dans la chair du texte pour en mettre à nu les ressorts à la lumière de notre époque."Les inrockuptibles.
A voir.
• Les 23 et 24 novembre 2010 au Théâtre de Cornouaille, Quimper
• Le 26 novembre 2010 à Bar Le Duc
• Du 30 novembre au 2 décembre 2010 à l'Espace des Arts, Chalon sur Saône
• Les 4 et 5 décembre 2010 au Théâtre Garonne, Toulouse
• Le 7 décembre 2010, Théâtres en Dracénie, Draguignan
• Les 11 et 12 mars 2011 à L'Onde, Velizy
• Le 14 mars 2011, Chaux de fonds [Suisse]
• Le 16 mars 2011 - version de « Maison de poupée » au Théâtre d'Arles
• Les 18 et 19 mars 2011 à Chateauvallon, Ollioules
• Le 22 mars 2011 à l'ATP d'Aix en Provence
• Les 24 et 25 mars 2011, Sortie Ouest, Beziers
• Le 29 mars 2011 à la Scène nationale d' Aubusson
• Du 31 mars au 2 avril 2011 au CDN de Sartrouville
• Du 5 au 17 avril 2011, Les Célestins, Lyon

jeudi 25 novembre 2010

La journée de la jupe


Ah mon dieu comment faire pour soutenir Ni putes ni soumises en ce jour de la journée de la jupe ! Je ne porte plus depuis longtemps que des pantalons et je ne trouve rien de plus sexy et de plus féminin qu’une femme en smoking, comme l’a créé YSL.


C’est tout de même un comble : "Ni putes ni soumises présente la jupe comme un symbole de résistance. N'a-t-elle pas pourtant surtout été longtemps symbole de la domination masculine?"

Mais c’est décidé, aujourd’hui je vais mettre une jupe. Non mais ! Ah ah ! Un seul modèle dans mon garde-pantalons, datant d’il y a bien trente ans, merci maman (décidément je ne pense qu’à toi ces jours-ci) pour tes achats de vêtements de qualité et ta chère formule : "je n’ai pas les moyens d’acheter des cochonneries", c’est encore toi qui me l’avais offerte lors de notre séjour à Jersey, pur cashemere, je me mords les doigts, elle est d’une douceur extrême et je me demande en effet pourquoi je ne la porte pas à la maison. Mais non, je reste adepte du pantalon, n’en déplaise à ces messieurs et n’allez pas croire que pour leur plaire je vais mettre des porte- jarretelles et des escarpins. Hé ho !
Musique maestro pour le "défilé" de mode! Je voulais mettre La the nana de Léo ferré mais impossible de l'avoir, chantée par Léo.



Les yeux baissés...


Les genoux serrés...
Ne fais-je pas un peu Lolita?
Bof, quand on coupe la tête et bien couverte je peux encore tromper mon monde non ? Oh la gonflée. Ne pas fantasmer : j'ai des cheveux gris et des rides, n'en parlons pas!

mercredi 24 novembre 2010

Où est la vraie vie


Et pourquoi ne serait-elle pas ici la mienne? C'est ici que je me sens moi. C'est pour cela qu'il va m'être difficile d'arrêter, mais tout n'est que question de volonté! Et puis, il faut que je dépasse le stade de l'adolescence, ça urge maintenant.
Chienne de solitude.
Hier soir, Annie Girardot, beau reportage dans Une vie un destin. Claudia Cardinale dit d'elle : "elle était normale, ce n'était pas une diva, sa beauté était intérieure". Non merde! Sa beauté était partout, pas seulement intérieure, sur son visage, dans ses gestes, dans sa voix. Elle s'est perdue d'amour pour Renato, un affreux macho. Elle était belle, point.
Claude Lelouch fut plus juste : "c'est une femme normale. Il n'y a rien de plus sexy qu'une femme normale". Très joli.

Je ne sais pas si j'ai bien fait de regarder ce documentaire, j'ai encore rêvé de toi maman et de la maladie d'Alzheimer. Je t'apercevais de dos, avec ton imperméable Burberry's (of course) et tu étais avec ta soeur (ma tante), de dos aussi, ton opposée dans le look et dans tout d'ailleurs; je suis venue vers vous, entre vous deux et je vous ai prises par la taille. Tu m'as encore dit : tu es qui toi? Mon rêve s'est éteint là.

Ce matin, toujours Proust. Raphaël Enthoven, on le déteste ou on l'aime. Si les NCC me passionnent autant c'est aussi grâce à lui.

Premier gel de la saison. Enième matin mélancolique... très grande mélancolie, je m'y vautre. Et j'écoute Cécilia Bartoli qui chante Rossini, Fellon, la peina avrai, Elisabetta, Regina d'Inghilterra :

Elisabetta
La douce satisfaction de tous
plaît à mon âme;
voici enfin venu l'heureux instant
où nous pouvons respirer librement.

Choeur
Après tant de vicissitudes, notre reine,
vous pourrez recommencer à respirer,
la paix dans l'âme.

Elisabetta
Quel bonheur!
Mon coeur le comprend bien,
palpitant de joie;
je reverrai mon bien-aimé,
qui m'emplit d'amour.

Allez, foin de mélancolie, il me faut toute mon énergie pour exposer clairement d'autres douleurs cette après-midi... ailleurs.

mardi 23 novembre 2010

Les homards n'aboient pas

Gérard de Nerval (1808-1855)
Photographie de Nadar

Les écrivains

Où fuir ? Où me cacher ? Quel déluge d'écrits,
En ce siècle falot vient infecter Paris,
En vain j'ai reculé devant le Solitaire,
Ô Dieu du mauvais goût ! Faut-il donc pour te plaire
Entasser des grands mots toujours vides de sens,
Chanter l'homme des nuits, ou l'esprit des torrents,
Mais en vain j'ai voulu faire entrer dans ma tête,
La foudre qui soupire au sein de la tempête,
Devant le Renégat j'ai pâli de frayeur ;
Et je ne sais pourquoi les esprits me font peur.

Ô grand Hugo, poète et raisonneur habile,
Viens me montrer cet art et grand et difficile,
Par lequel, le talent fait admirer aux sots,
Des vers, peut-être obscurs, mais riches de grands mots.
Ô Racine, Boileau ! vous n'étiez pas poètes,
Déposez les lauriers qui parèrent vos têtes,
Laissez à nos auteurs cet encens mérité,
Qui n'enivra jamais la médiocrité ;
Que vos vers relégués avec ceux de Virgile,
Fassent encore l'ennui d'un Public imbécile,
Ils sont plats, peu sonnants, et souvent ennuyeux,
C'était peut-être assez pour nos tristes ayeux,
Esprits lourds et bornés, sans goût et sans usage,
Mais tout se perfectionne avec le temps et l'âge.

C'est comme vous parlez, ô sublimes auteurs,
Il ne faut pas, dit-on, disputer des couleurs,
Cependant repoussant le style Romantique
J'ose encor, malgré vous, admirer le classique
Je suis original, je le sais, j'en conviens,
Mais vous du Romantisme, ô glorieux soutiens,
Allez dans quelques clubs ou dans l'Académie
Lire les beaux produits de votre lourd génie,
Sans doute ce jour-là vous serez mis à neuf,
Paré d'un long jabot et d'un habit d'Elbeuf
Vous ferez retentir dans l'illustre assemblée,
Les sons lourds et plaintifs d'une muse ampoulée.

Quoi, misérable auteur que vieillit le travail,
Voilà donc le motif de tout cet attirail,
Surnuméraire obscur du Temple de la gloire,
Tu cherches les bravos d'un nombreux auditoire.
Eh quoi, tu ne crains pas que quelques longs sifflets,
Remplissent le salon de leurs sons indiscrets
Couvrant ta lourde voix au sortir de l'exorde,
En te faisant crier, grâce, Miséricorde !
Et c'était pour l'appât des applaudissements ?
Que dans ton cabinet tu séchas si longtemps ;
Voilà donc le motif de ta longue espérance
Quoi tout fut pour la gloire, et rien pour la science ?
Le savoir n'aurait donc aucun charme puissant
S'il n'était pas suivi d'un triomphe brillant,
Et tu lui préféras une vaine fumée,
Qui n'est pas la solide et bonne renommée
Sans compter direz-vous combien il est flatteur
D'entendre murmurer : C'est lui, ce grand auteur,
D'entendre le publie en citer des passages,
Et même après la mort admirer ses ouvrages ;
Pour le défunt, dis-tu, quel triomphe éclatant,
Sans doute pour le mort c'est un grand agrément
Sa gloire embellira sa demeure dernière,
La terre qui le couvre en est bien plus légère.

Ah ! C'est trop vous moquer de nos auteurs nouveaux,
Dis-tu, lorsque vous-même avez tous leurs défauts,
Mais en vain vous voulez censurer leurs ouvrages,
Vous les verrez toujours postuler des suffrages
Vous les verrez toujours occupés tout entiers,
A tirer leurs écrits des mains des Épiciers.
Mais vous, qui paraissez faire le moraliste,
De l'état d'Apollon ennuyeux rigoriste
Que retirez-vous de vos discours moraux ?
La haine des auteurs, et l'amitié des sots.

Ô toi qui me tint lieu jusqu'ici d'auditoire
Me crois-tu donc vraiment insensible à la gloire !
Si ma Plume jamais produisait des écrits ;
Qui ravissent la palme à tous nos beaux esprits.
J'aimerais à gagner un hommage sincère,
Mais je plains ton orgueil, Écrivain téméraire
Qui croit que les bravos qu'à dîner tu reçois,
Témoignent ton mérite, et sont de bon aloi.

Et cet Auteur encor qui sur la Place invite
A son maigre dîner, un maigre Parasite
Et qui lui dit ensuite à la fin du repas,
" Amis, parlez sans fraude, et ne me flattez pas,
" Trouvez-vous mes vers bons ? Dites en conscience "
Peut-il à votre avis dire ce qu'il en pense ?

En plein barreau Damis est traité de voleur
Il prend pour sa défense un célèbre orateur
Comment défendra-t-il une cause pareille ?
Par des mots, de grands mots, et l'on dira, Merveille !

Eh ! Quoi peuple ignorant, vous gardez vos bravos,
Et vos cris répétés pour encenser les sots,
Croyez-vous qu'en chantant une chanson risible,
Un Pauvre à ses malheurs me rende bien sensible
Non, à d'autres plus sots il pourra s'adresser,
Et le vrai, le vrai seul pourra m'intéresser.


(1825)
Gérard de Nerval

Je suis tombée par hasard sur ce poème que je trouve magnifique et très moderne.

Apollinaire dans La vie anecdotique raconte :

"Un jour, dans le jardin du Palais-Royal, on vit Gérard traînant un homard vivant au bout d’un ruban bleu. L’histoire circula dans Paris et comme ses amis s’étonnaient, il répondit:

En quoi un homard est-il plus ridicule qu’un chien, qu’un chat, qu’une gazelle, qu’un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J’ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n’aboient pas…"

Au bas d'un portrait photographique de lui, Gérard de Nerval écrivit : "Je suis l'autre."

lundi 22 novembre 2010

Sans voix je crie, j'écris, je ris

Ce besoin d’écrire est né du silence de mes jours. Ce silence comblé par l’écriture comme une parole sans voix. C’est un cri intérieur. Quand je reste des jours sans émettre un son je me mets à parler tout haut, il m’arrive aussi de lire à voix haute, pour vérifier que je ne suis pas aphone. Parfois, mon téléphone sonne, après des jours dans le silence ; je décroche, je sais qui est au bout du fil, le nom s’affiche et je parle, d’une voix éraillée, de cette voix qui n’a pas émis un son depuis des jours et qui s’est enrayée, à ne plus parler. Mon frère me dit : tu vas bien ? Tu es enrouée ! Alors je me racle la gorge pour éclaircir ma voix et au bout de quelques minutes je la retrouve. Je lui réponds : oui je vais bien, non je ne suis pas enrhumée, j’ai un chat dans la gorge et je me racle à nouveau pour, cette fois parler enfin d’une voix claire. Je ne vais tout de même pas lui dire : je n’ai pas parlé depuis…huit jours.

Alors j’écris, écrire pour moi c’est parler. Quand j’écris, même sans voix, je m’entends. Mes mots ont un son et c’est bien celui de ma voix.

Hier j’ai un peu parlé, à voix haute, en sortant du cinéma ; avec mon amie nous sommes allées voir Potiche. Moment de détente. J’ai trouvé ce film, excellent ? Oui !

Ce matin je repensais à cette phrase entendue la veille tirée d’un poème de Paul-Jean Toulet* (un ami éclairé vient de m'indiquer qu'il ne s'agit pas de Gérard de Nerval comme je l'avais supposé, et dieu sait qu'il s'y connaît!) : "Prends garde à la douceur des choses", je l’entendais comme un avertissement à ne pas me laisser submerger par mes sentiments. Mais comment ne pas l’être, en écoutant ce matin parler - une fois encore et un plaisir renouvelé - de Marcel Proust et d’entendre la merveilleuse analyse de A la recherche du temps perdu. Sujet de la matinée : Albertine.
"Albertine ne désire pas, elle jouit. Elle est sans arrêt dans la jouissance. On ne pénètre pas Albertine, on la caresse. Elle est le principe du plaisir absolu ".
Mais aussi cet étrange regard sur ses yeux, qui passent du noir au bleu.
Et sur la jalousie, cette intéressante réflexion : on n’est pas jaloux parce qu’on aime mais, on aime parce qu’on est jaloux.
Quelle délice d'écouter cela.

J’ai souvent rêvé, imaginé que je vivais avec un homme que j’aimais et que nous partagions des moments d’écoute, nous vibrions de concert, mus par les mêmes sentiments, au même instant. Je pensais que cet homme-là ne pouvait pas exister, qu'un homme ne pouvait pas aimer les mêmes choses que moi.
Ce matin en écoutant les NCC j’ai eu une impression étrange, comme s’il existait... quelque part...

*
Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,

Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas si c'est d'amour,
Au bord des tombes.


Paul-Jean Toulet (1867-1920)

samedi 20 novembre 2010

Clown triste

Je ne me trouve rien d’aimable et je me demande pourquoi on m’aime, parfois. Je ne dois mettre que le bon, le beau côté de moi en évidence, sans m’en rendre compte. Je ne suis pas celle qu’on croie. Il faudrait vivre avec moi pour le savoir. Je l'ai déjà écrit, je radote. Il faudrait m’aimer d’un amour fou pour me supporter (même de loin). Toi tu me pardonnais tout, mes caprices, ma mauvaise tête des mauvais jours ; tu en riais et cela m'énervait mais me faisait t’aimer encore plus. Il y a en moi autant de douceur que de violence mais l’un n’équilibre malheureusement pas l’autre.

J’ai parfois l’impression de tout gâcher, de m’enfoncer dans ce gâchis. A vouloir tout dire je me détruis. Ma matinée fut lourde, triste. En début d’après-midi j’ai voulu faire le vide, j’ai allumé la télévision, zappé sur toutes les chaînes ; je ne peux plus regarder la télévision, ça m’ennuie mortellement. J’ai éteint, j’ai allumé la radio, France Culture, ma chère France Culture, 14 h 10, je tombe sur Pierre Etaix dans l’émission Projection privée, l’intégrale de son œuvre sort en DVD. Il parle de sa formation de clown, de son admiration pour Charlie Chaplin, Buster Keaton, oui vraiment, la radio c’est mille fois mieux que la télévision. Zut, j’aurais dû enregistrer le court métrage sur Arte hier soir Heureux anniversaire. Il ne faut pas que je reste enfermée aujourd’hui. Ma jambe est bloquée, tant pis, je vais aller la débloquer ou la tétaniser complètement au golf. Ça m’est égal, tout m’est égal aujourd’hui.

Je suis rentrée du golf, comme prévu, la jambe tétanisée, je ne pourrai donc pas faire la compétition demain. Dommage, ça m’aurait empêché de ruminer. Je lirai, si je peux, il faut avoir l’esprit libre, disponible pour la lecture. J’ai relu d’une traite l’autre soir La littérature à l’estomac de Julien Gracq, ça m’est un peu resté sur l’estomac comme quand je mange un truc amer. Il n’y va pas de main morte mais il a raison. La lecture a ceci de particulier, c’est qu’on la reçoit différemment selon nos états d’âme. Je pense que mes états d’âme en ce moment seront plus satisfaits par Joë Bousquet.

Chapitre I, première phrase :

"Enfant je devais être d’un naturel assez soumis. Je ne me suis pas révolté contre l’autorité paternelle avant la fin de ma treizième année ; mais, ce fameux dimanche là avec une violence, il est vrai, qui a pour toujours enlevé à ma famille l’envie de m’exaspérer. Et soit que son coup d’œil médical ait montré à mon père une névrose en marche dans mon accès de fureur, soit qu’il m’aimât assez pour me craindre, soit qu’il eût compris ses torts, il parût désormais avoir puisé une profitable leçon d’indulgence dans la scène d’hystérie qu’il avait involontairement déchaînée."
Joë Bousquet, in Le pays des armes rouillées, éditions Rougerie, 1982.
Voilà un début qui me parle. Julien Gracq se moquerait de moi. Ainsi dit-il :

"A partir du moment où il existe un public littéraire (c’est-à-dire depuis qu’il y a une littérature) le lecteur, placé en face d’une variété d’écrivains et d’œuvres, y réagit de deux manières : par un goût et par une opinion. Placé en tête-à-tête avec un texte, le même déclic intérieur qui joue en nous, sans règle et sans raisons, à la rencontre d’un être va produire en lui : il "aime" ou il "n’aime" pas, il est, ou il n’est pas, à son affaire, il éprouve, ou n’éprouve pas, au fil des pages ce sentiment de légèreté, de liberté délestée et pourtant happée à mesure, qu’on pourrait comparer à la sensation du stayer aspiré dans les remous de son entraîneur ;[…]".
Julien Gracq, in La LITTERATURE à l’estomac, Librairie José Corti, 1950.

La littérature, la musique parviennent à masquer mes chagrins… mais ne les apaisent pas.

Que sera ma soirée, je n’ai le cœur à rien, et surtout pas à lire. Je me sens comme un clown triste. Alors je vais revisionner mes enregistrements sur L’expressionnisme abstrait : Jackson Pollock, Robert Motherwell et Jasper Johns. Il y a au moins trois ans que je ne les ai pas revus. Oui, c’est une bonne idée. Littérature, musique, peinture, je peux toujours finalement satisfaire mes états d’âme, selon.

vendredi 19 novembre 2010

Futile apparence


Quelle femme vieillissante ne se sera postée devant son miroir, n’aura posé ses mains sur son visage et tiré ses joues vers ses oreilles pour tenter de supprimer ses rides, lisser sa peau flétrie.
Même toi maman, je m’en souviens, pourtant tu n’étais pas une femme qui semblait préoccupée par son vieillissement et tu n’avais pas à l’être, tu étais belle, avec tes rides.

Je n’oublierais jamais ce jour – c’était peu de temps, un an peut-être, avant que l’Alzheimer ne s’abatte sur toi - nous étions toutes les deux dans la salle-de-bains à nous démaquiller ; je devais avoir 37 ou 38 ans et tu fis ce geste quaujourd’hui il m’arrive de faire devant mon miroir en riant toute seule, me souvenant de notre éclat de rire quand tu lissas ton visage en tirant sur ta peau. On ne parlait pas encore à l’époque de lifting, de botox, de laser, de collagène, d’acide hyaluronique ! Ton seul soin de beauté c’était la crème que tu mettais matin et soir, le matin tu rajoutais un voile de poudre avec ta houppette. C’était pour l’époque une crème de luxe, que tu trouvais chère – Harriet Hubbard Ayer –, tu l'achetais chez mon parrain, il avait une parfumerie dans le centre ville ; le pingre, il aurait pu t’en faire cadeau ou une bonne réduction ! Je revois ce gros pot blanc et je sens encore son odeur. Cette marque existe toujours (merci Google).

Ce fut un moment joyeux bien plus que cette autre fois, deux ans plus tard, j’en suis sûre maintenant, deux ans plus tard. Mon Amour était mort entre temps. Je vivais toujours à Paris et je t’appelais tous les jours! J’avais trouvé que tu me répondais parfois bizarrement et j’étais inquiète. J’avais pu me libérer deux jours plus le week-end et j’étais venue te voir en Bretagne. Nous étions à nouveau avant de nous coucher dans la salle-de-bains à nous démaquiller. Je te revois comme si c’était hier, nous nous regardions dans la glace, ton regard était moins pétillant, plus perdu, tu me dis : et comment va ton mari ? Non seulement tu avais oublié son prénom mais oublié qu’il était mort quelques mois plus tôt. Inutile d’espérer que tu te souvins du tien, mon père, mort vingt ans plus tôt.

J’ai cru que j’allais pleurer mais je tins bon. Je compris que le pire venait d’arriver. Le lendemain soir tu me posas cette question : tu t’appelles comment ?

Alors l’apparence, les rides, n’est-ce pas, comme tout cela est futile.

Maman, tu étais drôlement belle. (Vous étiez drôlement beaux).

12 mai 1936

Ma petite maman… j’ai rêvé de toi cette nuit et c’était un beau rêve.

Tu étais gênée par le soleil, gênée aussi d'être prise en photo et pourtant heureuse, cela se voit. Je te tenais par la taille, je ne regardais pas l'objectif, je te regardais.
C'est mon Amour qui nous prenait. Nous étions à Jersey.

jeudi 18 novembre 2010

Savoir-Etre ou Mourir, le dandysme

Je ne devais rien écrire ce soir mais je me sens si lasse qu'il faut que je me raccroche à quelque chose, alors pourquoi pas écrire ici, sans faire de brouillon comme une sorte d'écriture automatique? C'est horrible! Mais tout est horrible aujourd'hui, il y a des jours comme cela et c'est souvent après un jour heureux que le lendemain est plus noir que noir.

Toute la semaine fut consacrée sur les NCC au snobisme : Le snobisme, en être ou ne pas en être. J’ai surtout écouté attentivement l’émission consacrée au snobisme et au dandysme. Je résume ce qui a éveillé mon attention mais on peut réécouter ici toutes les émissions. Il faut savoir aussi qu’il y a le snobisme des anti-snobs. Il y a le snob qui voulant faire partie d’une certaine classe, d’une certaine élite, y parvient, puis une fois parvenu à s’intégrer à ce cercle de snobs, veut se distinguer en le dénigrant. Le snobisme chez Proust fut l’émission la plus passionnante.
Snobisme et dandysme. George Bryan Brummel fut à l'origine du dandysme. Mon titre est emprunté à ce lien.
Le snob n’est pas rebelle, le dandy l’est (Oscar Wilde, Baudelaire, Balzac, John Keats). Le dandy est un être singulier, indéfinissable. Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne fait l’éloge du dandy ; ce texte est remarquable. Le dandy échappe par définition à la définition. Il ne s’occupe pas que de son apparence ; le paraître c’est le souci de l’apparence, c’est de la vanité. Chez le dandy c’est plus profond, le paraître et l’être se réunissent, l’âme et le corps ne font qu’un. Il ne lui suffit pas d’être distingué, élégant, il veut être différent. Le dandy se pose en s’opposant. Roland Barthes parle de "la sainteté du frivole" comme quelque chose de divin, il prenait pour exemple le visage de Greta Garbo, divin, dans le sens de déesse. Elle incarnait le dandysme féminin, comme George Sand.
Qu’en est-il de la vanité ?
La vanité est le point commun entre le snobisme et le dandysme. Le snobisme confond peut-être la vanité avec l’orgueil alors que le dandysme aurait davantage l’intuition que la vanité relève du néant.
Balzac dans le Traité de la vie élégante distingue l’élégance, du snobisme, mais il dit que l’élégance comme le snobisme c’est une affectation, une boursouflure, un excès du dandysme.
"L'homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. La vie élégante n’exclut ni la pensée, ni la science; elle les consacre".
Oscar Wilde, Charles Baudelaire, John Keats sont tous des dandies (ou dandys) épris de liberté, ce sont à leur manière des marginaux et parfois même des anarchistes. Ces dandies sont tout sauf snobs, ils prônent au contraire une immense liberté, ce sont des êtres paradoxaux.
Il y a un ascétisme dans le dandysme. Il y aurait encore à dire sur leur relation à l'amour, l'argent (le moindre de leur souci), la mort...

Pour terminer je retranscris cet extrait qui a clos l’émission :

" Non, vous ne l’éprouverez pour l’instant. Un jour, quand vous serez vieux, flétri et laid, quand les pensées auront marqué votre front de leurs rides et que la passion aura marqué vos lèvres de ses feux hideux, vous l’éprouverez ; vous l’éprouverez, atrocement. Pour le moment où que vous alliez vous charmez le monde entier. En sera-t-il toujours ainsi ? Vous avez un visage d’une admirable beauté monsieur Gray, ne froncez pas le sourcil, c’est la vérité ; et la beauté est une forme de génie, supérieure en fait au génie car elle ne requiert aucune explication ; elle est l’une des grandes réalités de notre monde, comme l’éclat du soleil, le printemps ou la réflexion dans des eaux sombres de cette conque d’argent que nous appelons la lune. Impossible de la mettre en doute, elle est de droit divin, souveraine, elle change en prince ceux qui la possèdent. Vous souriez ? Ah ! quand vous l’aurez perdue vous ne sourirez plus. On dit parfois que la beauté n’est que superficielle, cela se peut mais du moins n’est-elle pas aussi superficielle que la pensée. Pour moi la beauté est la merveille des merveilles, seuls les esprits superficiels refusent de juger sur les apparences. Le véritable mystère du monde c’est le visible et non pas l’invisible, oui monsieur Gray. Les dieux vous ont été propices mais ce que donnent les dieux ils ont tôt fait de le reprendre.
Ah ! réalisez votre jeunesse pendant que vous la détenez, ne dilapidez pas l’or de vos jours à écouter les raseurs, à essayer d’améliorer les ratés indécrottables ou à abandonner votre vie aux gens ignorants, communs ou vulgaires. Ce sont là les objectifs malsains, les faux idéaux de notre époque. Vivez, vivez la vie merveilleuse qui est en vous. Ne vous laissez perdre, recherchez inlassablement de nouvelles sensations, n’ayez peur de rien. Un nouvel hédonisme, voilà ce qu’il faut à notre siècle ; vous pourriez en être le symbole visible. Avec la personnalité qui est la vôtre, il n’est rien que vous ne puissiez faire, le monde vous appartient, le temps d’une saison."


Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray.

"Tout esprit profond a besoin d'un masque pour échapper au jugement d'autrui".
Nietzsche.

mercredi 17 novembre 2010

Ecrire la liberté

Ce fut une journée ordinaire, mais épatante.
Messe quotidienne, les NCC et cette semaine passionnante sur le snobisme, le dandysme et donc ce matin avec Proust, A la recherche… Je reviendrai sur le sujet.
Puis je reçois trois mots : je presse ces trois mots contre mon cœur.
Après cela, comment dire, je fus sur un nuage toute la journée, animée d’une folle énergie. Qu’en ai-je fait ? J’ai dégivré mon congélateur en écoutant Callas ; le moment était tout à fait adapté, je crois que le feu qui était en moi a fait fondre l’épaisse couche de givre en deux temps trois mouvements.

Après-midi à la médiathèque. En rendant mon Gros-Câlin j’apprends que quelqu’un l’a réservé. Le chanceux ou la chanceuse ! Il n’y avait rien d’autre de disponible de cet auteur donc je suis revenue avec d’autres ouvrages, dont celui-ci que je viens de m’empresser de commander. Oui, il m’arrive d’acheter des livres que j’emprunte. Celui-ci donc, dès que je l’ai feuilleté j’ai eu envie de l’avoir dans ma bibliothèque :


Simone de Beauvoir, Ecrire la liberté de Jacques Deguy et Sylvie Le Bon de Beauvoir, Découvertes Gallimard, Littérature, 2008. Il y a plein de photos superbes. Comme celles-ci.


Qui a dit que les femmes féministes sont des laiderons ? Je la trouve vraiment belle. Ce petit livre est très complet avec un condensé de ce que fut sa vie, sa lutte, son écriture, son compagnonnage avec Sartre et en fin d’ouvrage des témoignages : Le Castor au miroir des autres, des documents et quelques extraits de sa correspondance amoureuse avec Nelson Algren (que j’ai lue lors de sa parution et qui d’ailleurs m’avait un peu déçue. Pourquoi ? Parce que je découvrais une femme comme les autres quand elle est amoureuse et que j’avais espéré lire des lettres plus intenses. Je pense par exemple à celles d’Anaïs Nin avec Henry Miller, bien plus foudroyantes). Extrait, Simone de Beauvoir rentre de New York où elle avait rejoint son amant. Cette passion réciproque se heurte cependant à la distance qui les sépare et à la différence de leurs vies d’écrivains :

Vendredi 26 septembre 1947.
Nelson, mon amour. Ça commence : vous me manquez, je vous attends, j’attends le jour béni où vous me serrerez à nouveau dans vos bras aimants et forts. Ça fait grand mal, Nelson ; mais tant mieux cette dure souffrance est de l’amour et vous m’aimez aussi, je le sais. Vous êtes si proche et si lointain, si lointain et si proche, mon bien-aimé […] Je veux communiquer aux gens la manière de penser qui est la mienne et que je crois vraie. Je pourrais renoncer aux voyages, à toutes les distractions, je pourrais laisser tomber mes amis et quitter les douceurs de Paris pour rester à jamais avec vous ; mais je ne pourrais pas vivre uniquement de bonheur et d’amour, je ne pourrais renoncer à écrire et à travailler dans le seul lieu du monde où mes livres et mon travail ont un sens. Mon amour, cela ne doit créer aucun conflit entre nous ; au contraire, je me sens très proche de vous dans cette lutte pour ce que je crois vrai et juste, vous aussi vous luttez. Mais tout en sachant que c’est bien ainsi, je ne peux m’empêcher de sangloter comme une folle ce soir ; j’ai été si heureuse avec vous, je vous aimais tant, vous êtes si loin.


Et voici ce qu’elle écrivait sept ans plus tôt à Sartre, son véritable amour, l’homme de sa vie. En mai 1940 Sartre est fait prisonnier.

Mercredi [fin juillet] 1940.
Mon amour,
Je suis un peu bien (sic) découragée – voici la fin de mois qui approche et il n’y a aucun signe de vous. Je me demande si mes lettres vous arrivent, j’ai tellement idée que non que ça m’en dégoûte d’écrire. Comme j’ai envie de vous voir – je rêve de vous chaque nuit, et toujours dans une atmosphère de cauchemar – et les réveils sont si pénibles – je me demande vaguement dans le sommeil pourquoi il y a une telle impression de tristesse liée à votre personne – et puis c’est parce que vous êtes hors de toute atteinte, mon amour. Je vous aime, il me vient des tas et des tas de souvenirs à fendre l’âme et je m’étonne de toutes les vertus qui vous parent dans ma mémoire et je sais que quand je vous verrai je serai encore plus étonnée de vous retrouver plus délectable que tous mes souvenirs. Mon doux petit, je ne peux pas m’empêcher de pleurer ce matin en vous écrivant tant j’ai envie de vous voir sourire, de toucher votre petit bras, d’être enfermée dans vos bras mon amour – cher petit être, cher visage ; comme vous étiez gentil avec moi, comme vous étiez précieux. Ah ! je m’ennuie de vous, je me languis de vous, le monde est vide (…) comme les jours sont plats. Je me sens d’une solitude profonde, sauf avec moi-même je ne peux échanger aucuns mots que je pense vraiment. Je ne fais rien que vous attendre du matin au soir tous les jours.
[…]
Il paraît qu’on va pouvoir envoyer des colis – j’y mettrai tous les livres que je pourrai et des victuailles.
[…]
Au revoir. Mon amour. Si seulement je croyais que ces lettres arrivent. Je suis toujours gaillarde quant au fond, mais j’ai une envie vraiment déchirante de vous voir – rien ne compte que cela. Vous m’êtes tellement présent, presque physiquement, petit être, tout cher petit être. Je suis toute effondrée de tendresse pour vous. Mon amour.
Votre charmant Castor.


Ci-après des notes relevées dans Télérama qui ne parlent évidemment pas de ces lettres (qui pourraient être de n'importe quelle inconnue aimante) mais de son écriture dans un sens plus général. "Certains ont moqué la langue de Simone de Beauvoir, jugée trop automatique, utilitaire, voire bâclée. A la relecture, ses textes frappent au contraire par leur souffle, leur lyrisme, leur puissance. On y sent un premier jet très vif, lucide et acide. "Elle invente un style, entre parole et écriture, analyse Danièle Sallenave. C'est une langue que j'appellerais "parole vive", une adresse impérieuse en forme de prise de pouvoir ; elle vise un objet, interpelle le lecteur. A la fin des années 60, elle se situe aux antipodes des thèses dominantes, qui prônent la mort de l'auteur, l'intransitivité." Simone de Beauvoir n'a jamais prétendu détrôner les grands de la littérature. A la fin de Tout compte fait, elle s'incline même : "Je n'ai pas été une virtuose de l'écriture. Je n'ai pas, comme Virginia Woolf, Proust, Joyce, ressuscité le chatoiement des sensations et capté dans des mots le monde extérieur. Mais tel n'était pas mon dessein. Je voulais me faire exister pour les autres en leur communiquant, de la manière la plus directe, le goût de ma vie. ""
Télérama, janvier 2008.

A part Simone de Beauvoir, j’ai emprunté un livre de Joë Bousquet, Le pays des armes rouillées, Mémoires, éditions Rougerie et Julien Gracq, La littérature à l’estomac (déjà lu). En fait ce sont trois livres peu épais, j’aime les "petits" livres des grands auteurs. En cours, toujours, Romain Gary, La nuit sera calme.

J’ai terminé mon passage à la médiathèque par une visite de l’exposition Années 20 - Années 30, Les esthétiques du livre :
L'entre-deux-guerres est une période éditoriale foisonnante, où les progrès techniques de l'édition le disputent à la création graphique. L'exposition dresse un panorama de la production éditoriale bretonne, mais aussi française, des « années folles » au Front populaire.

Me revient le souvenir du tournage du téléfilm de Daniel Vigne en 1996 avec Stéphane Freiss, Anthony Delon, Mathilde Seigner et deux jours de figuration en plein hiver, des heures d'attente à nous geler (les figurants) à Locronan et Pont Croix.





Après cette belle journée je pouvais rentrer le coeur léger, j'avais de quoi passer quelques heures en bonne compagnie. Je pensais à ces trois mots qui m'étaient destinés, je riais de bonheur.

mardi 16 novembre 2010

La part du feu

"[...] je vis très replié sur moi-même... Et je n'éprouve aucun frisson d'amour-propre à l'idée de m'ouvrir à n'importe qui - j'aime bien "n'importe qui", c'est un copain - et de me livrer à l'"opinion publique", parce que mon "je" ne me contraint à aucun égard envers moi-même, bien au contraire. Il y a la part de l'exhibitionnisme, et il y a la part du feu. Le lecteur décidera lui-même s'il s'agit de l'un ou de l'autre."
Romain Gary, in La nuit sera calme.

lundi 15 novembre 2010

Promenade dominicale


Pointe de La Torche

Après deux jours d’enfermement pour cause de mauvais temps, il était temps d’aller prendre un grand bol d’air. La Pointe de la Torche me semblait appropriée. C’est une presqu'île (photo aérienne à 360°. Hum! Christine Lagarde est passée par là;-)) naturelle située à l'extrémité sud-est de la baie d'Audierne. La mer était agitée mais c’est certainement la veille qu’il aurait fallu avoir le courage d’affronter les intempéries pour obtenir des photos plus tempétueuses. Le vent était tout de même puissant au point d’assourdir le bruit de la mer sur mes vidéos.
Il n’y avait pas foule en ce dimanche pourtant très ensoleillé mais il est vrai un peu frisquet. Bien emmitouflée dans mon dufflecoat je savourais pour ma part cet endroit apprécié des surfeurs, peu nombreux ce jour, peut-être prudents.
Je suis rentrée un peu sonnée, décoiffée, les yeux piquants et les pommettes bien rougies.

Quelques photos de cette après-midi vivifiante.

















 Bikers contemplatifs

Heureux les amoureux qui se fondent dans le paysage



dimanche 14 novembre 2010

600 ème

Ainsi, d'après les statistiques de Blogger j'aurais eu 10833 visiteurs(ses) en 14 mois pour seulement 614 affichages de profil? Tsss!
Je n'y crois pas une seconde à ces stats.
Très étonnant, le billet le plus lu serait celui-ci. Il faudrait qu'on m'explique comment c'est possible puisque dans ce billet je n'ai mis aucun lien vers autre chose.
Tout cela est complètement bidon. Tant mieux, je me fiche éperdument d'être lue ou pas, sinon je m'appliquerais c'est certain mais cela enlèverait de ma spontanéité.

Ciel bleu ce matin, ouf!


Hein? Ça ne vaut pas un Yves Klein? Pfff!

samedi 13 novembre 2010

La Vie derrière soi

Ce samedi.
Matinée.
Je vois à peine à travers les fenêtres battues par les trombes d’eau. Je comprends bien en voyant mes vitres ton expression imagée : avoir de la glycérine aux mirettes.
Ce sera encore une journée à passer en "mon fort intérieur". Je suis imprégnée du langage de monsieur Cousin. Je ne vais pas pouvoir passer à autre chose tout de suite. Je crois que je vais dans un premier temps lire tout Ajar (œuvre composée de quatre romans, voir ci-dessous) puis peut-être Vie et mort d’Emile Ajar par Romain Gary. J’ai, en cours de lecture La nuit sera calme de Romain Gary.

" Début des années 1970. Romain Gary est un écrivain connu. Depuis 1945, il est publié par Gallimard. Il est le lauréat 1958 du prix Goncourt (Les racines du ciel). 19 romans plus tard, il recherche le frisson du débutant. Il s'embarque alors dans une nouvelle aventure, celle d'Emile Ajar. Sous ce pseudonyme, Gary publie quatre romans : Gros-Câlin (refusé par Gallimard, publié par les éditions Mercure de France dirigées par Simone Gallimard), La Vie devant soi qui reçoit le prix Goncourt (1975), Pseudo et enfin L'angoisse du roi Salomon.
C'est à la suite du suicide de Romain Gary en décembre 1980 que par un communiqué de l'AFP l'identité d'Emile Ajar est dévoilé".

Deux prix Goncourt dans une carrière d’écrivain, il faut le faire! Il pouvait conclure en effet dans Vie et mort d’Emile Ajar le 21 mars 1979, par : "Je me suis bien amusé. Au revoir et merci ".

J’écoute Répliques : Amour conjugal et passion amoureuse. Il me semble que c’est une rediffusion.

Après-midi.
Toujours avec France Culture, ce n’est plus par hasard, l’émission Tentatives Premières ; la semaine dernière le sujet était la mélancolie, aujourd’hui : le sexe ! France Cul(ture) se diversifie dans ses programmes mais ce n’est pas nouveau. Interview d’une certaine Paloma, opératrice de téléphone rose qui parle du crushing pour satisfaire un de ses « clients ». Et la voilà dans la campagne en promenant son chien pour ramasser des escargots et des scarabées pour… non mais… la suite peut s’écouter ici. Quand le téléphone rose devient une alternative crédible à la psychiatrie.

Bon, je préfère revenir à mes amours !

" […] je murmurais « je vous aime » et le murmure est peut-être ce qu’il y a de plus fort au monde".
Emile Ajar, in Pseudo.

J’ai donc poursuivi cette après-midi bien sombre à l’extérieur, par de la lecture et me suis replongée courageusement dans La vieillesse de Simone de Beauvoir. Je tombe sur ce chapitre : Temps, Activité, Histoire, qui, coïncidence me ramène un moment au titre du roman de Emile Ajar (je n’en sors pas) : La vie devant soi.

"L’âge modifie notre rapport au temps ; au fil des années, notre avenir se raccourcit tandis que notre passé s’alourdit. Les conséquences de ces changements se répercutent les unes aux autres pour engendrer une situation, variable selon l’histoire antérieure de l’individu, mais dont on peut dégager des constantes.
Et d’abord, qu’est-ce qu’avoir sa vie derrière soi ? Sartre l’a expliqué dans L’Être et le Néant : on ne possède pas son passé comme on possède une chose qu’on peut tenir dans sa main et regarder sous toutes ses faces. Mon passé c’est l'en-soi que je suis en tant que dépassé. […] Il y a dans le passé une sorte de magie à laquelle on est sensible à tout âge. Le passé a été vécu sur le mode du pour-soi et pourtant il est devenu en-soi ; il nous semble atteindre en lui cette impossible synthèse de l’en-soi et du pour-soi à laquelle aspire toujours vainement l’existence (1). Mais ce sont surtout les gens âgés qui l’évoquent avec complaisance. "Ils vivent plus par le souvenir que par l’espoir" notait Aristote."
(1) "De là vient que le souvenir nous présente l’être que nous étions avec une plénitude d’être qui lui confère une sorte de poésie. Cette douleur que nous avions, en se figeant au passé elle ne cesse de présenter le sens d’un pour-soi, et cependant elle existe en elle-même avec la fixité silencieuse d’une douleur d’autrui, d’une douleur de statue." (Sartre, L’Être et le Néant).

C’est sans doute aussi grâce à cette magie, à cette poésie que bien souvent nous embellissons nos souvenirs pour occulter cette "douleur d’autrui". Et pendant que j'écrivais ces quelques lignes je m'entretenais de sentiments intimes, de la solitude et de l'inconscient avec un ami. Tout cela faisant un mélange... d'une exquise douleur. Cet oxymore convient parfaitement mais je pourrais dire aussi, d'une exquise douceur.

J’ai mérité de me faire un bon thé en fermant mon livre parce que celui-là je le lis à dose homéopathique. Bon, il me plaît de temps en temps de faire de mes lectures des éléments de réflexion positive. Mais en aucune façon, je ne me laisserais influencer par la phrase d’Aristote et submerger par les souvenirs, ni non plus par l’espoir (c’est au-dessus de mes forces). Simplement vivre le présent, vivre de désir si possible. Je sais que le désir et le manque ne font qu'un mais c’est un stimulant pour la vie. Tant qu’il y a désir, il y a vie.

vendredi 12 novembre 2010

Gros-Câlin : Du courage du désespoir

J’ai donc terminé Gros-Câlin : drôle, souvent déchirant, d’une grande mélancolie et un regard sur les humains qui donne à réfléchir. C’est tout le roman que je voudrais transcrire mais j’ai déjà mis quelques extraits ici. Pour clore avec ce livre que j’ai aimé, qui m’a émue, parfois bouleversée, ce dernier long extrait, la solitude dans toute sa splendeur (sa douleur?) Comme toujours c’est presque une traîtrise envers l’auteur de transcrire des pages d’un ouvrage, des pages qui hors de leur contexte ne peuvent être lues, comprises comme elles le devraient. Il s’agit donc du candide Monsieur Cousin, le narrateur, au langage spontané (mon fort intérieur) :

"Je me suis calmé peu à peu, et je fis un petit somme pour me récupérer. Je me récupérai du reste sans peine, indemne, avec toutes mes mutilations intactes et en bon état de marche. Je suis même allé dîner dans un restaurant chinois de la rue Blatte, où on est très bien, car l’endroit est tout petit, les tables et les personnes humaines sont très serrées les unes contre les autres et quand on est seul, on a l’impression d’être plusieurs, parce qu’on est au coude à coude fraternel avec les autres tables. On saisit des propos qui ne vous sont pas adressés, mais qui vous vont droit au cœur. On participe à des conversations, on profite des bons mots qui passent, et on a ainsi l’occasion de témoigner aux autres de son intérêt et de sa sympathie, et de leur prodiguer des marques d’attention. C’est la chaleur humaine. Là, dans cette ambiance fraternelle, je m’épanouis, je fais le boute-en-train dans mon fort intérieur, le cigare aux lèvres, je suis bien. La compagnie et la bonne franquette, c’est tout à fait mon genre. Je sais d’ailleurs parfaitement que l’on ne peut pas emmener son python dans un restaurant et je fais ce qu’il faut pour respecter les convenances. Cela s’était particulièrement bien passé ce jour-là, il y avait des couples d’amoureux, l’un à gauche, l’autre à droite, et j’ai eu droit à des mots doux, tendres, à la main serrée, à tout. C’est le meilleur restaurant chinois de Paris.
Je suis rentré chez moi après une journée aussi remplie, j’ai eu du mal à m’endormir. Je me suis levé deux fois pour me regarder dans la glace des pieds à la tête, peut-être y avait-il déjà des signes. Rien. Toujours la même peau et les mêmes endroits.
Je pense qu’il y aura une ouverture, cela ne se fera pas d’ici, mais de là-bas. Un moment de distraction dans la bonne marche, avec début de bonté, à la suite d’inattention. Je me suis d’ailleurs demandé pourquoi le printemps se manifeste seulement dans la nature et jamais chez nous. Ce serait merveilleux si on pouvait donner naissance vers avril-mai à quelque chose de proprement dit.
Je me suis donc examiné des pieds à la tête, mais je n’ai pas trouvé qu’un grain de beauté sous l’aisselle gauche qui était peut-être déjà là auparavant. Il est vrai qu’on était en novembre.
J’allais chercher Gros-Câlin mais il était de mauvais poil, refusa de s’occuper de moi et se coula sous le lit, ce qui est sa façon de mettre une pancarte avec « prière de ne pas déranger ». Je me recouchai, avec une horrible impression de mortalité infantile. J’entendais dehors les avions à réaction qui vrombissaient, les police-secours qui perçaient la nuit dans un but bien déterminé, les véhicules qui avançaient et je tentais de me réconforter en me disant que quelqu’un allait quelque part. Je pensais aux oranges de la lointaine Italie, à cause du soleil. Je me répétais également qu’il y avait partout des extincteurs d’incendie et que l’on continuait même à les fabriquer avec prévoyance, et que ce n’était quand même pas pour rien, de vaines promesses, que c’était malgré tout en vue de et dans le domaine du possible. Ma fenêtre est assez éclairée de l’extérieur par voie publique et s’il y avait une de ces échelles qui montent en cas d’urgence jusqu’à n’importe quel étage pour sauver les victimes, j’aurais pu apercevoir une silhouette humaine à l’horizon. Il est d’ailleurs parfaitement possible que l’on cherche à m’isoler, à me découvrir et à m’identifier, à me décrire et à m’introduire pour l’autodéfense de l’organisme, comme Pasteur ou la pénicilline, mais dans l’ensemble je crois qu’il y a des prix Nobel qui se perdent. Finalement, je me suis levé sous prétexte de pisser, j’ai pris Blondine* dans le creux de ma main et la plaçai sous ma protection. A plusieurs reprises, elle toucha ma paume de sa mini-truffe et c’était comme le baiser d’une goutte de rosée"
.
* (la souris blanche qu’il protège du python Gros-Câlin qui n’en ferait qu’une bouchée).
Pages 189-190-191.

Et cet autre extrait qui transpire de solitude, c’est ainsi que je le (la ?) ressens, profondément, et qui clôturerait ce blog/journal de belle manière, si j’en avais le courage. Je ne l’ai pas.

[…]
"Je suis parti et je courus vite rue du Roy-le-Beau pour voir si Mlle Dreyfus n’était pas rentrée mais il n’y avait personne. J’ai voulu laisser les violettes devant la porte mais j’avais de la peine à m’en séparer, c’était le dernier lien qui m’unissait à Mlle Dreyfus et je suis rentré chez moi à pied avec elles. Je marchais dans les rues du grand Paris avec mon foulard, mon chapeau, mon pardessus et mon verre d’eau* et je me sentais un peu mieux, à cause du courage du désespoir. Je regrettais à présent de ne pas avoir fait l’amour avec la bonne pute – je répète pour la dernière fois, ou je vais me fâcher, que je prends ce mot dans son sens le plus noble et le plus heureux – car j’éprouvais un surplus américain de moi-même pour cause d’absence et de zéro, dont seules la tendresse et une douce étreinte pouvaient me débarrasser. Lorsqu’on tend au zéro, on se sent de plus en plus, et pas de moins en moins. Moins on existe et plus on est de trop. La caractéristique du plus petit, c’est son côté excédentaire. Dès que je m’approche du néant, je deviens en excédent. Dès qu’on se sent de moins en moins, il y a à quoi bon et pourquoi foutre. Il y a poids excessif. On a envie d’essuyer ça, de passer l’éponge. C’est ce qu’on appelle un état d’âme, pour cause d’absence. Les bonnes putes sont alors d’un secours bien connu mais que l’on passe sous silence et sous mépris, pour éviter la hausse des prix. Mais moi je trouve que la vie pour rien, c’est ça, la vie chère".
*(dans lequel se trouve son bouquet de violettes).
Pages 212-213.
Romain Gary (Emile Ajar), Gros-Câlin, nouvelle édition 2007, Mercure de France
.
J’ai lu ce roman avec allégresse, sans tristesse aucune bien que le sujet - cette « fable émouvante sur la solitude de l’homme moderne » (4è de couverture) - me renvoyait sans arrêt à la mienne. Mais justement, j’y découvrais une raison de faire face, avec plus de force, de volonté.