vendredi 20 août 2010

Vie et destin, suite


"Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, la frontière entre le réel et l’imaginaire a toujours été désespérément brouillé.
Il m’aura fallu presque une vie pour comprendre que c’était là la clé de mon existence même. Cela m’aura valu plus que ma part de chagrins, d’affrontements, de catastrophes et de déceptions. Mais j’ai vu s’ouvrir devant moi des portes qui, sans cela, seraient demeurées fermées jamais.
L’art et la poésie, la fantaisie et l’imaginaire m’ont toujours paru plus réels que les étroites limites du monde au sein duquel j’ai grandi dans la Pologne communiste. Très jeune, j’avais déjà l’impression d’être différent de ceux qui m’entouraient : je vivais dans un monde à part qui n’appartenait qu’à moi parce qu’il était le fruit de mon imagination.
Je ne pouvais assister à une course cycliste à Cracovie sans me voir aussitôt sous les traits d’un futur champion. Je ne pouvais voir un film sans m’en imaginer vedette ou, mieux encore, réalisateur, derrière la caméra. Assis au poulailler d’un théâtre, je ne doutais pas un instant que, tôt ou tard, ce serait moi qui occuperais tous les regards, au centre de la scène de Varsovie, à Moscou, voire - pourquoi pas ? - à Paris, cette capitale culturelle du monde, si lointaine et si romanesque. Tous les enfants ont un jour ou l’autre laissé courir leur imagination. Mais contrairement à la plupart, qui se résigne bientôt à la grisaille quotidienne, je ne doutais pas un seul instant que mes rêves se réaliseraient un jour. J’étais possédé de la certitude naïve et bébête que cela n’était pas seulement possible mais inévitable – joué d’avance, aussi inévitable que la morne existence qui aurait dû normalement m’échoir.
Mes amis et les membres de ma famille, habitués à rire de ma folie des grandeurs, ne tardèrent pas à me considérer comme un bouffon. J’ai toujours adoré faire rire et jouais donc ce rôle de bonne grâce. Peu m’importait. Par moments, les obstacles qui se dressaient sur mon chemin étaient tels que je n’eus pas trop de toute mon imagination pour simplement survivre."


Ainsi commence ce livre, premier paragraphe, page 11 : Roman par Polanski, éditions Robert Laffont, 1984. (Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Carasso)

Depuis la mort de Sharon, pourtant, et en dépit des apparences, ma joie de vivre est restée incomplète.
Dans les instants d’insupportable tragédie personnelle, il est des gens qui cherchent et trouvent une consolation dans la religion. Dans mon cas, c’est le contraire qui s’est produit. Ce que je possédais de foi religieuse a été réduit en miettes par le meurtre de Sharon. Il a conforté ma foi en l’absurde.
Je continue de faire les gestes d’un professionnel du spectacle, je sais encore raconter des histoires drôles […], mais je sais au plus profond de mon cœur que l’esprit du rire m’a quitté. Ce n’est pas seulement que le succès m’a laissé blasé, ou que je suis aigri par le drame ou mes propres folies. J’ai l’impression de besogner sans but discernable. J’ai le sentiment d’avoir perdu le droit à l’innocence, à la pure jouissance des plaisirs de la vie. […]
Je sais bien que je passe aux yeux de bien des gens pour une espèce de gnome méchant et débauché. Mes amis – et les femmes de ma vie – savent à quoi s’en tenir."


Page 496, dernier chapitre, dernière page.

Durant une semaine France Culture a consacré l’émission Une vie, un destin à Roman Polanski et ce livre dans ma bibliothèque a survécu à mes déménagements. J’étais déjà fascinée par le cinéaste de Rosemary’s baby. C’est pourquoi j’ai écouté chaque jour avec un grand intérêt ces émissions qui m’ont permis de découvrir un autre homme que celui que la presse people veut bien nous dévoiler. C'est un survivant.

C’est mon 500è billet !!! huit jours avant la date d’anniversaire de mon premier billet, je voulais faire coïncider les deux mais cela me donne encore huit jours pour réfléchir : arrêter, poursuivre, arrêter, poursuivre, arrêter, poursuivre, une litanie qui me trotte dans la tête comme deux noms qui dansent… en transe.