mardi 31 août 2010

Attention, chef d'oeuvre

Je n’ai jamais autant regardé le ciel que depuis que je vis en ville; les petits bouts que j’en vois, cernés au dessus des toits, sont mon immensité.


Lorsque je vivais à la campagne, le ciel était tellement vaste que je ne le voyais plus, ou alors, seulement le matin, quand j’ouvrais les volets de ma chambre à l’étage et que, les yeux encore ensommeillés, j’étais éblouie, tellement c’était beau.
Ici, je capture des moments de la journée, comme la lune avant-hier matin pas encore couchée alors que le soleil était déjà levé, ou les mouettes, pigeons, tourterelles, choucas qui traversent ce ciel, par bandes, dans le même territoire, sans jamais se cogner, sauf pour s’aimer.
Hier, ce sont ces avions que j’ai suivi du regard, le premier traversant « mon ciel » du Nord au Sud et l’autre arrivant Sud Ouest. Je les voyais tirant cette ligne blanche comme une étoile filante qui venait vers moi. J’oubliais en les regardant qu’il y avaient des passagers, dans cette étoile.



Hier soir…
J’ai regardé La Belle Noiseuse, envie de voir le film après avoir relu le texte de Honoré de Balzac. Jacques Rivette l'a adapté, de façon moderne.
Le synopsis : « Un peintre vieillissant est rongé par un secret qui l'obsède : l'abandon, il y a dix ans, d'un grand tableau qui devait être son chef-d'oeuvre et dont sa femme était le modèle. L'arrivée d'un jeune couple dans sa propriété du Midi va lui permettre de reprendre cette oeuvre et c'est la jeune femme, qui cette fois, lui sert de modèle. Pendant les cinq journées de pose, la tension va monter entre les différents protagonistes. »
C’est un long film (4 h), je n’aurai pas pu le voir en salle, bien installée dans un bon fauteuil, c’était mieux, et la vidéo est sur deux DVD, on peut faire un break, pas inutile, tant la tension de l'artiste et son modèle vous capte. Et puis, le petit écran sied bien à ce film intimiste, intime.
Emmanuelle Béart est d’une beauté éblouissante et Michel Piccoli, époustouflant de vérité.



Je comprends pourquoi ce film est si long. Tout y est étudié du travail du peintre dans le moindre détail : la lenteur, la réflexion, le doute, le geste sur la toile, l’arrêt du geste, l’angoisse, le trou noir puis la lumière qui rejaillit, le geste qui assure, la pose du modèle qui inspirera le peintre. Une merveille du metteur en scène Jacques Rivette. Emmanuelle Béart est extraordinaire en modèle du peintre. On y croit, on souffre avec elle. Envoûtement charnel, beauté du corps. C’est une sculpture vivante, magistrale.
Pas de musique dans ce film, si ce n’est celui du générique de fin : Igor Stravinsky. Jane Birkin aussi est « habitée » dans ce film. Jacques Rivette est un très grand cinéaste.
La musique c’est le silence mais aussi des sons amplifiés par ce silence : le bruit de la plume qui encre le papier, celui du pinceau qui brosse et racle la toile.

La tension est omniprésente, j’en suis sortie épuisée mais émerveillée. La seule scène où la tension s’apaise c’est quand ils boivent tous les deux, faisant baisser la pression ; légèrement enivrés, le peintre et son modèle se mettent à rire, relâchement, très belle scène, d’un naturel incroyable, parce que réellement, ils vivaient ce film. Durant cette scène je me suis lâchée aussi, j'étais en totale osmose avec eux, cela m'arrive rarement. J’ai eu l’impression durant tout ce film, d’être dedans, à fond, mentalement. Non pas d’être Emmanuelle Béart (loin s’en faut, rires), ni Jane Birkin mais d’être dans leur tension, au plus près. Un moment extraordinaire.
Peu de dialogues dans le film.
Quand le tableau est achevé, le peintre emmure son œuvre, La Belle Noiseuse, puis il place une toile vierge sur le chevalet et à nouveau dessine, on entend le bruit du fusain qui racle. Il laissera croire que La Belle Noiseuse est cette dernière œuvre… Mais tout est mieux dit ici.